Depuis 1831 il y a eu autant de raisons de s’engager à la Légion étrangère que de légionnaires.

Il est certain que les raisons de s’engager se retrouvent, se répètent par périodes, par groupes d’individus. Il y aura toujours des hommes à la recherche d’une Patrie, d’une régénération personnelle à la suite de difficultés sentimentales, politiques, d’emploi, rupture de ban avec la famille ou la société à la suite de difficultés personnelles secrètes, mystérieuses ; mais aussi par esprit aventureux, recherche d’absolu ou plus trivialement pour la « gamelle » ! Tous les engagés se trouvent, peu ou prou, appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories ou bien d’autres encore…

Comment peut-on penser qu’un Chinois venu en France pour travailler dans un obscur restaurant asiatique s’engage in fine à la Légion « pour vaincre » ?

Depuis la chute du mur de Berlin voici plus de trente ans, nous avons connu un afflux massif de candidats à l’engagement en provenance des pays de l’est. La musique de la Légion en a accueilli beaucoup. Pour vaincre vraiment ? Ou plus prosaïquement pour régulariser une situation administrative qui leur permettra de changer de condition ?

Les engagés pour la durée de la guerre s’engageaient probablement pour vaincre, mais les autres…

Non ! Les candidats au statut de légionnaire ne s’engagent pas pour vaincre ! Ils viennent à nous pour mille raisons. C’est l’alchimie légionnaire dont seule la France possède le génie et la pierre philosophale, qui transforme dans son fabuleux creuset ces milliers de raisons en volonté de vaincre !

La Légion est une formidable machine à assimiler ; elle possède une identité propre, inégalée, que le monde nous envie. Pourquoi diable faut-il, dans les temps modernes, absolument vouloir s’identifier à d’autres forces, d’autres institutions ?

Le chef de bataillon Arnault, alors chef de corps de la 13e DBLE que d’aucuns appelaient la « mucho brigade », avait répondu à l’un de ses interlocuteurs de la « régulière » en Indochine, que la Légion se suffisait à elle-même !

Les temps ont changé certes, l’imbrication et la professionnalisation des différentes composantes des forces ne permettent plus l’isolationnisme de jadis. Si sous certains aspects ce changement est un bienfait, il semble néanmoins certain que cette promiscuité, cette interchangeabilité des missions, ont contribué, sans aucun doute, à une certaine dilution de l’exclusivité de la prestigieuse Légion, qui reste, malgré tout, dans les forces conventionnelles l’ultima ratio de nos chefs. Le pays possède un instrument militaire d’une valeur sans égale - comme le prétendait le général Lagarde - qui, au presse bouton, est capable de faire face à n’importe quelle mission : la guerre bien sûr mais aussi des routes, des ponts... être soldats et bâtisseurs à la manière antique ? Elle l’a toujours fait. En Afrique, en Asie, en Amérique, en Océanie dans des temps encore récents, en Europe… il n’y a quelle qui soit capable de le faire. Elle n’a nul besoin de publicité ni de maître à penser. Il lui suffit d’être elle-même telle qu’elle est.

Voilà la Légion qui, après leur avoir appris à vaincre sert aussi à donner à ceux qui n’en ont pas, une Patrie, une famille, des amis, de l’espoir et une dernière chance... peut-être la véritable raison de leur engagement.

Lorsque le général Coullon, alors COM.LE, avait mis le code d’honneur du légionnaire au goût du jour, dans la note adressée à tous les chefs de corps Légion de l’époque, il précisait qu’aucune publicité ne devrait être faite à ce sujet et voici que depuis quelques bonnes années on fait tout le contraire, dans la surenchère, en faisant crier d’une manière affligeante ce même code par la section qui vient de coiffer le képi blanc dans une mise en scène en trois temps ponctuée par les mots Legio, Patria, Nostra… et sur des lieux chaque fois plus « recherchés et prestigieux».

Quid de l’anonymat ?

Cessons d’imiter, de vouloir à tout prix ressembler à d’autres alors que nous devons être l’exemple, la force qui va, lente mais sûre. La force qu’on doit suivre.

« Ils s’instruisent pour vaincre » est la devise de Saint-Cyr.

« Ils s’engagent pour vaincre » ne peut ni ne doit servir de thème aux légionnaires au risque de voir un jour, un chef farfelu, faire mettre un genou à terre, képi blanc sur l’autre genou, et ordonner : « à genoux les hommes, debout les légionnaires *» !

LCL (er) Antoine Marquet, ancien légionnaire.

* C’est le rituel propre à Saint Cyr : A genoux les hommes, debout les officiers !