Monsieur,
Vos propos ont résonné comme un affront à la mémoire de ceux qui, hier comme aujourd’hui, ont fait le choix du sacrifice. En ce 30 avril, date qui ne prête ni à la légèreté ni à l’ironie, vous vous permettez de réduire Camerone à une anecdote, à une bataille « perdue », à un symbole dépassé. Mais en la tournant ainsi en dérision, ce ne sont pas seulement les faits que vous insultez — ce sont des générations d’hommes venus servir un pays qui n’était pas le leur, par fidélité, par engagement, par choix. Et cela mérite, au minimum, le respect.
Non, Camerone ne fut pas une défaite. La mission fut remplie. Le convoi atteignit sa destination. Le prix du sang fut élevé, pour tous, Mexicains comme Légionnaires. Mais ce jour-là, ce n’est pas une victoire militaire que l’Histoire a retenue, c’est une victoire morale, une démonstration rare de cohésion, de parole tenue, de courage face à l’inévitable.
Comprendre cela ne demande pas d’embrasser une cause politique, quelle qu’elle soit. Il suffit de reconnaître ce que l’être humain peut avoir de plus noble : sa capacité à se tenir debout, sans passion et sans haine, sans espoir de retour, simplement parce qu’il a donné sa parole. Cela vous semble peut-être étranger, voire incompréhensible. Pourtant, c’est ce serment, sobre, solennel et de peu de mots, qui a donné naissance à l’une des pages les plus glorieuses de l’Histoire de la Légion étrangère.
À Camerone, ce ne sont pas de prétendus « agents d’un Empire » qui ont combattu, mais des hommes, commandés par des officiers d’une très grande valeur. Des Légionnaires. Des étrangers devenus Fils de France. Des hommes d’humble condition, mais de cœur et d’honneur. Pour beaucoup, la Légion fut leur ultime chance, leur dernière patrie. Ils y trouvèrent une famille, un sens à leur vie, une dignité.
Vous citez Victor Hugo avec aisance. Permettez-moi toutefois de m’interroger sur l’intimité réelle que vous entretenez avec sa pensée. Cet homme de lettres devenu homme d’État par la plume savait distinguer les hommes. Il n’aurait certainement pas méprisé ces Légionnaires, même s’il dénonçait, avec à-propos et talent, les errements des gouvernements de son temps. Car Victor Hugo savait que l’Honneur, même attaché à une cause contestée — et donc forcément anachronique à nos yeux de contemporains — pouvait illuminer ceux qui se battent avec fidélité et courage. Vous semblez confondre l’engagement avec la servitude, la bravoure avec la soumission.
Les Légionnaires de Camerone n’ont jamais levé leurs armes contre des innocents — ces mêmes innocents que vous réduisez, d’un trait aussi rapide que réducteur, à ce que vous appelez “le peuple”. Ils ont affronté, avec respect, des soldats mexicains courageux et intrépides — lesquels, aujourd’hui encore, leur rendent les honneurs à Camaròn au Mexique. Ils ont choisi de ne pas abandonner leurs blessés, ni leurs morts. De ne pas fuir. De rester unis jusqu’au bout. C’est cela, l’Honneur : non un mot galvaudé dans un discours, mais un acte, une ligne de conduite, un sacrifice consenti librement et farouchement revendiqué par ces quelques braves qui ont survécu.
C’est pourquoi, chaque année, nous célébrons Camerone. Pas pour un Empire, ni pour une idéologie, mais pour l’exemple. Pour Danjou, pour Vilain, pour Constantin, pour le tambour Laï. Ce simple légionnaire d’origine italienne, laissé pour mort sur le terrain, dépouillé de ses vêtements, qui survécut par miracle. Pour tous ceux qui ont tenu alors que tout leur commandait de céder. Leur geste parle encore, là où, de nos jours, tant de discours s’effacent sitôt prononcés.
Vous tentez également, dans votre prise de parole, maladroite et futile, de dresser une opposition aussi grossière qu’indigne entre le Chef des Armées, les soldats, les militaires et les Légionnaires — comme s’il pouvait exister la moindre scission entre celui qui commande et ceux qui obéissent, sans trahir l’esprit même du Devoir, de la Fidélité et de l’Honneur. Vous ne connaissez donc rien, semble-t-il, de ces hommes (et de ces femmes), sans qui la France ne serait pas ce qu’elle est.
L’Histoire ne se décide pas dans les salons, dans les meetings ou en faisant le « buzz » sur les réseaux sociaux. Elle se forge dans la boue, dans le sang, dans le silence de ceux qui tombent, et dans les pas de ceux qui avancent malgré tout.
Alors oui, ne vous en déplaise, nous continuerons d’honorer Camerone. Non pas pour glorifier un passé révolu, mais pour rappeler ce que valent l’engagement, la fidélité, le don de soi. Pour rappeler que si certains parlent, d’autres agissent. Et que ces actes-là font tenir un pays, bien plus sûrement que toutes les postures et toutes les tribunes médiatiques.
Pendant que d’aucuns discourent, nous, Anciens et Frères d’armes en activité, continuerons à transmettre cette mémoire. Avec humilité, mais avec constance. Parce que nous savons ce que vaut un serment. Parce que nous connaissons le prix du sang. Parce que nous sommes fiers de servir — ou d’avoir servi — notre pays. Parce que nous sommes, avons été et resterons, de cœur et d’esprit, des Képis blancs.
Et puisque vous semblez apprécier Victor Hugo, je terminerai par cette citation :
« Les bêtes sont au bon Dieu, mais la bêtise est à l’homme. »
Il appartient ensuite à chacun, vous en conviendrez sans doute, de choisir de quel côté il se tient.
Avec la considération que méritent vos propos.
Capitaine (e.r.) Jean-Marie DIEUZE
Ancien officier à Titre étranger.
Œuvre du Capitaine (e.r.) Louis Perez Y Cid.