L’emploi et le grade de Sergent-Major.
Au fil de l’histoire, ce grade a, lui aussi, été décliné en de multiples emplois, qui n’avaient rien de commun avec le grade du sergent-major du XIXe siècle. Ces emplois, pour la plupart, représentaient des postes d’officiers de haut rang[1], puis des emplois de sous-officiers. PUYSSEGUR[2], à la fin du XVIIIe siècle, devina la nécessité de donner un titre à un grade qui, dans chaque compagnie, avait existé déjà sous la dénomination de sergent d’affaires, mais que la loi militaire n’avait pas pris soin de consacrer.
Il proposait de le créer sous la qualification d’aide-major de compagnie. L’ordonnance du 1er mars 1768 ne reconnaissait pas encore de sergents-majors, elle appelait fourrier le bas-officier qui, alors, en remplissait les fonctions. Un livre, presque inconnu, de GUYNET, publié en 1771, proposait de créer des sergents-majors à l’instar des gardes françaises. SINCLAIRE énonçait la même idée, mais préférait leur donner le titre de sergent d’affaires. L’ordonnance du 25 mars 1776, confirmée par celle du 17 mars 1783, est la première qui ait mentionné le sergent-major, pris dans le sens où il en est question ici.
Il remplaça le sergent-fourrier, ou, en d’autres termes, le fourrier devint sergent-major. Sous les ordres de l’adjudant et du vaguemestre, il avait le commandement et la surveillance des sergents de la compagnie.
Extrait de l’ordonnance du roi du 25 mars 1776 (elle est en vieux françois, le F remplaçant quasi systématiquement le S actuel)
Article 7.
Chaque compagnie Colonelle ou Lieutenante-colonelle, fera commandée par un Colonel en second ou un Lieutenant-colonel, un Capitaine-commandant, un Capitaine en fecond, un premier Lieutenant, un Lieutenant en fecond & deux Sous-lieutenans ; & composée d’un Sergent-major, d’un Fourrier-écrivain, de cinq Sergens, de dix Caporaux, d’un Cadet-gentilhomme, d’un Frater, de cent quarante-quatre Fusiliers, de deux Tambours ou autres Inftrumens, formant un total de cent foixante-onze hommes, y compris les Officiers, & non compris le Colonel en fecond ou le Lieutenant-colonel.
Article 15.
Le Sergent-major de chaque compagnie ne fera aucun fervice ; il sera chargé fupérieurement aux autres Sergens qui lui feront fubordonnés, de tous les détails du fervice & de la discipline, fous les ordres des Officiers de la compagnie. Le Fourrier sera un Écrivain, & ne fera d’autre fervice que celui de tenir les registres, former les états & pourvoir au logement de la compagnie.
Le Quartier-maître-tréforier sera chargé de tenir les registres de recette & de dépenfe, & de recevoir l’argent qu’il dépofera dans la caiffe ; il aura le rang & les prérogatives de Lieutenant.
L’Adjudant aura rang de premier Sergent-major, tous les Sergens-majors des compagnies lui feront fubordonnés ; il remplira toutes les fonctions de détail que rempliffoient les Aides-major & les Sous-aides-major. Le Major fera fuppléé, tant pour fon fervice que pour fes fonctions, par le plus ancien Capitaine, préfent au Corps.
Dans la cavalerie, le maréchal des logis-chef était son équivalent. Le sergent-major, en 1808, était chargé de l’administration de la compagnie. Néanmoins, compte tenu des différentes missions, des stages, des congés, etc. le sergent-major était souvent l’adjoint du capitaine commandant la compagnie.
Il était aussi le président des bas-officiers et le comptable de l’unité. Il organisait le service intérieur de la compagnie, tant au quartier que sur le terrain. Sous l’Ancien Régime, son équivalent à l’état-major du régiment, était le grade d’adjudant sous-officier, qui fut aussi établi en 1776 et qui était le premier des bas-officiers du régiment.
Alors que la Légion étrangère était créée, le sergent-major était le quatrième dans l’ordre hiérarchique d’une compagnie et le plus élevé en grade-emploi des sous-officiers. Il fut durant de nombreuses années, de 1831 à 1875, l’éminence grise du capitaine.
