Très intéressant texte à la gloire du "pinard", de quoi attirer toute notre reconnaissance à nos Anciens qui ont fait de notre Institution des Invalides un producteur de vin d'excellente qualité bon pour le moral...

Du  plus  humble  au  plus glorieux. Depuis le bon cheval

Serviteur complaisant jusqu’à l’émblème aux trois

Couleurs  près duquel on monte la garde

Parmi   les  faisceaux  alignés

Nombre de compagnon

 fidèles et armés

Peuplent la vie du soldat

Né comme lui au bon terroir de France

Le PINARD

Garde au combattant sa belle humeur

Et raffermit son courage

« On commençait à voir des lâcheurs qui s’asseyaient sur le bord de la route, s’éventaient, s’étendaient, et derrière la colonne, entre le dernier rang et le cheval du major, il y avait une cinquantaine de traîne-pieds, boitant à gauche, boitant à droite, tirant leur sac à main, avec l’aide d’un camarade. Le capitaine Puche s’émut d’en compter dix de sa compagnie. Il venait d’apprendre du colonel qu’il restait six kilomètres pour atteindre un village éloigné des Allemands, où on cantonnerait la nuit. Il n’y avait donc qu’un dernier effort à obtenir des hommes. On ne se battait pas avant le lendemain ; on pouvait leur promettre du repos. Seulement… ils marchaient depuis une trentaine d’heures, et il est malaisé de faire comprendre à une troupe qui ne court aucun danger immédiat, qu’on a besoin de son énergie et de son endurance. Il faut trouver un moyen plus persuasif que les discours, et le hasard, bon diable, l’offrit au capitaine Puche, sous la forme d’une barrique de vin qu’un paysan qui fuyait, emportait parmi des ballots, dans une pauvre charrette faite de deux échelles croisées.

Puche arrêta sa compagnie, laissa passer celles qui suivaient, et il dit à l’homme :

-        « Combien, votre tonneau ?

-        Ben, fit l’autre, eh ! ça dépend… pourquoi qu’c’est faire ?... C’t un bon p’tit vin gris du pays… Si j’l’emporte, ce n’est point que j’veux l’vendre… Qué prix qu’vous voudriez y mettre ?

-        Soyez raisonnable… pour des soldats.

-        Oh ! Les soldats… j’les connais ! On voit qu’ça, nous des soldats… Une barrique de 120 litres, l’prix… dame, c’est soixante-dix francs.

-        Les voici, fit le Capitaine.

Et il appela : « Gaspard ! »

L’autre accourut :

-        Cette barrique est pour vous, il y a du boni, je m’en sers. Il nous reste six kilomètres ce soir. Je compte que personne ne flanchera.

-        Ah ! ...Ah !... Sans blague, mon capitaine ! faudrait être dégoûtant pour rester en panne après s’être rafraîchi

-        Alors, distribue.

Gaspard roulait des yeux ronds. Il prit le tonneau à plein bras comme pour l’embrasser ; il le tourna sur la voiture, puis il fit défaire les seaux de toile et les hommes défilèrent un à un. Ils défilèrent deux fois : il y avait double ration.

Le Paysan pendant ce temps, épluchait ses billets, et quand il fut sûr de son compte, il empocha, disant

-        Avec tout ça, moi, j’ai pu ren à boire…

Sa plainte ne toucha personne, tant son vin parut excellent.

Vin merveilleux, vin un peu chaud des derniers coteaux de France, qui coulait dans les poitrines de ces pauvres diables fourbus, donnant à leur corps une poussée de joie et ranimant leurs idées gaies. Un quart de vin pour un homme éreinté, c’est le délassement, le bien-être, la langue émue, le cœur qui rebat et s’attendrit.

Ces deux cent cinquante soldats, leur tonneau vidé, prirent un air épique et glorieux. Ils semblaient alertes ; ils ne souffraient plus de leurs pieds. Les yeux brillaient ; les bouvhes riaient. Et ils regardaient presque avec des larmes de reconnaissance le chef simple et si tranquille qui avait eu cette paternelle idée.

Le vin ! quelle puissance ! Des hommes dont le moral est en loques, abattus, abrutis, il vous transforme en une troupe nerveuse, éveillée et qui repart en chantant.

Gaspard.

  

 

 

 

"Le soldat n'est pas un homme de violence. Il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Son mérite est d'aller sans faiblir au bout de sa parole tout en sachant qu'il est voué à l'oubli."

