Combien existe-t-il de ces gens qui se considèrent comme sans importance, qui espèrent s’élever dans l’échelle sociale et sont broyés par des communautés qui ne leur donneront pas la moindre chance ?


Cette femme avait laissé une impression si vague qu’on ne se souvenait même pas de son nom dans la communauté où elle avait pourtant séjourné en tant que compagne de légionnaire.

Une grande partie de sa vie active, elle l’a passée comme “femme au foyer”.
Elle était de celles qui, administrativement, étaient “sans profession”. Venue d’un ailleurs lointain, elle était une de ces femmes “au foyer”, celles qui réalisent la majeure partie des tâches du ménage : entretien domestique, achats, épluchage… du budget, repas, surveillance et éducation des enfants.

Lors du décès de son compagnon de vie, elle devenait administrativement “parent isolé”. Isolée ? Voilà bien une expression qui lui correspondait parfaitement.
Cette « super-maman » subissait aussi, souvent, des agressions fréquentes de dépressions, conséquences incontournables d’une vie difficile, où se vivait le sentiment d’être victime d’une situation malgré tout acceptée, mais dont les contraintes et les obligations s’étaient accentuées jusqu’à devenir insupportables.

Quand le mari ou le compagnon vient à disparaître, elles ne sont plus rien, elles entrent dans une forme d’anonymat, elles n’existent tout simplement plus, même pour cette communauté particulière – fût-elle légionnaire – sa principale rivale quant à partager la vie de son « homme » du temps de son vivant.

Ce dernier, souvent épuisé par une journée harassante, n’avait que l’envie d’être au calme pour récupérer d’une activité toujours plus envahissante, et l’âge venant...

Lors du décès de son conjoint, celui-ci lui laissa peu d’argent pour faire face et survivre.
Ils n’étaient pas mariés, mais elle parvint néanmoins à bénéficier d’allocations de solidarité aux personnes âgées.

Qui, encore aujourd’hui, pensait à elle ? Il y a tellement longtemps qu’elle avait quitté la vie “active”... Son souvenir remontait au temps de la mise à la retraite de son compagnon.

  • Elle cherchait les renseignements pour améliorer sa petite condition matérielle, mais ne faisait plus appel aux assistantes sociales, qui ne répondaient jamais à ses sollicitations.
    Il lui semblait bien qu’elle les ennuyait.


Récemment, elle s’était modernisée grâce à la navigation sur Internet de l’une de ses filles, et participait à des forums, réussissant à mettre une pause à sa solitude, jusqu’à oser :
« J’ai 72 ans, élevé 9 enfants, ai-je droit à quelque chose ? Combien environ ? Dites-moi quoi faire SVP. »

Elle s’est éteinte sans avoir d’autre maladie que celle d’être épuisée.
Trois de ses enfants, qui avaient gardé le contact avec leur mère, étaient là pour sa mise en “terre commune” dans le cimetière du village où elle résidait.

À Dieu, Madame.


À l’annonce de votre décès, je me souvenais surtout de votre gentillesse, de votre dignité et de votre élégante beauté.


Je regrette beaucoup que la vie ne vous ait aucunement épargnée et que vous n’ayez point trouvé cette solidarité que vous recherchiez sans jamais la rencontrer… mais existe-t-elle vraiment, au-delà des mots ?

Il n’y a pas si longtemps, j’entendais dire :


« On ne peut pas prendre toutes les misères du monde en compte… »

Alors… quelques amicales ont pris en compte les compagnes et veuves de nos camarades décédés, et c’est une très bonne chose.

Pas de famille, ce « gros mot », sans exemple concret !

Commandant (e.r.) Christian Morisot