Encadrement d’une compagnie de Légion étrangère sur la période du 10 mars 1831 au 29 mars 1875
1 capitaine
1 lieutenant
1 sous-lieutenant
1 sergent-major
4 sergents
1 fourrier
8 caporaux
Le sergent-major
Dessin de l’adjudant-chef Burda – KB n°280 août 1970 © Légion étrangère
En fait, il en est le second personnage, juste après le commandant de compagnie car les détachements d’officiers dans des fonctions annexes[3] et la longueur des congés qui durent fréquemment six mois, font qu’il n’y a très souvent qu’un seul officier présent à la compagnie.
Le sergent-major est à la fois en termes contemporains, adjudant de compagnie, comptable et président des sous-officiers. Adjudant de compagnie, il organise le service intérieur de l’unité tant à la caserne que sur le terrain ou au poste ; il est donc un combattant. Certains se sont distingués par leur bravoure et leurs exploits et leurs noms sont restés dans nos mémoires : Salem durant le conflit espagnol, DOZE qui se distingua à Constantine ou TONEL lors du combat de Camerone.
Pour ce qui est de la fonction de comptable, son ampleur dépend en grande partie des qualités d’administration du capitaine. En effet, au moins lors des premières dizaines d’années de notre histoire légionnaire, nombreux sont les officiers à titre étranger, maîtrisant mal le français, les règlements ou reproduisant les us de leurs pays d’origine. Le sergent-major devient alors le seul en capacité de gérer la compagnie et les plus sages des capitaines s’en remettent à eux. La plupart du temps, ils n’ont pas à se repentir de cette confiance accordée.
Le sergent-major était alors un bas-officier d’élite et longtemps ce corps s’est présenté comme un vivier pour le choix des officiers. Avant 1875 ce sont la moitié des officiers qui sont issus des rangs des sergents-majors.
Le rôle de président des sous-officiers est moins évident et n’apparaît pas dans les textes. Cependant, pouvons-nous concevoir que ce sous-officier, cumulant ces adjectifs, ancien, respecté, instruit, n’ai pu être pour les sergents un guide, un conseiller et un éducateur.
Ce grade et ses fonctions attenantes sont donc pour beaucoup le point de départ d’une brillante carrière. Responsable également du bien-être de la troupe, le sergent-major apparaît bien dans les quarante premières années de la Légion, comme une fonction assimilée à un grade très important.
Pour démontrer l’ampleur de la tâche dévolue au sergent-major, ne serait-ce que du point de vue administratif, je prendrai pour exemple un ouvrage dénommé Théorie de comptabilité à l’usage des sergents-majors et fourriers d’infanterie, rédigé par M. Émile LECLERC, officier payeur au 56e Régiment de ligne en 1828. Le but de celui-ci était de faciliter et de rendre plus rapide le travail des intéressés, en leur évitant de compulser sans arrêt une foule de documents et règlements.
L’énumération simplifiée des trois parties définies par l’auteur suffit à éclaircir l’immense champ d’investigation de ces sous-officiers :
- Première partie – questions générales – traite de l’homme qui quitte ses foyers pour aller se ranger sous les drapeaux – de l’enrôlé volontaire partant rejoindre son corps – des positions donnant droit à la solde de présence et d’absence – de la division de la haute paye – de la première mise de petit équipement – des suppléments de solde – etc.
- Deuxième partie – fonctions du sergent-major – responsabilités – registres qu’il doit tenir – marche à suivre pour recevoir et réparer les effets d’habillement, d’équipement, d’armement, de ligne et de chaussure – mode de réception du prêt (de la solde) – mode de distribution – etc.
- Troisième partie – fonctions du sergent-fourrier – responsabilités – connaissance de toutes les distributions – la composition, la mesure et le poids des rations de toute nature – les signes qui indiquent la bonne qualité du pain, du vin, de l’eau-de-vie et du chauffage – la composition des lits militaires – etc.
Il terminera son préambule avec cette citation : « Mon seul et unique but, en livrant mon livre à l’impression, a été d’être utile à une des classes les plus intéressantes de l’armée, celle des sergents-majors et fourriers : si j’ai réussi, ce sera pour mon cœur le suffrage le plus précieux. »
Après le conflit franco-prussien, de vastes réformes structurelles sont mises en œuvre. Les sergents-majors vont les subir plus que tout autre sous-officier. À double titre ; le premier est que l’accession à l’épaulette est conditionnée par un concours et une formation en école, cela passe encore, les sergents-majors sont des érudits pour la plupart. Néanmoins, ce sont les limites d’âge qui vont les exclure pour la grande majorité de cette possibilité de promotion. Le second découle de la réforme des effectifs et de la réorganisation des bataillons en 1875[4], avec l’ajout d’un sous-officier au grade d’adjudant par compagnie. Ce faisant, il perd son rôle présumé de président des sous-officiers, mais surtout celui d’adjudant de compagnie et donc de combattant. Se distinguer au feu afin d’être promu sous-lieutenant devient alors très hypothétique.
