Avant l’indépendance du Territoire Français des Afars et des Issas (TFAI), chaque compagnie de la 13ème DBLE possédait son lion. Celui de la portion centrale avait pour compagnon un chien qui venait chaque nuit le rejoindre par une trappe à ses dimensions…

A la 4ème compagnie casernée à Holl-Holl se trouvait une femelle accompagnée de son petit, c'était un animal très agressif beaucoup plus dangereux que les mâles qui avaient, en général, une attitude résignée.

Le plus impressionnant était celui de la 3ème compagnie à Ali Sabieh, un superbe animal  doté d’une somptueuse crinière noire de toute beauté. Le commandant de compagnie de l’époque, le capitaine Wolf Zinc, nous raconte, pour notre mémoire collective, l’aventure du déménagement de cette compagnie peu après l’indépendance du TFAI qui avait cédé la place à la République de Djibouti.

 

"Le 23 juin 1977, je prends le commandement de la 3° Compagnie de la 13ème DBLE à Ali Sabieh. Le tableau des effectifs comporte une animalerie, curiosité locale composée de cochons, ânes, guépards et même d’un lion.

Les cochons étaient destinés à l’amélioration de l'ordinaire, quant aux ânes, ceux-ci étaient prévus pour nourrir le lion, mais gambadaient paisiblement, sans aucun risque pour leur vie, ils bénéficiaient d'une protection musclée des épouses qui ne toléraient absolument pas ce qu’elles appelaient avec justesse: « une ignoble barbarie ». C’est ainsi qu’en décembre 1977, un peu avant Noël, l'ânesse nous présente notre "crèche vivante" en mettant au monde un magnifique ânon appelé « Partagas », clin d’œil à un  officier du BOI du régiment particulièrement apprécié.

Par contre un petit souci se présente pour nos deux guépards qui sont en totale liberté dans le camp, ils sont accusés de tous les maux par une population locale effrayée, excellente relation oblige, je fais la concession de les faire mettre en cage.

Enfin, il y a Chifta (bandit de grand chemin en langue somalienne), un magnifique lion hébergé dans une grande cage face à mon bureau qui naturellement et fonction oblige, domine en hauteur l’ensemble du  camp sur une petite colline un peu en contre-bas des logements des familles.

Une anecdote marque immédiatement mon arrivée, histoire de me mettre dans l’ambiance, le lendemain de la passation de commandement, le Caporal-Chef, gardien du fauve, ayant abusé, sans modération des festivités nocturnes qui suivirent, ne trouva rien de mieux que de cuver sa cuite dans la cage même du lion, pensant ainsi être inaccessible pour un séjour dans les locaux d’arrêts. Nous sommes dans la nuit, alertés par ses hurlements, nous intervenons interloqués pour constater que le lion s’est couché sur lui. Il nous faut rapidement réagir et mon adjoint, le Capitaine Millet surveille la scène tout le restant de la nuit, prêt à abattre l'animal avec son pistolet de service. Finalement, au petit matin, le lion se lasse des effluves alcooliques émises par notre Caporal-Chef qui sortira sain et sauf des griffes du fauve pour dégriser en toute sécurité en prison.

En septembre 1977, peu de temps après l’indépendance du pays, notre chef de Corps, le colonel Jean-Claude Coullon, m'annonce une triste nouvelle: " le camp d'Ali Sabieh doit être remis à l' armée djiboutienne et pour se faire, il nous faut laisser l’endroit dans le meilleur état possible". Après avoir quitté Ali Sabieh, il était prévu que nous nous installions à Djibouti, dans l'enceinte même de la portion centrale du régiment à Gabode. Il nous fallait au plus vite évacuer les hommes et les familles, ainsi que la totalité du matériel, mais cette nouvelle épreuve s’affichait préoccupante: aucune place n’était prévue pour nos animaux.

Heureusement, une solution se présente, proposée par mon ami, le capitaine Derousseaux de Medrano, patron de l'Escadron de Reconnaissance à Ouhea, il  veut bien prendre en charge nos animaux donnant, entre autres explications, que l'escadron était la seule compagnie sans lion.

Concernant les cochons et Les ânes, l’affaire est faite sans grands obstacles, malheureusement le transport des deux guépards se solde par la mort accidentelle de l’un d’eux.

Pour Chifta, par contre, l’affaire est loin d’être simple. Nous avons installé sa cage de transport contre son enclos avec à l' intérieur… une chèvre vivante (les épouses sont déjà en place à Djibouti). L’idée étant d’espérer que le fauve saute sur cette proie vivante offerte. Un sous-officier, armé d'un fusil, se tient sur la cage de transport afin de fermer la porte rapidement, au moment où Chifta entrera. Pendant plusieurs jours, les beuglements de la chèvre nous incommodent, le lion lui est complétement indifférent, voire dédaigneux et continu stoïquement sa sieste quotidienne. Il nous faut trouver autre chose ! C’est alors que l'adjudant-chef Reul, adjudant de compagnie, propose de pousser le lion avec la puissante lance à incendie.  Chifta ainsi prend  sa première grande douche sans broncher d'un poil…

Devant notre impuissante et face à cette situation quelque peu ubuesque, nous faisons appel au vétérinaire de Djibouti afin qu’il vienne endormir le fauve. C’est l'Adjudant-Chef Mundhenke, infirmier-major de la portion centrale de Gabode qui est chargé de cette insolite mission, il a apporté avec lui le pistolet du vétérinaire et les produits anesthésiants correspondants. Comme par hasard, le pistolet qui n’a jamais été utilisé auparavant ne fonctionne pas ! Pris d’un élan courageux et  stupide, notre infirmier major entre dans la cage et parvient avec une simple seringue à injecter le somnifère. Chifta lui, heureusement, ne bouge toujours pas d’un poil. C’est seulement après la troisième injection qu’il s'écroule enfin et nous assistons médusés à une séance insolite où un infirmier-major pratique un massage cardiaque à un lion de plusieurs centaines de kilos, réaction nécessaire suite à un soupçon d'overdose de produits anesthésiants. Néanmoins, Chifta se retrouve enfin dans sa cage de transport et la pauvre chèvre garde la vie sauve; tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… Les légionnaires de l’Escadron de Reconnaissance, nouveaux propriétaires du lion, chargent la cage sur leur camion.

C’est alors que l'inimaginable digne d'un épisode de "au delà du réel" se présente: le camion dévaler le chemin en pente avec son précieux chargement, les freins ont cédé… Le véhicule arrive en bout de course et se coucher sur le côté, la cage tombe, libérant notre lion. Heureusement il est encore trop groggy pour opposer la moindre résistance, le pauvre animal, Interloqué par tout ce chamboulement, se précipite dans la cage cherchant un refuge salvateur. Enfin, le lion pacha d’Ali Sabieh pouvait en toute quiétude rejoindre son nouveau domicile.

A mon avis, la vie dans les postes isolés serait bien triste si nous ne savions apporter quelques aventures pittoresques; de celles qui fait  le mystère quant à notre manière de vivre avec ce besoin constant de s'entourer d'animaux qui ont souvent le rôle principal, image de notre particularisme quelque peu, parfois, exubérant...

C'est aussi çà la Légion !

 

Wolf Zink.

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