Le matricule, ou contrôle général de signalement, ou contrôle matricule, ou registre matricule; les ordonnances ont longtemps employé ces trois locutions dans le sens d'inscription de services, avant d'adopter le simple terme « matricule » .
Son usage date de la restauration. le mot matricule vient du latin, il a été d'abord militaire, a cessé de l'être et l'est redevenu.
Végèce[1] témoigne que l'album qu'on nommait matricula ordinum, était un recensement officiel et légal des soldats. Un autre historien[2] témoigne que matriculatus était synonyme de solidatus, homme à payer ; d'où sont venus l'italien soldato et le français soldat. Au Moyen Âge, on appelait en France matricule, le rôle des pauvres d'une paroisse (dans ce document, indigents ou immatriculez étaient synonymes), le commis qui les enregistrait, s'appelait le matriculaire. Avant l'année 1666, aucune règle écrite n'existait dans l'armée, au sujet de l'inscription ou enregistrement matriculaire ; des contrôles de signalement commencèrent à cette époque à être tenus, mais les progrès furent si lents qu'au milieu du 18e siècle, on appelait vaguement encore « livre du major » ce qu'on a nommé ensuite registre matricule[3]. ;
Pour l’anecdote, le code de 1795 (12 MAr, sect. 4, tit. 118) punissait de cinq ans de fers le faux dont se rendait coupable l'homme qui se faisait inscrire sur le Matricule sous un autre nom que le sien.
Dans les usages de l'administration du siècle suivant considérée par rapport à l'infanterie française, il existe le « Matricule ministériel » et le « Matricule régimentaire », c'est-à-dire contradictoirement tenue, l'une au Ministère de la Guerre, l'autre à l'administration des corps (régiments). Le ministère tient en outre une Matricule des militaires sans troupe.
Le Matricule est comparable à ce que nous appelons aujourd’hui le dossier du militaire et comprend tous les renseignements d’identification mais aussi ses relevés de carrière (affectation, blessures, décorations, …).
Extrait d’un registre matricule du 2e RLE – 1842 - © SHD
Les inscriptions successives sur le matricule sont un relevé des renseignements fournis par les contrôles annuels d’alors. Les inscriptions sur le matricule ministériel sont un relevé des renseignements périodiquement adressés au Ministre, relatant les inscriptions couchées sur la matricule des Corps depuis le dernier envoi. Un relevé du Matricule, sous le nom de « contrôle signalétique », fait partie du livre de compagnie.
Le matricule régimentaire est confié au trésorier du corps et tenue par lui au dépôt ou au lieu principal de l’administration ; il ne doit jamais être emporté hors du royaume. S'assurer de la tenue régulière du Matricule est un des devoirs des inspecteurs généraux.
Le numérotage du Matricule est, il faut le dire, une cause d'embarras et de difficultés. Le rapide renouvellement des corps grossissait la série des chiffres, jusqu'à quatre et cinq ; les trésoriers étaient donc parfois obligés de recommencer la série ordinale pour ne pas atteindre six chiffres.
Matricule à l’engagement des légionnaires
L’immatriculation des légionnaires a fonctionné selon deux modes. De 1831 à 1940, ceux-ci reçoivent un matricule dans leur régiment d’affectation. On remarque que les légionnaires de l’époque pouvaient avoir plusieurs matricules. Les immatriculations étaient alors attribuées au niveau du corps.
1896 - Matricule du leg de 1er classe Pecqueux alias Van der Kerkof
à l’époque la mise sous identité déclarée était quasi exceptionnelle © SHD
Une fois environ 10 000 matricules attribués, ce qui correspond à dix registres matriculaires complets, ils étaient repris pour en extraire le personnel encore en service, afin de les immatriculer une seconde fois sur un nouveau registre en reprenant les immatriculations au n° 1. La règle des 10 000 matricules est assez fluctuante, car dès 1849, nous trouvons des immatriculions jusqu’à 11 629 au 2e RLE[4], ou jusqu’à 20 500 en 1899 au 2e Régiment étranger[5]. Cette attribution d’un nouveau matricule, était également de rigueur lors du licenciement des unités ce qui était assez courant, ou lors du changement d’appellation de celles-ci. Dans le même ordre d’idée, le légionnaire recevait un nouveau matricule lorsqu’il était muté au sein d’un autre Régiment étranger.
