LA LEGION ETRANGERE

Source : « Le Progrès de Bel Abbés » du mardi 7 octobre 1930.

                  PREAMBULE :

Une grande rivalité s’est créée entre la France et l’Allemagne à propos du Maroc. Une rivalité coloniale, car l’Allemagne voudrait imiter ses voisins européens en Afrique. En découleront deux graves crises diplomatiques en 1905 et 1911.

Extraits du Figaro le 16 décembre 1908 :

« Les relations franco-allemande sont au plus mal. Le gouvernement allemand voit d’un mauvais œil l’engagement des allemands dans la Légion étrangère. Des agents allemands infiltrés provoquent des désertions pour décrédibiliser la Légion. Une véritable agence de désertion est mise en place, soutenue par le consulat allemand de Casablanca. »

 

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                  ARTICLE DU QUOTIDIEN DE BEL-ABBES :

« Nous faisons paraître aujourd’hui, à l’intention de nos lecteurs l’article suivant dû à la pleine autorité de Mr. René VANLANDE. Cette tâche nous est d’autant plus agréable que nos lecteurs locaux sont les plus qualifiés pour apprécier l’argumentation de l’auteur, véritable plaidoyer en faveur de la glorieuse Légion et de son valeureux chef, le colonel ROLLET. »

                 

     { Lyriquement chantée ou bassement décriée, la Légion étrangère, plus que jamais exerce son prestige. Chez tous les peuples, dans toutes les races, il y a, en ce moment même, des hasardeux, des inquiets et des désespérés que leurs fièvres, leur désolation ou leur abjection poussent invinciblement vers cette phalange anonyme. Dans ces rangs pourront se donner libre carrière les juvéniles besoins d’aventure et d’inconnu. Mieux que les autres activités humaines, le service sous l’uniforme à grenade donnera l’oubli à qui le cherche. Aux faibles, il imposera une règle. Le vice et le crime y trouveront une barrière et peut-être le redressement et le rachat. Prison volontaire pour ceux qui fuient leurs démons ou la vengeance sociale, la Légion sera aussi l’asile des « meurt-de-faim ». La boule de pain, la « barbaque », le quart de pinard, la prime, le prêt. Et puis- qui sait ?- la rencontre de la gloire.

Les portes de la Légion s’ouvrent à tous. A ceux qu’elle accueille elle ne demande ni d’où ils viennent, ni ce qu’ils furent, mais seulement de respecter la devise de son drapeau :

                                   « Honneur et Fidélité, Valeur et discipline. »

Après le grand conflit mondial, les démobilisés de toutes les Armées, ne devaient plus, semblait-il, qu’aspirer au repos, au repliement sur les deuils et les ruines. C’était compter sans les perturbations que la guerre et ses suites avaient jetées dans les classes les plus diverses, ravageant les foyers, balayant les fortunes, brisant les hiérarchies et laissant autour des champs de bataille un immense troupeau d’hommes en désarroi. Beaucoup luttèrent pour se refaire une vie. Les uns dans leur patrie dévastée, partagée, métamorphosée, d’autres sur une terre d’exil. Mais combien, par impuissance, par malchance ou dégout, ne parviendront point à fixer leur destin ! Combien aussi, au cours des cinq années de combat, s’étaient inconsciemment raccordés à de lointains atavismes condottière(*) et  mercenaires, inconciliables avec l’étroitesse et la monotonie de la vie quotidienne.

Dans l’âme désemparée de tous ceux-là, un mot chantait, grisant et redoutable, angoissant et magique : Légion !

La propagande étrangère-allemande, surtout- s’efforça de contrarier une attraction que la misère des cœurs et des corps faisait obsédante. Vaines tentatives ! Les brochures les plus calomnieuses, les films odieusement truqués allèrent à l’encontre du but poursuivi ! Toutes les horreurs anti légionnaires, si perfidement combinées qu’elles fussent, déformaient trop grossièrement la vérité. Les malheureux en quête d’une planche de salut, en avaient l’intuition. D’anciens légionnaires de tous pays protestaient contre ces injures à leur drapeau. Enfin, le mensonge lui-même ne pouvait s’extraire d’un cadre et d’une atmosphère qui sollicitaient les imaginatifs, les curieux d’autre chose, les chercheurs d’une patrie de renouvellement. Pour beaucoup d’ailleurs, il fallait vivre d’abord !

