Un légionnaire sur la piste des étoiles ou chronique d’une retraite active.
Non, je n’aspire pas au grade de Général. Plus terre à terre, je veux vous parler de mes pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle, car Compostela se traduit par champ des étoiles. Je veux aussi vous parler de mes treks (n’en déplaise aux puristes de la langue française, trek est une marche en haute montagne) dans l’Himalaya, dans les Andes ou dans les Cévennes, tout près des étoiles :
Juin 1991 : Je prends la retraite avec le grade de Lieutenant-colonel, bénéficiant de l’article 5 (donc avec la retraite de Colonel).
Je reste encore un an dans mon affectation pour finir un projet.
Puis, avec mon épouse Heidi et ma fille Nathalie, nous nous installons dans notre petite maison dans l’arrière-pays de Montpellier. Nous avions fait construire ce pavillon, alors que j’étais jeune Lieutenant (avec les moyens d’un jeune Lieutenant) pour avoir un pied-à-terre en France entre deux mutations.
Heidi retrouve rapidement un travail intéressant.
Je m’investis dans l’agrandissement de notre terrain et de notre maison : construction d’une annexe indépendante avec deux chambres et une salle d’eau, d’une piscine, de deux vérandas, d’un atelier de travail, d’un garage, d’une cuisine d’été et de suite. Je raccorde les eaux usées, refait la clôture, installe un arrosage automatique et fournit les voisins en fruits et légumes de mon jardin.
Je n’ai jamais exercé le moindre métier manuel. Mais, je mets un point d’honneur à faire tout moi-même et seul. Devenu expert, j’aide bénévolement mon frère et mes voisins pour leurs petites constructions (six portails dans le village portent ma signature).
Je donne des cours de langue à l’EAI (Ecole d'Application de l'Infanterie).
J’adhère à l’amicale des anciens légionnaires de Nîmes.
J’assiste à chaque commémoration de Camerone (pendant l’époque bénie où le Comle invitait encore les officiers képi blanc).
J’anime le club de randonnée dans mon village.
Je vérifie les comptes de notre copropriété dans les Alpes.
Je cours, je marche, je skie.
Nous voyageons peu, car c’est la 1° fois de notre vie que nous sommes dans nos murs et nos meubles. Et nous y sommes bien.
Bref, je mène la vie tranquille d’un retraité banal.
cathédrale de Santiago
2002 : J’ai 63 ans. Tout bascule. Je souffre d’une sciatique paralysante et suis opéré d’urgence. Après 17 mois de convalescence, je ne peux plus pratiquer mes sports favoris, à savoir la course à pied et le ski. Une fracture du pied, une phlébite et quelques coliques néphrétiques m’achèvent et m’ôtent toute confiance en mes facultés physiques. Pour me ressaisir, un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle s’impose.
Octobre 2003 : Pour tester notre résistance, mon épouse Heidi et moi décident de faire le « Cœur de Gascogne », un circuit de 165 km en 6 jours dans le Gers. Mon frère qui habite la région, assure le soutien logistique. Une partie du circuit suit le chemin du Puy en velay entre Lectour et Condome, emprunté depuis 11 siècles par les pèlerins.
Août 2004 : Notre premier pèlerinage nous conduit de Roncevalles à Santioga de Compostela sur le Camino Frances (chemin français) en passant par Burgos et Leon. Nous marchons 760 km en 28 jours avec un sac de 15 kg chacun. Nous logeons dans des auberges de pèlerin, puis dans des pensions ou chambres d’hôte.
Heidi a des ampoules dès le 1° jour. Je souffre d’une tendinite dans la jambe droite. Une vieille blessure à l’épaule gauche se rappelle à mon bon souvenir et me force de porter le sac sur une épaule en fin de parcours.
Coupés de nos racines et hors du temps, nous retrouvons les valeurs essentielles de la vie. Nous avons suivi à la lettre les recommandations du parfait pèlerin (déposer une pierre de notre maison au Cruz de Fero, assister à la messe du pèlerin dans la cathédrale de Santiago, valider notre effort par l’attribution du certificat de pèlerin en latin), mais la dimension spirituelle du pèlerinage nous a pas touchés. Par contre, pendant plusieurs mois, nous avons ressenti une sérénité d’esprit à toute épreuve et un détachement des valeurs matérielles
Népal
Octobre 2005 : Nous effectuons un trek de 12 jours au Népal. Des porteurs acheminent le gros de nos bagages. Nous mangeons et dormons dans des Lodges rudimentaires.
