Obsèques du Général de brigade (2S) Raoul Forcin

(Orthevielle, mercredi 6 décembre 2023)

"Mon Général,

C’est au nom du Général Youchtchenko, commandant la Légion étrangère, représenté ici par le Lieutenant-Colonel Landriot, commandant en second le 4ème  Régiment Etranger, si cher à votre coeur, au nom du Général Jean Maurin, Président la Fédération des Sociétés d’Anciens de la Légion étrangère, au nom de tous vos frères d’armes de la Légion étrangère comme des Troupes de marine, présents nombreux aujourd’hui, physiquement ou par la pensée, mais aussi, bien sûr, à titre personnel, que je viens maintenant vous dire A Dieu.

Je vous revois ici même, à ma place, en cette belle et sobre église d’Orthevielle, il y a presque quatre ans. Vous rendiez alors un dernier hommage à notre grand ancien, le Général Henry Billot, comme vous-même Grand-officier de la Légion d’honneur, Médaillé militaire, cité de nombreuses fois tant en Indochine qu‘en Algérie, et ancien Chef de corps de Légion étrangère. Fidèle à la très haute idée que vous vous faisiez de nos traditions, à l’esprit de franche camaraderie qui vous a toujours animé et aux liens d’amitiés qui vous unissaient l’un à l’autre, vous teniez à fêter Camerone chaque année avec lui, m’aviez-vous confié, autour d’une coupe de champagne, ici, à Orthevielle car il ne pouvait plus se déplacer. Vous l’avez accompagné, j’en suis témoin, jusqu’à son dernier souffle avec un dévouement qui m’avait impressionné, mais qui ne m’avait nullement étonné de votre part. Quoi de plus évident, en effet, quand on sait le magnifique soldat, l’homme exceptionnel et l’ami indéfectible que vous étiez.

Magnifique soldat, ô combien !

Fils de gendarme, et vous en étiez légitimement très fier, vous vous êtes engagé en novembre 1950, il y a exactement soixante treize ans, à l’école des sous-officiers de Strasbourg. Après une courte affectation au 5ème Régiment de Tirailleurs marocains en Allemagne, vous vous portez volontaire pour servir en Indochine et, jeune sergent, vous débarquez à Saïgon en novembre 1952. Vous rejoignez, alors, le 43ème Régiment d’Infanterie coloniale. Vous y servirez pendant presque deux années et y gagnerez deux citations à l’ordre de la division et de la brigade avec attribution de la Croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieures. En novembre 1954, vous êtes rapatrié en métropole pour intégrer l’Ecole Spéciale Militaire Interarmes. Vous y retrouvez votre camarade de combat d’Indochine, Pierre Galopin pour qui je dirai plus loin votre attachement. Puis vous rejoignez Saint-Maixent, pour quelques mois à l’Ecole d’application de l’infanterie.

A compter d’avril 1956, vous ne quitterez quasiment plus votre chère Légion où vous servirez, tant en Algérie, qu’en Corse puis en Métropole, dans tous les grades d’officier.

De votre superbe parcours sous la grenade à sept flamme je retiendrai deux périodes.

La première, qui s’étend du mois d’août 1957 à celui de janvier 1961, est celle du Sous-lieutenant puis du Lieutenant Raoul Forcin. Vous servez alors comme chef de section, puis comme officier adjoint de compagnie, au 2ème Régiment étranger d’infanterie. En moins de quatre ans, jeune officier au tempérament pugnace et ardent, infatigable entraîneur d’hommes au sang froid et à la détermination redoutés par vos adversaires, toujours au premier rang de vos légionnaires, dans les bons mais, surtout, dans les mauvais coups, votre sens du terrain, votre flair tactique, votre coup d’oeil et votre courage au combat vous valent, ce qui est exceptionnel en si peu de temps, cinq nouvelles citations, dont deux à l’ordre de l’armée. Lorsque les uns et les autres de vos jeunes camarades, admiratifs de vos faits d’armes, vous questionnaient sur un tel palmarès, vous répondiez simplement, avec l’humilité qui vous caractérisait, « j’avais la baraka ; il n’y a pas lieu d’en tirer une quelconque gloriole ».

Vous avez tout de même trouvé le temps, entre deux opérations, d’épouser votre chère Aline en décembre 1958.

La seconde période que je me plais à évoquer ici est celle qui va du mois d’août 1977 à celui de juillet 1979. Vous commandez alors le GILE, Groupement d’instruction de la Légion étrangère, que vous transformez, à Castelnaudary, en Régiment d’instruction de la Légion étrangère, lequel deviendra ensuite le 4ème Régiment  Etranger.

Pendant deux ans, fidèle à votre tempérament inventif, entreprenant et obstiné, auréolé de vos titres de guerre glanés en Indochine et en Algérie, riche de votre connaissance intime du légionnaire vous jetez les bases d’une véritable « école de la Légion étrangère ». Aujourd’hui encore, et plus que jamais, ce 4ème Régiment  Etranger, qui vous rendra tout à l’heure les Honneurs militaires, assure la formation de tous les jeunes engagés volontaires de la Légion étrangère, comme l’instruction et le perfectionnement de ses sous-officiers.