Dans son dictionnaire, M. Comor, en citant une source en provenance du SHD[6], décrit le matricule et sa constitution sur la période de 1831 à 1940. Il est alors fait état des deux derniers chiffres de l’année d’enregistrement suivis d’un numéro chronologique suivant leur inscription sur le registre du corps, qui change donc à chaque nouvelle affectation.
La lecture des anciens registres matriculaires ne permet pas de corroborer cette description du matricule. En effet, le numéro matricule composé comme tel n’apparaît à aucun moment dans ceux-ci. Ces registres, tenus localement, décrivaient d’une manière extrêmement précise le candidat engagé et tout le parcours de sa carrière. Il est donc assez peu probable que d’autres écrits aient pu ou dû être tenus pour suivre les engagements.
Deux exemples pour étayer ce propos :
– le légionnaire Delhome Eugène, du 2e RE, a été immatriculé quatre fois au cours de sa carrière militaire avec les numéros suivants : 521 – 8008 – 8996 – 12583 – avant de décéder dans le Sud-Oranais en 1902. Ces numéros n’ont aucun lien avec l’année d’enrôlement ;
– dans les registres plus récents une mention de la classe de mobilisation et ensuite le numéro d’ordre dans la liste d’enregistrement du lieu d’engagement. Ainsi, en 1939, l’engagé volontaire Gambi Edgard, italien de nationalité, a été engagé à Paris pour la durée de la guerre, le 12 septembre au titre de la Légion, en étant annoté : « classe de mobilisation 1939 – numéro dans la présente liste 3126 ». On voit bien qu’il n’est pas fait mention de l’année dans le numéro d’ordre.
En 1922, le général Franchet d’Esperey fit une proposition pour que l’immatriculation des engagés volontaires soit centralisée au 1er Régiment étranger, mais à l’époque le commandement ne retient pas cette idée, estimant cette charge trop lourde pour le corps.
Plus tard, le dispositif évolue, à la suite des réformes engagées par le contrôleur général des armées René Carmille[7], vers un service matriculaire unique, en 1941, sous l’autorité du 1er Régiment étranger. C’est ainsi que selon le nouveau système le légionnaire Octave Bouveret reçoit le numéro 00001 de la nouvelle matricule légion (numéro d’incorporation). Il tombera au champ d’honneur le 23 mars 1947 dans l’attaque de Phun Huan avec le grade de sergent à la 13e DBLE.
Au moment où nous rédigeons cet article, les plus jeunes des légionnaires se voient attribuer un numéro matricule supérieur à 213000. On peut donc tirer de cette immatriculation une déduction assez simple, 2 760 légionnaires en moyenne ont été engagés et immatriculés au sein de la Légion étrangère chaque année depuis 1941. Cette moyenne ne vaut qu’en tant que telle ; il y a eu des pics de recrutement énormes, comme durant le second conflit mondial ou celui en Indochine ; la cible actuelle est de 1 800 immatriculations, en moyenne, par an.
Légionnaire portant son matricule tatoué sur le cœur. © Victor Ferreira
Malgré l’instauration de cette matricule Légion unique, pendant plusieurs années (jusqu’en 1962, retour du 1er RE en métropole) il est quasi certain que ces matricules Légion ne sont pas attribués dans un ordre parfaitement chronologique.
En effet, dans l’article 10 du document de référence, édité en décembre 1959 il apparaît que l’attribution de ce matricule Légion se réalise dans les conditions suivantes :
– Le numéro d’incorporation est défini comme : « variable en fonction du corps d’affectation » ;
– Les étrangers, engagés à la Légion étrangère, reçoivent un numéro d’incorporation attribué par le colonel commandant le 1er Régiment étranger dans les conditions fixées par l’instruction du 8 juin 1911 (articles 15 et 16) relative à l’établissement et à la tenue à jour des pièces matricules (B. O., É. M., vol, 10) ;
– Par ailleurs, en vue de permettre un éventuel dépôt de plainte en désertion à l’encontre de tout individu qui, après s’être présenté à Marseille ne rejoindrait pas sa destination définitive à Sidi-Bel-Abbès, tous les hommes qui ont souscrit en Europe un contrat d’engagement au titre de la légion étrangère, reçoivent dès leur arrivée au dépôt de celle-ci, un numéro d’incorporation définitif attribué par le colonel commandant le 1er Régiment étranger, ainsi qu’il est dit à l’alinéa précédent.