Notre circuit part de Pokhara (altitude 820 m), emprunte les terribles escaliers d’Ulleri (500 m de dénivelé positif sous forme de marches naturelles) et nous conduit pour un lever du jour face à l’Anapurna sur le Poonhill (3.193 m). Nous descendons vers Tatopani (1.0190 m) pour suivre la vallée du Kali Gandaki jusqu’à Muktinath (3.800 m). Puis, nous retournons vers Jomsom (2.710 m), juste avant les premières chutes de neige. Le Kali Gandaki est la vallée la plus encaissée du monde, entourée de tout part par des sommets de plus de 7.000 m. Muktinath est un lieu de pèlerinage hindou. Pendant le trek, nous étions totalement coupés de la civilisation. En dehors de l’hélicoptère, aucun engin motorisé ne peut emprunter ces sentiers
Septembre 2006 : Riche de notre expérience népalaise, nous programmons deux treks au Pérou.
Après 60 heures de voyage en avion et en car, entrecoupé de 12 heures de sommeil, nous effectuons un trek d’acclimatation dans la cordillère blanche à Huaypan au Nord de Lima.
Le lendemain, nous entamons notre 1° trek qui cumule à 4.750 m au col de Punta Union. Nous marchons pendant 4 jours et couchons sous la tente. Nos bagages sont portés par des mulets.
Après quelques visites touristiques, nous marchons une journée sur les bords du lac Titicaca à 3.810 m.
Le 2° trek nous conduit de Cuzco (capitale de l’empire inca) à Ollantaytambo(près du Machu Picchu) à travers la cordillère Vilcabamba. Nous franchissons 4 cols entre 4.000 et 4.700 m en 4 jours.
Le manque de sommeil initial, l’altitude (12 jours entre 3.500 et 5.000 m), l’amplitude thermique (-12° à +30°) et atmosphérique (0 à 5.000 m), les chocs climatiques (mer, désert, haute montagne, forêt tropicale) et le relief accidenté ont mis nos organismes à rude épreuve.
Octobre 2007 : Nous reprenons le chemin de Saint Jacques de CompostelleSAINT par le Camino Del Norte (chemin côtier). Partant d’hendaye, nous traversons Bilbao et Santander. Après 14 jours de marche et 300 km de distance, à travers une très belle région, mais dans des conditions climatiques épouvantables, nous nous arrêtons à Ribadesella. Heidi souffre d’une inflammation des cervicales et ne peut plus porter son sac. Nous nous promettons de reprendre le chemin en 2008 pour arriver le 17.09., journée d’anniversaire de mon épouse, à Saint Jacques de Compostelle.
Février 2008 : Nous partons pour la Patagonie. Au programme : 3 treks légers.
Après un vol retardé de 24 heures, nous partons dans la foulée pour notre 1° trek dans le parc national de Lapataia, près d’Ushuaia, à 180 km au Nord du Cap Horn. Un tampon dans notre passeport témoigne que nous étions à la Fin Del Mundo.
Quelques journées plus tard, nous sommes à Puerto Natales au Chili pour visiter le parc national de Torres Del Paine (tours de Paine). Un trek de 19 km et de 1.000 m de dénivelé positif sur une moraine nous conduit au pied des Torres Del Paine. Les trois tours s’élancent sur plus de 1.000 m à la verticale vers le ciel. A leur pied, un glacier se jette dans un lac de couleur émeraude, saupoudré d’icebergs. Dans ma vie de globetrotteur, je n’ai jamais vu un si beau spectacle.
Nous retournons à El Calafate en Argentine pour escalader le glacier Perito Moreno.
Puis, nous continuons vers El Chalten, au pied du Fitz Roy (3.405 m), paradis des randonneurs du monde entier. Notre premier trek s’arrête sur le glacier de cette montagne (18 km, + 900 m). Le lendemain, nous allons au Lago Torre, au pied du Cerro Torre, pour admirer les icebergs.
Le voyage se termine par une traversée en bus de la Patagonie sur la mythique route 40 jusqu’à la presqu’île de valdes dans l’océan atlantique.
Mai 2008 : Heidi décède brutalement. Le monde s’écroule. Comme Job, j’ai mal à la vie. Terminer notre projet commun sur le Camino Del Norte s’impose naturellement.