Je regardais encore la semaine dernière, ce beau reportage d’Anne de Boismilon, tourné à cette époque, en 1979, et intitulé « Des hommes sans nom ». Vous y apparaissez longuement, et votre bienveillante fermeté, votre empathie profonde pour « Monsieur Légionnaire », votre prestance naturelle, comme la sérénité amusée de celui à qui « on ne la fait pas », crèvent l’écran.

Outre le magnifique soldat que vous étiez, vous avez témoigné tout au long de votre existence, Mon Général, des plus belles qualités humaines.

En effet, d’un avis unanime, vous incarniez, sans compromission ni démagogie jamais, l’Honneur et la Fidélité, ces vertus cardinales de la Légion étrangère. La grande sensibilité, qui transparaissait parfois sous l’abord un peu renfrogné et plutôt bougon que vous dictait votre pudeur à extérioriser vos sentiments, laissait deviner aussi, nous le savons bien, un coeur « gros comme ça ! ».

Je sais à cet égard, car vous me l’avez un jour confié, l’immense tragédie que fût pour Aline et pour vous-même, la disparition à onze ans de votre fille aînée Dominique, et le chagrin incommensurable qu’engendra ce drame. Vous me disiez avoir demandé, alors, à être momentanément mis en retrait des unités opérationnelles, pour vous consacrer à vivre pleinement votre douleur. Votre Espérance, partagée avec Aline, vous a permis d’avancer malgré tout, et de poursuivre tous les deux, avec une confiance renouvelée, votre pèlerinage terrestre.

Je sais aussi que, au temps de votre retraite aux confins des Landes et du Pays basque, vous aviez pris sous votre aile, avec une affectueuse complicité, le fils d’un de vos plus chers amis, camarade de promotion de l’ESMIA. Vous emmeniez régulièrement en balade ce jeune garçon, atteint d’une fragilité cognitive, et avec celui-ci, qui se sentait en totale confiance avec vous, vous parliez longuement, librement et sans arrière-pensées, malgré la différence d’âge qui vous séparaient.

Au risque d’être un peu long, je veux évoquer, enfin, l’indéfectible ami que vous étiez pour ceux qui, ont eu l’honneur et la chance de croiser votre route.

Depuis 1987, m’a-t-on raconté, un groupe d’officiers dont le point commun était essentiellement d’avoir servi sous vos ordres au GOLE, le Groupement opérationnel de la Légion étrangère, puis au RILE, se rassemblait chaque année pendant deux ou trois jours autour d’Aline et de vous-même, pour une réunion dite « culturelle ». Seules, la mort successive ou la trop grande faiblesse des uns ou des autres ont eu raison de ce rendez-vous annuel, mais en aucun cas de l’inoxydable amitié de vos « séminaristes ». Plusieurs d’entre eux ont tenu à être présent parmi nous aujourd’hui.

Vous aimiez aussi, pour entretenir la solide condition physique qui a longtemps été la vôtre, vous retrouver chaque semaine avec nombre de vos vieux frères d’armes pour arpenter les Pyrénées basquaises. Pour rien au monde, vous n’auriez manqué ce rendez-vous de bons copains. De mauvaises langues m’ont rapporté qu’il vous arrivait, parfois, d’emprunter le mauvais thalweg. Qu’importe ! En bon fantassin, crapahutant comme un sanglier, vous arriviez toujours, souriant et enthousiaste, à bon port.

S’agissant de Pierre Galopin, l’ami de toujours comme vous aimiez à m’en parler, il fût votre camarade de combat en Extrême Orient, comme en Algérie, et votre « petit-co de promo » à Coëtquidan. Je sais l’obstination qui vous a animée, longtemps, tant vous tenait à coeur le devoir moral que vous vous étiez fixé de faire reconnaître publiquement, et au plus haut niveau, son assassinat par Goukouni Oueddei et Hissène Habré. Je sais aussi votre acharnement, depuis, à faire connaître l’abnégation et à entretenir la mémoire de cet officier des Troupes de marine, votre ami, mort pour la France au Tchad, on ne peut plus courageusement, le 4 août 1974.

Voilà en quelques mots, trop brefs, quelques éclairages sur le soldat prestigieux, l’officier de Légion admiré, respecté et aimé par ses chefs, par ses subordonnés et surtout par ses légionnaires, l’homme aux qualités exceptionnelles et l’ami très cher que vous étiez pour nous tous, Mon Général.

Très chère Aline, vous ses chers enfants et petit-enfants, soyez certains de la très grande estime et de l’attachement profond que je porte, à titre personnel, à votre époux et père. Soyez persuadés que ces sentiments sont partagés par tous ses compagnons d’armes. Ceux qui vous entourent aujourd’hui, et ceux, plus nombreux encore, qui se joignent à nous par leurs pieuses pensées.

Aujourd’hui, par ma voix, la Légion étrangère toute entière, celle d’active comme la Fédération de ses anciens, ses frères d’armes et ses innombrables amis, vous disent combien nous comprenons votre douleur.

Nous y prenons part, car elle est aussi la nôtre. Acceptez donc nos bien pauvres condoléances, très attristées, comptez sur notre soutien, et sachez que nous n’oublierons pas le Général Raoul Forcin."

Général (2S) Henry Clément-Bollée