Les possibilités de converser rapidement à l’époque et les moyens à disposition des différents services entre la France et l’Algérie étaient plus qu’aléatoires. De ce fait, il est plus que probable que des séries de numéros d’incorporation étaient attribuées par décision de commandement au dépôt de la Légion étrangère de Marseille, permettant ainsi une immatriculation immédiate du candidat
.
Le retour en métropole, en 1962, du 1er Régiment étranger a permis sans aucun doute de mettre fin à cette pratique en n’ayant plus qu’un centre d’incorporation stationné à Aubagne.
Dans le même temps, un nouveau numéro d’immatriculation, différent du matricule spécifique à la Légion, voit le jour à la suite de l’affiliation nécessaire des militaires à la Sécurité sociale. Cette nouvelle immatriculation, appelée Numéro d’identification Défense, suit donc les règles de cet organisme.
L’immatriculation des étrangers non rectifiés d’état civil sera alors composée de dix chiffres :
– les deux premiers chiffres se réfèrent à l’année d’incorporation ;
– les trois suivants correspondent au département de recrutement ;
- 137 – pour le dépôt de la Légion étrangère de Marseille ;
>> 13 – indicatif du département des Bouches-du- Rhône ;
>> 7 – pour les étrangers ;
- 927 – pour les immatriculations réalisées au 1er RE (stationné alors en Algérie)
>> 92 – indicatif du département d’Oran ;
>> 7 – pour les étrangers ;
– les cinq derniers sont les chiffres du matricule légion, dénommé aussi numéro d ’incorporation, précédé du nombre de zéros nécessaire pour qu’il comporte cinq chiffres.
Il est à noter que les Français s’engageant sous identité déclarée sont immatriculés comme des étrangers puisqu’ils n’ont plus alors la nationalité française.
Une fois la rectification d’état civil effectuée, ils reprennent leur Numéro d’Immatriculation Défense (NID) française qui suit les prescriptions de l’article 16, de l’instruction No 59 000 P. M. 7/A. E. du 9 avril 1956 et se décompose comme suit :
– les deux premiers chiffres représentent la vingtième année ;
– les trois suivants, le département de recensement ;
– les cinq derniers, le numéro d’ordre au sein du département et dans l’année considérée.
Exemple : 81 600 10033 – légionnaire né en 1961, recensé dans le département de l’Oise, 10 033e dans l’ordre du recensement annuel.
Major (e.r.) Jean-Michel Houssin.
Sources :
- Le recrutement à la légion étrangère histoire et évolutions 1831-2019 – éditions d’un autre ailleurs - – Jean-Michel Houssin – 2019;
- 1841 à 1851 – Dictionnaire de l’armée de Terre – Étienne-Alexandre Bardin – Volumes 1 à 17 ;
[1] Végèce (Publius Flavius Vegetius Renatus) est un écrivain romain de la fin du IVe et de la première moitié du Ve siècle de l’ère chrétienne, auteur de trois œuvres dont le succès ne s'est jamais démenti tout au long du Moyen Âge et de l'époque moderne : l’une portant sur l'armée et la tactique militaire romaine, intitulée Epitoma rei militaris.
[2] Ménage – historien et gramairien français du 17e siècle.
[3] à celle époque il n'en était pas encore tenu un double au Ministère de La Guerre.
[4] Source SHD – Registre matricule / 34YC5282-2e RLE-12o VOL – 11001 à 11629.
[5] Source SHD – Registre matricule / 48YC424-2e RE-N-128o VOL – 20251 à 20500.
[6] Source de M. Charles RIDET – SHD-Terre, 7N 2314.
[7] Contrôleur général des armées, créateur sous l’Occupation du Service National des Statistiques (SNS), qui deviendra l’Insee en 1946, et du numéro de code individuel qui deviendra, à la Libération, le numéro de Sécurité sociale, toujours utilisé en France.