LE SERVICE MILITAIRE FRANÇAIS ET LA LEGION ETRANGERE
Voilà bien une bizarrerie ! De quoi nous parle-t-on ?
Patience et prudence sont de mise avant de trancher net d’un coup de sabre cette question.
Tout d’abord profit-on en pour dresser un petit historique du service militaire en France ou de ses versions plus anciennes.
Les prémices d’un service armé régulier
Remontons-en 420 où les premiers grades militaires connus en France sont apparus. Pour effectuer un service militaire, il faut bien une armée et donc des gradés. A cette époque nous sommes sous le règne de Clodion le Chevelu[1], mais il n’y avait pas encore d’armées ou de milices permanentes.
Plus tard en 732, sous Charles Martel13[2], le mode de recrutement des troupes avait subi peu de modifications; au moment de la guerre, les ducs et les comtes se mettaient à la tête de ceux qui devaient marcher en l’ost (armée), et venaient rejoindre le souverain. Chaque province était tenue de nourrir et d’entretenir sa milice pendant la campagne, qui durait ordinairement trois mois. Pour ce qui est de la troupe, les bourgs, les villages, les métairies fournissaient un nombre de soldats en raison de leur population.
Ces soldats étaient divisés en trois classes : les hommes libres (arimani), les esclaves (servi), les vilains (villani). On comprend donc que ce « service armé » ne concernait pas tout le monde.
Les embryons d’une future armée royale ou nationale apparurent au XIIe siècle, avec les milices de communes. Ces milices virent le jour tout d’abord dans le nord de la France, où le peuple et les bourgeois des villes et villages voulaient se préserver des excès de la féodalité. Dans le même temps, la royauté cherchant elle aussi à restreindre les pouvoirs féodaux au profit d’institutions plus centralisées y trouva un intérêt.
Le rôle[3] de 1214 fait mention de chevaliers-bannerets et des milices des communes, deux espèces de combattants qui n’avaient point figuré dans les armées sous les trois premiers rois de la troisième race[4]. Le temps du service fut alors communément limité à quarante jours, tandis que sous les rois de la première race[5], il était de trois mois.
Plus tard, les règlements militaires, à l’initiative de Charles V (règne de 1364 à 1380), structurèrent mieux l’encadrement des troupes. L’ordonnance de 1373, qui institua des capitaines inamovibles et que l’on appela des capitaines ordonnés, est due à ses conseils. Ces officiers, à la solde du roi, formèrent le noyau des premières troupes permanentes et servirent à détruire le brigandage organisé. L’armée se trouva divisée en troupes royales permanentes et en milices temporaires non soldées.
La création du corps des francs-archers se fit en 1448. Avec ces derniers, il fut mit fin aux milices communales. Ces francs-archers devaient s’entraîner et représenter la force publique les jours de fête et non ouvrables. Ils étaient soldés par le biais des recettes fiscales de la taille des lances[6]. Ces soldats étaient fournis par chaque localité ou village à raison environ d’un pour cent feux et y restaient jusqu’à ce qu’ils soient démobilisés. Cette milice des francs-archers fut abolie en 1480.
Vers un service armé institutionnalisé
En 1798, dans la foulée de la révolution de 1789, la loi Jourdan-Delbrel institue la conscription universelle et obligatoire. Elle concerne tous les hommes français âgés de 20 à 25 ans. Considérée comme le texte fondateur du Service national, cette loi améliore, en fait, les systèmes déjà existants sous la monarchie. « Tout Français est soldat et se doit à la défense de sa patrie », précise l’article 1 de cette loi, qui permettra notamment d’alimenter les armées napoléoniennes jusqu’en 1815.
En 1818, lors de la Restauration, le roi Louis XVIII met fin à la conscription afin de réorganiser l’armée, mais aussi pour rompre avec l’héritage napoléonien. Elle sera pleinement rétablie par la Troisième République après la guerre Franco-Prussienne de 1870. La loi Cissey de 1872 réinstaure le Service national obligatoire par tirage au sort, qui peut durer de six mois à cinq ans. Par le fait, on passe à nouveau d’une armée de métier à une armée de masse, issue du Service militaire obligatoire et universel. Cette loi supprime la notion de remplacement et de ce fait universalise le service dû à la Nation. Néanmoins on peut être dispensé de service pour cause de soutien de famille, métier d’enseignant…
Certaines troupes restent professionnelles comme la Légion ou les Tirailleurs par exemple.
Les lois se succèdent au fil des ans et les changements interviennent tant sur la durée que sur le fond. Ainsi celle de 1889 supprime l’exemption dont bénéficiait auparavant le clergé, celle de 1905 supprime le tirage au sort, les remplacements, ainsi que les exemptions. Désormais, tous les hommes peuvent être appelés pour deux ans, pour un service personnel, égal et obligatoire.
Je conseille au lecteur de se reporter à la vue jointe à cet article qui dénombre l’ensemble des textes qui ont été promulgué entre 1824 et 1997.
