LES NAVIRES ET LA LEGION – 1ère partie:

Dans de nombreuses photos et dans de nombreux récits on peut remarquer la présence de grands navires au bastingage desquels les légionnaires aiment fumer une cigarette tout en admirant le foisonnement d’activité des ports ou les paysages marins.

Faisons preuve de curiosité pour remonter le temps et explorer un peu plus ce mode de transport si romanesque.

Les noms de certains de ces grands navires resteront à jamais ancrés dans la mémoire collective comme le Titanic ou le France, d’autres plus modestes le sont dans l’histoire légionnaire comme le Sidi-bel-Abbès ou le Pasteur. Mais il y en eu tant d’autres.

LE CONTEXTE

Le transport maritime a évolué comme bien des choses au fur et à mesure des avancées technologiques, à voile, à vapeur puis avec des énergies fossiles ou nucléaire.

La France a une vocation maritime déterminée par plusieurs facteurs ou atouts :

-          son ouverture sur quatre mers (Nord, Manche, Atlantique et Méditerranée) ;

– l'étendue d'un littoral de 3 200 km (plus important que sa frontière terrestre) ;

– l'aptitude d'offrir de bons ports facilement accessibles et bien protégés, soit au fond de rades sûres (Brest, Toulon), soit sur des estuaires profonds (Lorient. Rochefort).

Cette vocation à conditionné l'expansion commerciale et l'entreprise coloniale d’alors, de nos jours elle conditionne toujours la place de la France sur l’échiquier mondial et la bonne santé économique de notre pays.

Bien que tous les souverains aient utilisé la puissance maritime pour arriver à leurs desseins, peu d'hommes d'État se sont vraiment intéressés à la mer. Certains le firent comme François 1er, Richelieu, un peu Louis XIV… mais surtout Napoléon III.

Il le fit très certainement pour plusieurs raisons :

-          combler le retard pris vis-à-vis de la Grande-Bretagne, Nation avant-gardiste dans l’utilisation de la vapeur et disposant d’une flotte très puissante[1].

-          Un intérêt porté aux États-Unis et à la marine de ce pays ;

-          Le conseil averti et remarquable d’un courant d'idées émanant autant d'une équipe d'officiers de marine que de certains hommes politiques.

La révolution industrielle du XIXe siècle étend ses effets à la marine, dont elle change radicalement les conceptions. Car c'est une véritable métamorphose que subit le matériel naval : la propulsion à vapeur d'abord, l'adoption de l'hélice (après l'essai de la roue à aubes), enfin la construction des coques en fer, remplaçant le bois. De 1848 à 1870, la France connaîtra une politique maritime très ferme, écartant les vaines discussions et s'engageant hardiment dans les voies nouvelles.

Le Prince-Président, puis Empereur, apportera personnellement à chacun ses aspects de l'évolution navale une attention persévérante : c'est à lui que l'on devra la poursuite autoritaire d'une rénovation totale de la flotte de guerre française, liée à une politique d'expansion maritime, commerciale et maritime sur toutes les mers du globe.

Dans la première moitié du XIX siècle les évolutions furent timides. Tout au plus avait-on réalisé le vaisseau mixte, fidèle à la conception du bateau à voiles en bois seulement doté d'une machine à vapeur de faible puissance, uniquement « pour triompher des calmes et des courants ou accélérer les chasses et les retraites ». Les premiers essais de machine à vapeur dans la marine avaient d'ailleurs été décevants, surtout au temps des roues à aubes[2].

En janvier 1848, un mois avant la chute du régime, le projet d'un grand vaisseau à vapeur est tout de même approuvé sous le dernier ministère Guizot à la suite des interventions d'hommes clairvoyants, comme Thiers et Lamartine. Mais en fait, rien n'était encore accompli dans le domaine de la révolution navale.

Louis-Napoléon, lui, la comprend, cette révolution. Dès son élection à la présidence, la construction du vaisseau, alors baptisé « 24 Février », est entamée à Toulon et sera achevée, sous le nom de « Napoléon », dès l'été 1850. Ce sera le premier navire à vapeur à hélice de fort tonnage de la flotte française (5.120 tonnes)[3].

La supériorité de la propulsion à vapeur va être vite démontrée : alors que l'ancienne flotte à voiles restait tributaire des vents et de l'état de la mer, l'adoption de la machine à vapeur assurait désormais aux navires une indépendance relative. On n'allait pas tarder à le voir lorsque le 15 octobre 1854 le « Napoléon » allait seul remonter les Dardanelles, remorquant même le vaisseau-amiral « Ville de Paris », alors que tout le reste de l'escadre française et anglaise restait immobilisé par des vents contraires. Il fut alors décidé par le gouvernement de rénover la flotte sur des bases radicales : la loi des finances stipula « qu'à partir du 1er janvier 1857 tout navire non pourvu de machine cesserait d'être considéré comme navire de guerre ».