Le sergent-major, auparavant omniprésent dans la gestion de la compagnie, ne devient alors plus que comptable. Sa charge de travail reste cependant colossale, car les effectifs des compagnies ont doublé, mais l’aura de sa fonction s’en trouve sensiblement réduit. Comptable, il l’est au sens propre du terme. Le système des masses l’oblige, en effet, à tenir des comptes nombreux. Il y a l’ordinaire, la solde, l’habillement, la tenue des livrets matricules.
Plus tard, il perdra encore une partie de ses attributions comme celle de la gestion de l’ordinaire, qui est regroupée par bataillon. Cependant, sa tâche reste difficile, les matériels évoluent très vite et se diversifient. La gestion du matériel et des animaux, comme dans les compagnies montées, devient bien plus complexe et cela sera le cas jusqu’en 1945, avant l’apparition d’un nouveau mode de gestion.
En 1928, alors que le grade de sergent-chef ou maréchal des logis-chef était créé, ils furent assimilés à ce grade et seule l’appellation perdura, avant que le grade soit réhabilité par une loi en 1941. Encore de nos jours, à la Légion étrangère, le bureau administratif d’une unité est appelé bureau major.
Malgré tout, le déclin de ce grade et de son rôle est amorcé. L’évolution des techniques de gestion va bouleverser cet équilibre tranquille. Les personnels sont plus longs à former, les matériels toujours plus perfectionnés et coûteux. Les compagnies perdent alors rapidement leurs responsabilités administratives. De 1942 à 1962, ce grade restera celui du sous-officier responsable de la comptabilité de la compagnie.
Il n’a plus été nommé de sergent-major depuis 1964 et le grade a été définitivement supprimé en 1971. Le dernier sergent-major au sein de la Légion étrangère a quitté nos rangs en juin 1971, pour l’armée de Terre, le dernier a fait valoir ses droits à retraite en 1985.
Appellation orale : Sergent-major / Maréchal-des-logis major
Abréviation SGTM – MDLM
Sergent-major en 1960
KB n°299 mars 1972 © Légion étrangère
LE GRADE DE SERGENT-CHEF
Malheureusement, il y a très peu à en dire, les quelques allusions sur la genèse de ce grade sont très lapidaires. Il semble donc qu’au-delà de toute autre logique, ce soit juste une mesure technique et administrative sans autre forme de raison.
Créé à l’occasion de la réforme de 1928, ce grade vise à remplacer les grades de sergent-major et sergent-fourrier qui étaient des grades de plume (administratifs) plus que d’épée.
Le sergent-chef fait partie des sous-officiers subalternes. Il est en dessous de l’adjudant et au-dessus du sergent.
À la Légion étrangère, le commandement s’est toujours attaché à ce que ce grade ait des responsabilités différentes de celles d’un sergent, sauf, parfois, dans des unités très spécialisées. En règle générale, il tiendra le poste de sous-officier adjoint d’une section.
Appellation orale : Sergent-chef / Maréchal des logis-chef / Chef
Abréviation : SCH / MDC
Le sergent-chef
Dessin de l’adjudant-chef Burda – KB n°303 juillet 1972 © Légion étrangère
LE GRADE DE SERGENT-CHEF BREVETÉ
Voici le dernier-né de la hiérarchie militaire dans l’armée de Terre, en l’occurrence le grade de sergent-chef breveté.
La promotion à ce grade est conditionnée et rendue automatique par la réussite d’un examen, le BM2[5]. C’est la seconde balise définie au sein du parcours rénové 2021, pour les cursus de formation des sous-officiers.
La Légion étrangère, quant à elle, du fait du statut de ses sous-officiers en tant que militaires à titre étranger (MTE) gardera cependant cette possibilité d’avancement sur le principe, « au choix ». Dans sa réalisation, ce galon est identique à celui des sergents-majors d’antan. Composé de trois chevrons accolés de couleur d’or ou d’argent en fonction de l’arme, il est surmonté d’un quatrième chevron légèrement distant des trois premiers.
En bref rien de nouveau ! C’est dans son appellation, en revanche, que l’on pourrait trouver à y redire et, là encore, c’est un avis personnel, mais qui je le pense sincèrement sera partagé par nombre de sous-officiers ayant bien voulu y réfléchir. Quel manque de panache ! Quel terme technico-administratif, sobre, épuré à souhait et pour tout dire insipide ! Sergent-chef breveté, tout est dit, mais, en même temps, rien.
