Ça n’a pas manqué. Comme dans le journalisme ces marronniers* qui reviennent à chaque saison, les critiques sur les futurs récipiendaires civils de la Légion d’honneur de la promotion du jour de l’an et la légitimité de cette attribution, n’ont pas manqué.

 

Les commentaires  sur les réseaux sociaux sont acerbes, malveillants, quelquefois empreints de jalousie et souvent édictant des règles d’attribution que Napoléon n’a jamais formulées pas plus que  la Grande Chancellerie.

 

Comme chacun sait plus ou moins, et selon les vœux de son créateur, la Légion d’honneur récompense des « mérites éminents » au service de la France, ce qui ne doit pas être traduit par « valeur au combat » ou « acte de guerre réussi »…

 

Beaucoup s’offusquent  de voir artistes, industriels, écrivains, chercheurs, historiens, magistrats, journalistes… recevoir cette distinction. Mais selon quelles nouvelles règles  ne devrait-elle être attribuée qu’aux militaires ? Ceux-là ne feraient-ils plus partie du tissu de la nation française ?

 

Michèle Morgan, les plus beaux yeux du cinéma français, va être élevée à la dignité de Grand Croix. Et alors, pourquoi n’aurait-elle pas droit à cet honneur dans le cadre du cinéma de notre pays ?

 

Commandeur depuis  1994, Grand Officier en 2009, pourquoi ne serait-elle pas élevée à la dignité suivante ? Colette n’a-t-elle pas été la première femme à recevoir la dignité de Grand Officier, comme la Maréchale Lyautey dès 1953?

 

La très longue carrière de Michèle Morgan a sûrement fait briller le nom de la France partout dans le monde car elle ne s’est pas limitée au Quai des Brumes :

 

         Jean Gabin : T’as de beaux yeux tu sais ?

         M.Morgan : Embrasse-moi.

Puis, M.Morgan : Embrasse-moi encore.

 

D’autres encore la recevront, tels Alain Decaux qui a tant popularisé, à la télévision, l’histoire de France qu’on a aujourd’hui presque honte de raconter… des artisans, des scientifiques et la liste n’est pas exhaustive.

 

Pourquoi mériteraient-ils moins de la patrie que d’autres ? au prétexte qu’ils sont civils ?

 

Bien entendu, je comprends les émois lorsque je vois récompenser de la sorte certains « artistes » et autres sportifs, par exemple, et que parallèlement des personnels militaires ayant passé des décennies au service des armes de la France n’en soient pas honorés.

 

Nombreux  sont ceux qui aimeraient pouvoir afficher un point rouge au revers de leur veston.

 

Quand ce n’est pas le cas, beaucoup dénigrent la décoration qui n’aurait selon eux plus aucune valeur puisqu' « on la donne à tout le monde » mais pas à eux, me faisant songer à la fable de La Fontaine : Le renard et les raisins.

 

Certains de ceux qui en sont titulaires, quand une personne se plaint de ne pas l’avoir, répondent : « Bof, vous savez les médailles… une fois qu’on les a, on n’y pense plus »… ce qui est un très gros mensonge.

 

Il faut savoir que tous les ans, le plus gros contingent de Légions d’honneur est attribué à titre militaire, avec traitement  - insignifiant certes, puisque les quarante francs or se sont transformés en six euros et des poussières que nous abandonnons à l’Ordre –   qui marque tout de même la différence entre les attributions à titre militaire et celles à titre civil.

 

Dans un pays d’environ soixante-six millions d’âmes, il y a quatre- vingt treize mille légionnaires d’honneur, ce qui n’est pas énorme.

 

On peut s’interroger bien sûr sur les mérites éminents ayant fait  attribuer  cette médaille à Robert de Niro, à Paul Mc Cartney, à Bob Dylan et à bien d’autres, mais l’attribution se faisant ministère par ministère, il faut bien que les ministres existent et soignent leur carnet d’adresses.

 

Et c’est encore heureux qu’un élu député, sénateur... les ministres durant leur mandat, n’aient pas le droit de recevoir cette décoration, hormis le grand maître de l’Ordre, le Président de la République.

 

*marronniers. Appellation donnée aux sujets traités annuellement, de façon récurrente par les journaux.

 

Antoine Marquet