Ce préambule Historique pose les jalons des premiers transports de légionnaires. Sans prétention nous allons regarder tout cela au travers du prisme légionnaire et nous débuteront donc en cours de voyage à compter de 1831 en suivant les campagnes et opération qui ont jalonnées notre histoire.

 

Maquette de la frégate Thétis © wikipédia

 

1831-1854

Pour la conquête des territoires d’Afrique du Nord appelés plus tard Algérie, l'expédition française de 1830 contre Alger, cette fois-ci plus aguerrie et mieux organisée que celle de 1664, partait de Toulon, transitait par les Baléares pour arriver sur Alger après de minutieux et rigoureux préparatifs. Cette flotte mixte (composée de bateau à voile et d’autres à vapeur) était en trois échelons de transport.

-          1er : 13 navires de guerre ou de ligne et 2 vapeurs

-          2e : des frégates, un vapeur et des mineurs de guerre

-          3e : de très nombreux navires de transport escortés de frégates et de bateaux de guerre

La flotte mise en place pour l'expédition d'Alger qui appareilla à Toulon le 25 mai 1830 se composait de 453 navires, 83 pièces de siège, 27 000 marins et 37 000 soldats.

Comme nous pouvons le constater aux prémices de la Légion il y a encore de nombreux navires de guerre et de transport à voile dans la royale ou la marchande et quelques vapeurs de faible puissance commencent à être utilisés.

Voyons ce que sont les frégates, navires courants dans la Royale au travers de l’une d’elle baptisée La Thétis, ayant participé à la prise d’Alger en 1830.

La Thétis était une des frégates de second rang[4] à voiles construites entre 1812 et 1830 qui naviguèrent sur toutes les mers du monde et eurent un rôle important dans les conflits. Elle fut lancée le 03 mai 1819. Dans la marine à voile, la frégate se situe entre le vaisseau et la corvette.

Elle est reclassée navire de transport en 1851 puis comme école de mousses jusqu'en 1861 et sera démolie en 1866.

Aussi dénommée classe Thétis, ces frégates de 800 tonneaux furent produites sur des plans de Jacques-Noël Sané de la classe Vénus de 1781. Elles avaient un équipage de 327 hommes réduit à 110 en cas de reconversion en transport et ne gardaient alors que deux canons.

GUERRE DE CRIMEE

Le 05 septembre 1854, l’armée navale française voguait vers la Crimée avec 15 vaisseaux dont 3 à vapeur et 2 mixtes, 11 frégates et 14 corvettes à vapeur, 5 grands transports et quarante neuf bâtiments de commerce. Le corps expéditionnaire de la légion étrangère était à bord au milieu de 28 000 hommes plus de 1 400 chevaux et 68 canons. La navale utilisa aussi trois batteries flottantes cuirassées pour avoir raison des forteresses et appuyer l’action des troupes au sol.

Ces toutes premières batteries flottantes construites en France pour la Marine française, dans les années 1850 sont de la classe Dévastation[5]. Conçues pour répondre au besoin de bombarder les positions ennemies dans la mer Baltique et dans la mer Noire durant la guerre de Crimée, trois d'entre elles iront au combat lors de la bataille de Kinbourn[6].

Longues de 52 m et large de 13 elles avaient un tonnage de 1600 t, une hélice à 4 pales et une machine machinerie vapeur, plus 350 m2 de voilure. D’une puissance de 150ch elles pouvaient naviguer à 3.5 noeuds (6.5 km/H). Blindées avec cent quatre-vingt-trois plaques de 12cm elles disposaient d’un arment conséquent avec seize canons de 50 et deux de 12.

En deux heures le bombardement massif des trois batteries flottantes françaises fera capituler la forteresse de kinbourn le 17 octobre 1855.

batterie flottante la Lave - classe dévastation – 1854 © wikipédia

Les deux bataillons de guerre formés pour l’armée d’Orient par le 2e RLE pour un effectif de 2 200 hommes embarquèrent sur le Jean Bart (400 hommes) déjà occupé par les bataillons du 1e RLE, le reste embarquera sur le Labrador et l’Albatros à destination de Gallipoli.

Le Jean Bart est le troisième navire à porter ce nom. C’est un vaisseau de 80 canons, à propulsion mixte (à voile et à vapeur), construit à Lorient de 1849 à 1852. Il participe à la Guerre de Crimée (1854) et à l'expédition du Mexique (1863-1864). Navire d'application de l'École navale de 1864 à 1868, il est rebaptisé Donawerth avant d'être désarmé en 1869.