Il me semble que si l’on avait remis en vigueur l’appellation de sergent-major, cela aurait été bien plus militaire et bien plus beau. Ça ne claquera pas vraiment, pour emprunter une expression bien connue de nos adolescents, d’annoncer au pékin[6], « je suis sergent-chef breveté ». Espérons que cela ne soit qu’une erreur de jeunesse et que l’avenir redonne un peu de lustre à ce grade !
Appellation orale Sergent-chef / Maréchal des logis-chef / Chef
Abréviation SCH / MDC
Sergent-chef breveté en conversation avec le COMLE lors d’une visite de commandement
©Facebook 2e REI
ANECDOTE - LA PLUME SERGENT-MAJOR
C’est une invention hollandaise introduite au XVIIe siècle à Port-Royal, venant des Pays-Bas où les jansénistes[7]avaient des correspondants, et répandue en Angleterre à partir du milieu du XVIIIe siècle, la plume métallique se répand en France dans le courant du XIXe siècle, supplantant l’usage de la plume d’oie.
Créé en 1776 par le roi Louis XVI, le sergent-major correspond, dans l’infanterie, au grade le plus élevé de ce qu’on appelait à l’époque les « bas-officiers », soit nos actuels sous-officiers. Au sein de la compagnie, il tient un rôle spécifique : il est à la fois le comptable et le responsable administratif. Jusqu’en 1870, ce grade constitue un véritable ascenseur social : c’est dans ce vivier de soldats d’expérience que sont sélectionnés les hommes destinés à devenir officiers. Le sergent-major jouit ainsi d’une réputation d’intellectuel parmi les hommes de troupe.
Cette renommée conduit alors les Établissements Gilbert et Blanzy-Poure Réunis à baptiser leur nouvelle plume métallique la « Sergent-Major », commercialisée à partir de 1856, à destination des maîtres d’école. Le contexte politique et patriotique de la guerre de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine transforment vite cette nouveauté en outil de propagande.
Les instituteurs reçoivent des instructions pour l’utilisation de ce matériel au nom rappelant la volonté exemplaire déployée par les soldats pour la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine après la guerre de 1870. Il s’agit alors d’exalter les vertus patriotiques dont on aura besoin pour la future revanche.
La plume Sergent-Major devient synonyme de victoire après la restitution de l’Alsace et de la Lorraine en 1919.
Présentées dans un emballage cartonné, fermé par un ruban tricolore, les boîtes sont décorées d’une image en couleur représentant une victoire des armées françaises.
Malheureusement, les années soixante et l’arrivée des stylos à bille condamneront la plume Sergent-Major à disparaître progressivement.
Quant au grade militaire de sergent-major, il sera définitivement supprimé en 1971.
Boîte de plumes Sergent-Major supérieures de la Société Gilbert & Blanzy-Poure © https://www.lecritoireparis.com
Major (e.r.) Jean-Michel HOUSSIN
[1] Sergent-major au camp, major de bataille, major de chasseurs, major de compagnie, major de corps, major de place, major en garnison, major en route, major général.
[2] Amand Marie Jacques de Chastenet, marquis de Puységur, né le 1er mars 1751 à Paris et mort le 1er août 1825 à Buzancy, est un officier- général d’artillerie, connu pour ses expériences retranscrites de la pratique du magnétisme animal sur l’homme.
[3] Bureaux arabes, rapporteur du conseil de guerre, commandant des ateliers de condamnés, officiers d’ordonnance de généraux, etc.
[4] 13-28 mars 1875 – Loi relative à la constitution des cadres et effectifs de l’armée d’active et de l’armée territoriale.
[5] Brevet militaire du 2e niveau.
[6] Selon certaines sources, le mot pékin – ou péquin – aurait fait son apparition dans le vocabulaire militaire pendant les guerres de la Révolution (1792-1802). Ce terme serait issu du provençal péquin, qui désigne quelqu’un de malingre, chétif, et se serait diffusé dans l’armée par l’intermédiaire des contingents de méridionaux composant les armées révolutionnaires. À cette époque, le pékin désigne le bourgeois, le civil, celui qui est étranger au monde militaire, à ses codes et à ses habitudes.
[7] Le jansénisme est une doctrine théologique à l’origine d’un mouvement religieux, puis politique et philosophique, qui se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles.