Plaque mise en place sur un des murs des Invalides à Paris.

Avant-propos

Je me garde bien de me proclamer “historien”, trop n’en faut,  alors même que nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à s’attribuer cette appellation et à déformer par le menu le passé  en  l’interprétant à leur manière, rendant les faits très différents de ceux réellement vécus. Ces manipulateurs de l’histoire agissent souvent pour survivre aux yeux des autres ou s’enrichir, alors que d’autres utilisent ce travestissement à des fins partisanes ou idéologiques.  “Avec le recul, plus rien n’est bon, ni mauvais. L’historien qui se mêle de juger le passé fait du journalisme dans un autre siècle.” Emile Cioran. En fait, je me situe plutôt dans la catégorie naïve des “contemplatifs”, de ceux qui mémorisent et qui partagent leurs impressions, leurs réflexions et leurs coups de gueule et de cœur. J’ai retenu de mes lectures que chaque fois que l’homme fait un pas en avant dans ce qu’il appelle “le progrès”, il perd quelque chose…

Histoire de communiquer, je vous propose de passer un petit moment ensemble en lisant  cette nouvelle intitulée  “Avant Camerone”.

 « Mardi 15 avril 1844, Louis Philippe, roi des Français et Monsieur Guizot, chef du gouvernement, animent une séance à la chambre des Pairs. Le prince de la Moskowa, Joseph Nay, s’est étonné que la France ait cédé devant l’Angleterre en rappelant de Tahiti, le contre-amiral Dupetit-Thouars. La reine Pomaré joue la carte anglaise contre le protectorat français. Monsieur Guizot manque de dignité, dit-on  dans les journaux et pourtant, la France à cette époque était prospère. C’était l’expansion des chemins de fer, l’amélioration des routes. Le commerce se portait à merveille, les “Magnifiques Galeries”, un des ancêtres de nos grands magasins, vendait des nouveautés qui attiraient bien du monde. A Paris, le prix du pain prenait deux vitesses ou deux prix, celui pour les riches et cet autre pour les pauvres qui devaient se contenter d’une seconde qualité… la France s’ouvrait, et particulièrement Paris, à l’art sous toutes ses formes, ainsi s’annonçait au théâtre  “Le Français”: “Charles VII et l’Etourdi” et “Les mystères de Paris” à la porte Saint-Martin pendant que les mélomanes se rendaient au concert de Franz List au « Théâtre italien ». La littérature, quant à elle, n’était pas en reste, la maison  Fournier   annonçait la publication de “Cent proverbes de Grandville” et le “Siècle” offrait à ses lecteurs “Les trois mousquetaires”. Les publicités apparaissaient dans les journaux; l’eau milanaise enlevait les taches de rousseur, l’eau circassienne teignait les cheveux, les cigarettes “Raspail” étaient très efficaces contre l’asthme.

Les dames étaient en capotes, châles et manches à gigot et les messieurs en chapeau haut-de-forme, cravates à multiples tours et redingotes. Tout ce petit monde se donnait des émotions à domicile. Ils se réunissaient beaucoup entre eux et faisaient “salon” en lisant Alexandre Dumas, Eugène Sue et Balzac qui venait de donner pour la première fois le titre de “Comédie humaine” à ses œuvres.

Petits et grands bourgeois ne se préoccupaient guère de la misère atroce dans laquelle étaient plongés les ouvriers de la grande industrie naissante, celle-ci n’intéressait pas les parisiens enfermés dans leur bulle, seules Lille et Mulhouse et leurs environnements étaient concernés.

Loin de cette atmosphère au début de 1845, le chef de bataillon Vinoy, le futur général de 1870, était commandant supérieur à Sidi-Bel-Abbès, un modeste camp, perdu dans le bled où les troupes en opérations s’installaient en bivouac.

Une vingtaine d’années plus tard, après quelques sanglantes échauffourées, une ville naîtra, peuplée de 5 000 habitants. Un siècle plus tôt, les Deraouas et les soldats français s’étaient entr’égorgés à la même place. En 1865, s’y élèvera une cité prospère et pacifique. Les terres jadis incultes des alentours produiront de riches moissons.

En 1862, débute l’expédition française au Mexique, la Légion avait “l’arme au pied”. Lorsqu’un homme de guerre sait qu’une bataille fait rage quelque part, il brûle d’y participer. C’est ce qui se produisit ; la Légion était bien lasse de faire le service de garnison, de construire des routes, de creuser des puits, d’assurer la garde des pénitenciers de Ben Youd et de Boukanefis et de protéger quelques points isolés.