Les deux autres navires susnommés ayant transportés des légionnaires sont des frégates à roues mixtes à vapeur de 400 ch, propulsés par une roue à aube et munies d’une importante voilure de 1350 m2.

CAMPAGNE DU MEXIQUE

Pour cette campagne les bataillons du Régiment étranger s’embarquent en 1863 (9 février) au départ de l’expédition sur le Saint-Louis pour le 1er bataillon[7] et le Wagram pour le second[8] à destination de Fort de France puis de Vera Cruz au Mexique où ils débarquent le 28 mars.

Le Wagram est un navire rebaptisé (anciennement Bucentaure). A l’origine c’est un navire de la classe Hercule à 3 ponts et doté de 100 canons de divers calibres et puissant d’une voilure 3150 m2. En 1862 il est transformé en bâtiment de transport à propulsion mixte (machine de 650 chn + 2710 m2 de voilure) et ne gardera que quatorze canons de 30.

Bien des navires transportèrent les Légionnaires durant cette campagne lointaine mais certains comme le Wagram, devinrent des spécialistes de cette liaison pour approvisionner et relever les troupes.

C’est d’ailleurs là que j’ai pu retrouver la première appellation d’un navire France qui a plusieurs reprises partant de Saint-Nazaire ralliait Vera-Cruz pour convoyer des renforts en provenance de la compagnie de dépôt du régiment étranger.

LE TONKIN

Une nouvelle campagne lointaine se dessine une quinzaine d’années après la campagne mexicaine et c’est vers le Tonkin que les légionnaires seront transportés par voie maritime. Les 600 premiers issus du 1er Etranger embarqueront fin septembre 1883. Le 30 décembre 200 hommes de renfort du 1er bataillon les suivront en embarquant sur l’Européen. 600 autres issus du 2e bataillon embarquent le même jour sur le bien nommé Cholon[9], navire de la Compagnie Nationale de Navigation (C.N.N.). Cette compagnie créée en 1881, cessa son activité en 1904. Elle disposa d’une flotte de 13 bâtiments et assurait des services directs et réguliers à grande vitesse sur l'Inde, la Cochinchine, la Chine, les Indes Néerlandaises et les îles Philippines.

Le Cholon fut mis en service en 1882. Ce navire est un steamer[10] construit aux forges et chantiers de la Seyne. Il jauge 3.000 tonneaux, d’une longueur de 105 mètres avec une machinerie de 1 600 chevaux, il était aménagé pour recevoir un millier d’hommes dans d’excellentes conditions.

Il n’eut pas une carrière des plus longues. Après avoir transporté une partie des troupes envoyées récemment à Formose au début de 1885, il s’échoua et fut perdu dans son voyage de retour, au

mouillage de Rangoon (Birmanie anglaise), où il était allé prendre un chargement de riz.

D’autres navires eurent aussi la chance d’embarquer nos fiers aïeux comme par exemple le Chandernagor, le Chéribon, le Comorin, l’Hindoustan, le Canton et le Cholon II.

Les navires dans leur très grande majorité sont désormais à vapeur et en acier.

Le Cholon © Delcampe.net

LA GRANDE GUERRE

A l’aube de la Première Guerre mondiale, les moteurs Diesel prennent le pas sur les machines à vapeur. L’hélice, plus robuste, moins fragile, détrône la roue à aubes. Les navires sont à présent plus rapides, plus maniables, et nécessitent beaucoup moins de main d’œuvre.

Cependant dans le classement mondial des puissances maritimes la France recule du fait du fait des conséquences de la défaite dans le conflit Franco-prussien de 1870-1871. L’attention des politiques est tournée vers la ligne bleue des Vosges c’est-à-dire l’Alsace-Lorraine et ses dépenses vers l’armée de Terre la Marine étant jugée trop couteuse. Elle est donc en troisième position derrière l’Allemagne lancée dans une course aux armements cuirassés avec la Grande-Bretagne qui occupe la tête de ce classement.

Lorsque la conflagration mondiale éclate l’ensemble des armées se trouvent mobilisées en totalité et l’ordre de mobilisation entraînera le monde civil dans ce conflit. Dès 1914 la réquisition des paquebots et cargos est lancée dans le but de les transformer en croiseurs auxiliaires ou en transport de troupes. Un croiseur auxiliaire est un navire marchand armé utilisé par la marine militaire d'un État, soit pour la défense du commerce maritime, soit pour l'attaque de celui-ci. Ce type de navire a été principalement utilisé durant les deux conflits mondiaux du XXe siècle. Pour des fins agressives en ce qui concerne l'Allemagne ; principalement à des fins défensives pour les marines alliées. Le destin de ces navires est assez divers mais certains couleront sous les coups des torpilles des redoutables sous-marins allemands. La légion n’a pas subi de pertes importantes dans de telles conditions mais ce ne fut malheureusement pas le cas de tous.

