Je me souviens de cette matinée de 1960, lorsque la brume d’une nuit d’automne s’était levée à la pointe du jour, je regardais sans comprendre le paysage dévasté qui se présentait à mes yeux, une image de fin du monde. La fin du monde de mon enfance me choquait, je cherchais à comprendre pourquoi, diantre, mes dunes disparaissaient ainsi devant moi, j’étais consterné. La nature était blessée, touchée à mort, décapitée, désormais, plus aucun oiseau ne chantera dans les arbres, partout ce n’était que plaies ouvertes, des chenilles géantes avaient creusé de grands cratères et amoncelé des montagnes de sable laissant sur place une vilaine odeur de gasoil.

Je compris que le chemin de mon école buissonnière n’existait plus, les machines ont tout arraché, même la petite mare aux grenouilles, école de la vie aux portes de la ville, avait été emportée, comblée, disparue…

Je regardais impuissant ce qu’était devenu le champ de mes rêves, le champ de mes garennes, celui de mes premiers printemps où j’étais le familier des bosquets, des arbustes, des arbres centenaires et de chaque nid. Tout était saccagé, j’étais effaré, envahi de la certitude que le dommage était démesuré et irréversible.

J’entends encore avec horreur les bruits des grosses bêtes dont les moteurs ronflaient au loin, elles continuaient leur ignoble besogne. Le soir, plus aucune haie ne se profilait en ombres chinoises devant le coucher de soleil, au matin du lendemain, des hommes en cravates et costumes venaient constater le travail, lunettes vissées sur le bout de leur nez, ils appelaient cette opération: “revitalisation”, anges exterminateurs, ils pensaient donner une vigueur nouvelle au secteur…

Un homme qui regardait comme moi le désastre me dit: “vois-tu Gamin, tu-as là une image concrète de ce que préparent pour nous ces hommes en cols blancs. C’est, pour eux, un mal pour un bien, c’est ce qu’ils appellent le progrès, ils pensent avec sincérité que dans un avenir très proche on vivra bien mieux dans un monde qu’ils renouvellent. Ma Mère, une gentille femme sculptée par de grands malheurs, disait souvent que les gens au lendemain de la guerre se sont retrouvés mais aussi, qu’ils découvraient que la guerre tuait moins d’âmes que la paix. Il n’y a plus de respect pour la terre, c’est la règle des marchés qui domine et qui orientera, désormais, le monde de demain”. Ainsi sonnait le glas des dernières dunes millénaires de Malo les Bains qui disparaissaient à coup de bulldozers…

Le temps passa, quand il m’arrive aujourd’hui, de revenir dans la région, j’ai la gueule de bois. Le paysage s’est enlaidi, on a détruit l’âme de cette région, les immeubles cachent le soleil et ne laissent plus voir la mer. Une ville de béton et de villas mitoyennes s’est construite, affichant les différentes classes sociales enveloppées d’un égoïsme protecteur, tout le contraire des bonnes intentions solidaires d’une révolution devenue inutile par manque de liberté, d’égalité et de fraternité. L’homme est un terrible prédateur! les résultats de sa gestion des espaces vides sont désastreux, le paradis perdu était là, sous nos yeux, l’immeuble à remplacé les dunes de sable, l’éolienne l’arbre, on ramasse les algues vertes sur la plage. C’est ainsi, on n’ose plus appeler ouvrier ce travailleur mobile, asservi, endetté et contrôlé qui trouve difficilement sa place dans une mondialisation qui impose des métastases à un mal inguérissable, celui de la mort annoncée d’une civilisation.

En provoquant la rupture entre l’homme et la nature, en laissant l’image des Bernards-l’ermites s’imposer, nous assistons au remplacement de notre civilisation par une autre, celle de l’islamisation galopante qui se trouve accompagnée par nos hommes politiques. Le futur inquiète, les Français ont peur, ils se sentent déracinés. Au lendemain de la guerre la plus meurtrière de tous les temps, nos colonies ont volées en éclats, nous nous sommes réveillés affaiblis, sans grandes ressources au point d’entrer de plein pied dans la course des marchés mondiaux, mais aussi ouverture attrayante pour une immigration envahissante, incontrôlable.

C’est toutes ces choses accumulées qui me firent partir pour changer d’horizon. J’étais devenu un peu un “derniers des Mohicans”, celui qui se sentait expatrié de sa terre et qui pensait retrouver une forme de liberté, le  temps de se remettre de ses peines en s’engageant  dans les rangs de la Légion étrangère jusqu’à offrir  ses services et si besoin sa vie pour une France meurtrie qui ne savait ou ne pouvait garder son identité…

Ce n’était qu’un faux-semblant, les déserts fréquentés par les légionnaires n’ont pas remplacer les dunes maloines, mais: “Non, rien de rien, non je ne regrette rien…” On ne peut lutter contre son destin, retour pour moi, après avoir fait valoir mes droits à pensions et retraite à la case départ… à nouveau il me faut voter pour des hommes pour lesquels je n’ai aucune compassion ni aucun respect mais, malgré tout me représenteront, ils feront pour moi le choix d’une transformation de société avec laquelle je ne partage pas toutes les valeurs et réformes qui s’imposent à notre entendement.

Commandant (er) Christian Morisot