« Peu importe ce qui n’importe qu’à moi ! »

 

Nos enfants nous suivent dans nos multiples lieux d’affectations et ont été confrontés, malgré eux, à connaître la Légion étrangère de leur Père. De ce fait, ils se présentent souvent comme les héritiers, inspirés pour bon nombre d’entre eux, de nos valeurs séculaires et affichent un « ADN » singulier qui font d’eux des acteurs très important quant à lutter contre l’isolement de nos Anciens quand ces derniers viennent à être hospitalisés. C’est le cas pour la clinique « Casamance » à la porte d’Aubagne avec Ingrid qui ne manque jamais de se présenter et de faire savoir à l’Ancien qu’il ne doit pas hésiter à la contacter en cas de besoin ainsi en est-il, de Marie-Gabrielle à l’hôpital d’Aix en Provence et probablement bien d’autres disséminés à travers  l’hexagone ainsi qu’à l’étranger.

 Par ailleurs, touchant toujours l’accompagnement de nos Anciens hospitalisés, les écrits qui suivent sont ceux recueillis auprès d’un ancien légionnaire, de mes amis, qui nous offre une  belle page de ce que peut être une solidarité active sous la couverture d’un bénévolat d’une grande générosité. Bref, à n’en pas douter, c’est un vibrant hommage à tous ceux qui ont trouvés de quoi occuper intelligemment leur temps libre de retraité au profit de ceux qui ont tant besoin de réconfort et d’accompagnement : « peu importe ce qui n’importe qu’à moi ! » pourrait être leur devise !

Paul-Frédéric s’explique :

« Il est une mode indémodable, celle qui peut être considérée comme moderne et éternelle à la fois : avoir des problèmes et   se retrouver quelque peu blasé de sa propre existence, l’âge venant…

 Pour accentuer encore ce mal-être, pollution parmi les pollutions, nous sommes envahis du bruit des autres, de leurs vociférations hystériques, des cris vulgaires en tout genre. C’est un horrible brouhaha. Même un musicien ne trouverait pas dans cette énorme cacophonie, la moindre note harmonieuse et sereine.

 Cette forme de pollution était mon lot quotidien après mon service légionnaire. Rapidement, c’était devenu une obsession, il me fallait trouver une atmosphère sonore plus convenable. Il m’était indispensable de trouver une parade, même si je possédais « l’atout » du handicap de tout ancien militaire : d’être plongé dans le monde fermé des sourds victimes de séances de tir sans protection auriculaire.

Je m’étais isolé, retranché dans une bulle insonore, et lorsqu’il m’arrivait de mettre mon nez dehors, je m’affublais, enfin, mieux vaut tard que jamais, du casque anti-bruit avec les oreillettes de mon sonotone…

Dans mes lectures de jeunesse, j’avais appris que la terre était ronde, que le monde qui m’entourait avait la dimension d’un tout petit atome dans un univers illimité, immense, dans lequel je n’étais même pas un minuscule grain de poussière. De quoi m’indisposer, assurément, par une sorte de vertige persistant. Ma dimension humaine me faisait peur, asphyxiée par un trop-plein d’un temps libre envahissant.

 Je pris l’option de me laisser vivre, oisiveté soutenue que permettait une “rente” d’ancien légionnaire et qu’alimentait régulièrement une dette dite publique me concernant. Enivré de désœuvrement, de paresse - cette ignoble mère de tous les vices - j’affichais prétentieusement d’aimer ce genre de vie, et d’être parfaitement heureux en compagnie de camarades de rencontre sur une dernière route, que je fréquentais +au grand dam de mon organe hépatique, petite chose très fragile qui me faisait souffrir par crises aigües douloureuses, et m’alertait ainsi sur mon précaire état de santé, signe de vie qui se raccourcissait.

 A l’amicale d’anciens légionnaires que je fréquente depuis peu, j’ai la chance de rencontrer des amis, anciens légionnaires comme moi. Certainement, lors de nos parcours réciproques, nous nous sommes   croisés. J’ai plus, dans ma tête, la mémoire des visages que celle des noms. Grâce à eux, je laisse mon foie vivre tranquillement sa petite retraite, bien méritée.  En fait, Je vis dans un   accord harmonieux avec mes nouveaux compagnons, et la partition qui se joue dans l’air du temps, est une mélodie fantastique, un véritable petit bonheur, alimenté par le partage et les échanges d’hommes de bonne volonté. C’est un tempo magique d’un enrichissement mutuel, partagé. Depuis, je me rends utile, je visite les malades dans les hôpitaux, c’est pour moi un sentiment indescriptible. Voilà donc ma nouvelle vie, je suis guéri du bruit des autres, ma vie reprend des couleurs, j’existe encore pour quelqu'un, celui qui a besoin de mes visites régulières pour lui faire oublier sa misérable et triste condition humaine.

 Depuis je visite ceux qui sont hors d’eux, ceux qui sont dans une histoire tragique faite de répétitions et d’aggravations, ceux qui ont des silences entre les soupirs, les gémissements, les pleurs ou les cris, de douleur ou de rage. L’exhibition de leurs corps nus, un récit impudique, insupportable. Manipulés, fouillés, opérés. Ceux dont l’indécence imposée par la maladie a contaminé toute leur existence. L’intimité leur est interdite, la vie est discrète lorsque l’existence va de soi, l’évidence de la vie saine : respirer, cligner des paupières, déglutir, tenir debout, marcher, toutes ces aisances discrètes qui sont amenées à disparaître dès que la maladie paraît.

 Les malades visités m’ont tous dis que la maladie réveille aussi une sensibilité qui s’était endormie. Tout devient plus émouvant. tout devient regret dès l’instant où notre existence dépend des autres ...

 J’ai le sentiment d’être encore utile et le remerciement des gens que je visite ne s’exprime plus en parole, mais dans leur regard muet de reconnaissant. »

Paul-Frédéric.

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Propos recueillis par Commandant (er) Christian Morisot.

 

PS : Je confirme : « peu importe ce qui n’importe qu’à moi ! »