Ainsi le croiseur auxiliaire Gallia est en réalité un paquebot transatlantique de la Compagnie de navigation Sud-Atlantique, mis à l’eau fin 1913 et réquisitionné deux ans plus tard. C'était un des plus grands navires construits avant la Première Guerre mondiale, mesurant 182 mètres, jaugeant 15 000 tonnes. Développant une puissance de 26 000 chevaux, il atteignait la vitesse de 18 nœuds et pouvait transporter 1 000 passagers. Ce type de navire n’a plus rien à voir avec les premiers bateaux à vapeur et les supplante en tout.

En octobre 1916 il embarque 1650 soldats de diverses unités françaises et 350 fantassins serbes. Il part de Toulon pour rejoindre Salonique en Grèce sans son bâtiment d’escorte, qui victime d’une avarie reste au port. Peu après avoir appareillé, l’équipage du Gallia reçoit un message l’avertissant de la présence d’un sous-marin allemand venant des Baléares et faisant route vers l’Adriatique.

Il s’agit de l’U-35, commandé par le Kapitänleutnant (Lieutenant de Vaisseau) Lothar von Arnauld de La Perière, dont l’arrière-grand-père, français, s’était mis au service du roi de Prusse. Cet officier avait déjà un palmarès plus qu’éloquent puisqu’en 14 missions il avait déjà coulé près de 190 navires marchands. Malheureusement le Gallia va croiser sa route entre les cotes de Sardaigne et de Tunisie. La torpille lancée par le U-35[11] toucha le Gallia au niveau de la soute arrière tribord, là où étaient entreposées les munitions et les armes. Une explosion « formidable » s’en suivit, laquelle n’a laissé aucune chance au navire, qui coule en moins de 15 minutes. Sur 1846 hommes restés à bord n’ayant pas réussi à atteindre une chaloupe, seuls 600 seront sauvé le lendemain. Le croiseur sera cité à l’ordre de l’armée. Cette catastrophe dans le triste martyrologue maritime reste à ce jour la seconde derrière celle du Titanic.

Même le paquebot France le 2e du nom sera mis à contribution. Mis en service en 1912, tout aussi luxueux, impressionnant et avant-gardiste[12] que son successeur chanté par Michel Sardou, il naviguait sur les mêmes eaux que le Titanic. Ce paquebot de la Compagnie Générale Transatlantique, devient croiseur auxiliaire, il est rebaptisé France IV. Rapidement il sera lui aussi transformé en transport de troupes.

Le Gallia en 1913.

[1] La moitié de la flotte mondiale. En En 1789, avec 80 vaisseaux, 80 frégates, 120 bâtiments légers, 80 000 inscrits maritimes et plus de 1 600 officiers, la marine française est la deuxième du monde. En 1815, la marine française reste, malgré ses pertes, la deuxième du monde.

[2] en 1830, à la prise d'Alger, sur les sept vapeurs de la flotte, trois sont parvenus à destination et un seul fut effectivement opérationnel, « le Sphinx »). Ce n'est qu'en 1842 que l'adoption de l'hélice sur la frégate « La Pomone » marquera une étape décisive.

[3] Le tonnage est la mesure du volume intérieur d'un navire de commerce, c'est-à-dire sa capacité de transport.

[4] portant 50 canons.

[5] Cinq ont été construites et lancées en 1855 – la tonnante – la dévastation – la lave – la foudroyante – la congrève. Elles sont retirées du service en 1867 pour la dernière et les autres en 1871.

[6] La bataille de Kinbourn est une opération navale franco-britannique, suivie d'un débarquement de troupes françaises, durant la phase finale de la Guerre de Crimée après la chute de Sébastopol.

[7] 21 officiers – 761 hommes de troupe et 3 cantinières

[8] 27 officiers – 671 hommes de troupe et 5 cantinières

[9] Cholon est un quartier de Saïgon, au Viêt Nam.

[10] Bateau à vapeur propulsé par une ou plusieurs Hélices.

[11] Le Unterseeboot 35 (U-35) est un sous-marin allemand de classe U 31 qui opéra en Méditerranée pendant la Première Guerre mondiale. Il s’est avéré être le sous-marin le plus titré participant à la Première Guerre mondiale, coulant 224 navires pour un total de 539 741 tonnes métriques. Son capitaine ayant servi le plus longtemps fut Lothar von Arnauld de la Perière. Sous son commandement, le U-35 coula 195 navires, faisant de lui le commandant de sous-marin le plus titré de l'histoire.

[12] C’était le bateau le plus électrifié de son époque.

 

Major (er) Jean-Michel Houssin.