Russes des armées blanches en débâcle, réactionnaires ou spartakistes(*) d’Allemagne, épave de l’Europe dévastée, déferlèrent vers nos bureaux de recrutement. Bientôt les deux Régiments Etrangers d’avant-guerre débordèrent d’effectifs. On dut en créer trois autres, dont un de Cavalerie. La Légion compte aujourd’hui plus de 20 000 hommes. Et, fait important à noter : les Germaniques y figurent pour les deux tiers.

Ce brusque afflux, très opportun pour la renaissance de notre armée d’Afrique et des théâtres extérieurs d’opérations entraine, par contre, une impérieuse crise de croissance. Les bases essentielles sur lesquelles se fondent la valeur de la Légion sont la tradition et l’esprit de corps. Pour les maintenir, il faut disposer de cadres spécialisés, et d’un fort noyau de chevronnés, auquel viennent s’amalgamer normalement les recrues. Or, ces cadres et ces chevronnés avaient été décimés et dispersés par la guerre.

L’officier vraiment « légionnaire » était devenu une rareté. Le creuset menaçait de se briser. Pour comble de difficultés, le Bolchévisme, avec certains contingents russes et l’anarchie mondiale s’infiltraient dans les rangs. L’Allemagne, naturellement, essayait d’y souffler le désordre et la révolte ne déléguant d’office ses agents dans les unités mal en main. Nos meilleurs officiers d’Afrique s’inquiétaient. Plusieurs même, découragés, dégoutés par l’indifférence et l’incompréhension des bureaux de recrutement, quittaient la Légion. Seuls quelques irréductibles ne perdaient pas espoir. Et à leur tête nous devons saluer celui que les anciens appellent « le drapeau » et le « père de la Légion » : un petit homme mince, à la barbiche grise, au regard bleu, toujours vêtu d’un simple kaki de troupe, couvert de citations et de blessures, le colonel ROLLET.

La crise grâce à ses officiers, sous-officiers et briscards, fut heureusement conjurée. On le vit bien pendant la révolte d’ABD-EL-KRIM et des Druzes. La Légion s’est refaite dans le sacrifice. Sans doute n’a-t-elle pas encore retrouvé son homogénéité et sa valeur des jours épiques d’avant-guerre, quand LYAUTEY pacifiait le Maroc. Mais de nouveaux chefs se forment qui reforgent l’outil magnifique. Ce sera affaire de temps, de diligence, et de bienveillance en haut lieu.

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Si vous voulez savoir ce qu’est la Légion d’aujourd’hui- la vraie- pas celle des feuilletonistes ou des détracteurs à gages, celle qui se bat, fonde et épargne des vies françaises en Afrique et en Asie, lisez le maître ouvrage de notre confrère G.R. MANNUE : « têtes brulées ». MANNUE a servi à la Légion. Ce légionnaire, qui est en même temps un écrivain, d’une saine vigueur, formé à l’école du travail et de la méditation et des choses vues,  vous dira la vie de ses camarades et de leurs chefs : garnisons, camps, postes perdus, combats, travaux, cafard, gaité, sombres grandeurs, déchirantes misères, lourd réalisme, fleurs sublimes. La vérité, sans voile ni préjugés. Dans son objectivité, « têtes brulées » atteint à la majesté de l’histoire. Devant pareil témoignage, l’édifice de la calomnie s’effondre. Et les puérilités diffamatoires de l’anglais John HARVEY(*), les comtes arrangés de l’américain DOTY(*), tous deux déserteurs devant l’ennemi, tournent à leur propre confusion et à la gloire aujourd’hui centenaire de la Légion}

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-ABD el KRIM : symbole de l’indépendance marocaine, a lutté contre la France pendant la guerre du RIF.

-Condottière : chef mercenaire italien au Moyen-Age.

-spartakisme : Courant politique révolutionnaire, révolte des masses. De Spartacus, esclave romain révolté.

-Benneth DOTY : la Légion des damnés ; (1930)

-John HARVEY : with the french foreign Légion in Syrie ; (1928)

NB: Ces deux “auteurs”, sont d’anciens légionnaires déserteurs devant l’ennemi en Syrie en 1926, pendant la campagne du Levant. Ils étaient affectés au 1er REC.

    Major (er) MIDY-FSALE en charge de la mémoire