Antoine de Saint-Exupéry.

 

 

 

Chez tous les hommes du front qui ne sont pas encore des brutes et c’est à propos d’eux, tu le reconnais bien, qu’il est nécessaire de trouver une explication. L’idée qu’ils restent là et font ce métier parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement ne duffirait pas à les soutenir, à empêcher leur effondrement moral. Alors chacun d’eux s’est procuré une suggestion personnelle, une pensée, une idée fixe, dont il a le secret et qu’il absorbe goute à goutte…

Il y a le petit sous-lieutenant de Saint-Cyr, à l’âme très brave et très pure, qui se dit : « Aucune vie ne sera possible pour moi dans une France vaincue. Je serai personnellement déshonoré. J’aime mieux de beaucoup vivre par mon nom sur une stèle, avec la mention : mort au champ d’honneur, que de vivre déshonoré. » Il y a le réserviste qui lisait autrefois de bons auteurs, qui avait des conviction ; et qui ne reçoit plus de lettres, plus de paquets ; qui s’estime trop vieux pour recommencer une existence, à qui s généreuses, et qui se dit, lui : « C’est la dernière des guerres. Nous sommes en train de faire la paix du monde. Grâce à notre sacrifice, nos enfants ne connaîtrons plus ces horreurs. » Il y a celui, tout à côté, dans la même tranchée, qui se dit : « C’est la fin du monde. On y passera tous. Un peu plus tôt ou un peu plus tard, qu’est-ce que ça peut faire ! » Il y a celui qui croit à l’avènement de la justice, qui est encore convaincu que la victoire des démocraties amènera partout la libération des opprimés, la fin du règne de l’argent et de l’iniquité sociale, et qui se consolerait presque de mourir s’il pouvait penser que c’est un peu à cause de lui que les hommes demain seront plus heureux. Il y a celui qui est sentimental, qui ne croit qu’aux affectations particulières, pour qui le monde, c’est quelques êtres préférés, et qui se dit : « Plusieurs de mes amis sont morts. Si tous les amis s’en vont, à quoi bon rester ! » Il y a celui que sa femme a abandonné depuis sa mobilisation pour se mettre avec un autre ; et qui ne reçoit plus de lettres, plus de paquets ; qui s’estime trop vieux pour recommencer une existence, à qui il est maintenant tout à fait égal de mourir, et que l’excès de danger distrait même en lui faisant croire qu’il tient encore à la vie. Il y a celui qui est nonchalant et rêveur, que cela fatigue de lutter contre le destin, et qui se dit : « Je l’ai toujours pensé. Tout est fatal en ce monde. Rien ne sert de se démener. Laissons-nous faire. Laissons-nous porter par les flots ». Il y a celui qui n’a jamais eu de chance, qui a toujours pensé qu’on était injuste envers lui, qu’on l’humiliait, qui a envié le bonheur des autres, et qui goûte maintenant un sentiment d’égalité dans la misère, si doux à son cœur qu’il ne souhaite que du bout des lèvres le retour aux amertumes de la paix. Il y en a un autre à côté de lui, chez qui la guerre a réveillé un vieux pessimisme fondamental, et qui pense de toutes ses forces : « L’univers est une ignoble absurdité. Il était déjà facile de s’en apercevoir. Mais depuis la guerre, c’est une évidence qui crève les yeux. Pourquoi me cramponner à une ignoble absurdité ? » ou bien : « L’humanité est diabolique. Elle souille la surface de la terre. Elle est née pour le meurtre et le suicide. Tant pis pour elle (et tant pis pour moi qui ne suis qu’un homme, qu’un point de cette moisissure)… Il y a celui (et Jerphanion fait un geste du côté de Notre-Dame qui était maintenant juste en face d’eux sur l’autre rive, et que le jour commençait à quitter par le haut) qui se dit : « Ce qui a pour moi de la valeur en ce monde, c’est la langue française, ce sont les cathédrales de ce pays, les quais de la seine, tel paysage qui n’existe pas ailleurs, telle façon de vivre qui n’existe pas ailleurs. Il m’est égal de vivre si tout cela m’est retiré. Et je ne trouve pas absurde de mourir pour que tout cela dure après moi… » Hein ? Tu te représentes cette chaîne de tranchée en tranhée ? Et voilà comment Verdun arrive à tenir.

« Les hommes de bonne volonté » - Verdun

Jules Romains.