La Légion étrangère face au service national
Pour des raisons qui procèdent de la traditionnelle pingrerie de l’État pour ses plus fidèles serviteurs, la situation matérielle du légionnaire a très longtemps été en retard sur celle, déjà peu enviable, de ses homologues de la Régulière.
Le niveau très faible des rémunérations a toujours créé des difficultés. Mais lorsqu’il en était question, le pouvoir politique répondait, sans convaincre, que verser une solde normale aux légionnaires ferait d’eux des mercenaires. Ainsi, l’impitoyable logique de l’Administration décrétait que les fautes du légionnaire, de même que celles de la France, seraient rachetées par sa pauvreté.
C’est ainsi que jusqu’en 1958, le jeune engagé volontaire, pourtant étranger et non assujetti à la loi militaire ou Service national, était rémunéré comme un appelé du contingent pendant la période correspondant à la durée légale du service.
L’adjudant-chef Janos Kemencei[7], Hongrois d’origine, Français par la sueur et l’engagement, s’émeut à juste titre de cette mesure injuste à l’encontre de tous les légionnaires. Il touchait à l’époque, en 1946[8], 135 F. de paye tous les quinze jours, soit 10,50 € actuels, comme un appelé. Il en avait tous les inconvénients, sans les avantages. Je laisse imaginer chacun, qu’une fois le cirage, le savon et autres nécessités du service courant achetées, il valait mieux être sobre et non-fumeur.
Voilà bien une triple incohérence car étranger de nationalité et donc non astreint au service national, servant de plus sous-un statut à titre étranger et au sein d’une troupe professionnelle !
À la vue des durées qu’a pu avoir le Service national, cette mesure discriminatoire était loin d’être anodine.
En vérité, une solde plus élevée aurait, dans une large part, contribué à améliorer la discipline et la santé morale de la Légion et, en conséquence, son efficacité guerrière. Elle aurait également amélioré son image, car ce sont les légionnaires eux-mêmes qui, en exagérant dans leurs lettres les difficultés du service, sont en partie responsables de la médiocre opinion du public de la Légion. Mais il y avait peu de chances que les soldes fussent augmentées par un gouvernement pingre, qui avait sans doute calculé, à juste titre, que cet accroissement ne changerait rien au recrutement.
Cet état de fait est clairement reporté dans le mémento du soldat de la Légion étrangère dans son édition de 1937, en page 93 au chapitre « solde des caporaux et légionnaires » avec cette phrase :
Tout individu s’engageant à la Légion étrangère s’engage obligatoirement pour une période de cinq ans.
Dès son arrivée au Corps le légionnaire est pris en solde à 0.50 par jour pendant ses deux premières années de service correspondant à la durée légale[9].
Les personnels nommés à une distinction ou un grade supérieur ou servant sur certains théâtres disposaient d’une rémunération supérieure. A l’issue de la période légale, le droit à la « haute paye » leur était accordé.
On voie bien que les légionnaires eux-aussi quel que soit leur origine était assujetti d’une certaine manière aux modalités du service national.
Major (er) Jean-Michel Houssin
Sources
https://fr.wikipedia.org/wiki/Service_militaire_en_France#.
1937 – Mémento du soldat de la Légion étrangère – 1er RE
1985 - Légionnaires, en avant, Janos Kemencei aux éditions Jacques Grancher
2004 – Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge – Tome 1 – Philippe Contamine – Chapitre XII - Les réserves organisées, les francs-archers.
[1] Clodion le Chevelu est le plus ancien roi de la dynastie des Mérovingiens. Il est le deuxième roi de France et des Francs. Il serait né vers 390 et mort vers 450.
[2] 13. Charles Martel, né vers 688, à Andenne, actuellement en Belgique, et mort le 22 octobre 741, à Quierzy, est un homme d’État et chef militaire franc qui, en tant que duc des Francs et maire du palais, était de facto dirigeant de la Francie, de 718 jusqu’à sa mort.
[3]Nom donné, particulièrement en Angleterre, à certains recueils d’actes du Moyen Âge, qui se présentaient en feuilles de parchemin cousues bout à bout et enroulées. Sous l’Ancien Régime, c’était un registre où étaient inscrits les nouveaux soldats.
[4] Expression utilisée pour qualifier la dynastie des Capétiens qui régna de 987 à 751.
[5] Expression utilisée pour qualifier la dynastie des Mérovingiens qui régna de 481 à 1328.
[6] La taille seigneuriale disparaît en bonne partie à la fin du Moyen Âge, au XVe siècle, mais c’est pour être remplacée par une taille royale, destinée à financer l’armée permanente du roi. C’est une contribution pour la taille des lances (autrement dit l’achat et l’entretien des armes de guerre).
[7] Légionnaires, en avant, Janos Kemencei aux éditions Jacques Grancher – 1985.
[8] En 1946 le service militaire venait tout juste d’être ramené à 1 an.
[9] La loi de 1935 instituait un service de dix-huit mois ou deux ans.