Elle ne figurait pas sur l’état des troupes envoyées au Mexique ni, d’ailleurs, sur celui du corps expéditionnaire de Cochinchine. Les officiers subalternes du régiment adressèrent une pétition à l’empereur qui eut le premier réflexe de punir les plus anciens de chaque grade, mais face à l’échec des contingents français devant Puebla, le 19 janvier 1863, arrivait l’ordre de mettre sur pied de guerre un régiment de marche destiné à renforcer le corps expéditionnaire au Mexique. Il ne restait plus en Algérie que le 3°bataillon et le dépôt.

Il était une fois, il y à 155 ans, au début de 1863, le 28 mars 1863, le Régiment Etranger débarque à Vera-Cruz.

La puissance d’une atmosphère exotique Mexicaine agit profondément sur tous les légionnaires dont l’imagination est fertile et même pour certains… ardente. Le régiment est commandé par le colonel Jeanningros, la Légion avait la mission de la garde des terres chaudes, pernicieuse contrée qui avait pour but d’assurer les communications entre Puebla et Vera-Cruz. Ce n’était pas la plus désirable des missions.

Les terres chaudes comme leur nom l’indique est une région du Mexique couvée par un soleil infernal qui distribuait sans compter le Typhus, les fièvres et le « vomito négro ». Sous ce soleil, le paysage se transformait en un bagne incandescent, les légionnaires devaient assurer la protection des convois contre des partisans éparpillés adroitement dans ces régions hostiles.

C’est en accomplissant ce lourd travail quotidien que les légionnaires vont inscrire le plus beau fait d’armes de leur histoire: « Camerone », un nom qui sera brodé sur la soie de leurs drapeaux.

Au petit matin du 30 avril 1863, la 3ème compagnie du 1er bataillon commandée par le capitaine Jean Danjou, forte de 62 hommes reçoit l’ordre de se porter au devant d’un convoi très important qui se dirige sur Puebla. La mission est d’explorer les environs de Palo-Verde et de disperser  les guérillos qui y sont signalés. Le petit jour se lève à peine que déjà les légionnaires ont atteint le petit poste de Paso del Macho. Personne ne soupçonne les 1200 fantassins et 850 cavaliers qui surveillent discrètement la colonne Danjou, profitant  d’un terrain boisé pour se dissimuler.

La compagnie Danjou atteignant le point d’eau de Palo Verde, met sacs à terre. Quelques sentinelles sont placées et surveillent les quatre points cardinaux. L’excellent café du matin embauche, quand soudain, une sentinelle appelle aux armes et se replie, on renverse les marmites. Immédiatement la plaine se peuple de cavaliers mexicains ; l’air manque autour du détachement. Du côté de Camaron, un nuage de poussière monte en trombe, le capitaine Danjou  se dirige sur le village.

 

Suit le récit du déroulement du combat

 

Gouache: Début du combat de Camerone par Daniel Lordey pour Christian Morisot

 Le lendemain, un des blessés survivants est désigné par ses camarades du soin d’adresser un compte rendu du combat au colonel Jeanningros. Il écrit : « la 3ème du 1er est morte, mon Colonel, mais elle en a fait assez pour que, en parlant d’elle, on puisse dire : elle n’avait que de bons soldats ».

Le culte de Camerone était né, il sera la première fois célébré au Tonkin en 1907, est à partir de 1931, chaque année.

A la fin de 1863, le régiment a perdu 11 officiers et 800 hommes sur les 1400 de son effectif. Au total la campagne du Mexique a coûté au Régiment Etranger, tués à l’ennemi ou morts de maladie : 31 officiers et près de 1917 sous-officiers et légionnaires, mais la Légion rapportait dans les plis de son drapeau la gloire de Camerone.

Le régiment rejoignit l’Algérie en 1867, il n’avait pas le temps de se reconstituer que la déclaration de guerre à l’Allemagne mettait à nouveau les légionnaires sur la brèche. Après avoir été donnée à l’Espagne et participé aux soutiens familiaux de l’empereur Napoléon III, au Mexique avec en filigrane sa dissolution programmée, la Légion reprenait le chemin de la gloire qui ne cessa déjà d’être celui de l’honneur et de la Fidélité.

CM