Septembre 2008 : Je parcours 380 km en 14 jours, dont deux étapes de 40 km. Partant de Ribadesella, je passe par Gijon et Ribadeo pour arriver le 13.09. à Santiago. En attendant l’anniversaire de Heidi, je m’installe à Noia, paisible port de pêche à 50 km de Santiago. Je me « lie d’amitié » avec Santa Dolores, dans l’église San Martin. Elle m’aide à accepter l’inacceptable. Enfin, je suis devenu pèlerin dans le sens spirituel du terme.
Août 2009 : Comme l’an passé, je veux me recueillir à Santiago pour l’anniversaire de Heidi. Cette fois-ci, je choisis le Camino Classico. Je parcours 80 km en 3 jours d’Hendaye à Deba en passant par san Sebastian. Je n’ai pas pris en compte que cette région touristique est surpeuplée pendant cette période. Je ne trouve pas à me loger et dois faire moult détours. Finalement, j’abandonne.
Octobre 2009 : Je reprends mon périple à Oviedo. Je passe par Lugo et Melide. Après 270 km en 12 jours, j’arrive à Santiago.
En franchissant la cordillère Cantabrica, dans les nuages, je compose mon 1° poème en français : La complainte du pèlerin.
Avril 2010 : 2010 est une année jacquaire. Le pape Benoit XVI a manifesté son intention d’aller à saint Jacques de Compostelle à cette occasion. Il y aura donc foule de pèlerins sur tous les chemins. Alors, je décide de marcher en France et de me rendre en voiture en Espagne pour l’anniversaire de Heidi.
Je marche du Puy en velay jusqu’à Cahors, soit 340 km en 14 jours. Je rencontre le soleil, la pluie et la neige sur le plateau de l’Aubrac.
Septembre 2010 : Je fais un aller-retour en voiture à Santiago. Je me ne sens pas à ma place comme simple touriste dans la foule de pèlerins.
Novembre 2010 : Je dois me faire implanter une prothèse dans la hanche droite.
Avril 2011 : Je marche de Cahors à Lectour, soit 120 km en 5 jours. A Castet Arrouy, mon genou gauche me lâche. Je dois rentrer.
Septembre 2011 : Avec une hanche neuve, des genoux lubrifiés et des semelles orthopédiques, je reprends mon chemin à Lectour. 12 jours plus tard et 250 km plus loin, j’arrive à Saint Jean de Port. Ce périple m’inspire le poème « Sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle ».
Je rentre en train et pars le lendemain en voiture à santiago pour honorer l’anniversaire de Heidi.
Octobre 2011 : Je subis une opération d’un cancer fréquent chez les hommes de mon âge.
Avril 2012 : Robert Louis Stevenson, auteur écossais de « L’île au trésor », a parcouru les Cévennes du Puy en velay à Ales. Ayant goûté à quatre reprises aux joies des chemins de Saint Jacques de Compostelle, je décide de suivre ses traces sur un parcours réputé difficile.
Je marche pendant 5 jours et parcours 100 km. A Luc, la neige tombée en abondance me force à l’abandon. Cette marche solitaire m’a inspiré le poème « Le chemin de Stevenson ».
Septembre 2012 : Cette année, j’irai à santiago, la douleur aux jambes et l’espoir au cœur. Je marcherai avec Martine, une fringante pèlerine rencontrée sur le chemin en 2011 qui m’accompagne depuis dans ma vie. Elle veut terminer le tronçon Leon - Santiago qui lui manque.
Nous parcourons 320 km en 13 jours sur le chemin français. Je suis dans la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle pour l’anniversaire de Heidi.
Avril 2013 : Martine et moi voulons partir de sa maison dans le Lot et Garonne, rejoindre la voie du littoral, ouverte depuis peu, puis continuer par le chemin côtier en Espagne jusqu’à santiago.
Voulant assister à tout prix à la cérémonie de Camerone, où le Général Guignon, mon père spirituel à la Légion, porte la main du Capitaine Danjou, notre fenêtre de tir se réduit à 7 jours.
Nous parcourons 170 km pour arriver à Ychoux, à quelques kilomètres de la voie du littoral.
Septembre 2013 : Nous reprenons notre chemin à travers les Landes et marchons pendant 8 jours sur un parcours particulièrement difficile. Après 180 km, mon genou gauche se bloque. Je rejoins Saint Jean de Luz en taxi. C’est fini. Mon poème sur « Le chemin de Saint Jacques de Compostelle dans les Landes » est plutôt amer.
Avril 2014 : Je suis à nouveau sur le Chemin de Stenvenson à Luc. Je parcours 90 km en 3 jours. Le dimanche de Pâques, j’arrive à Florac, après 10 heures de marche épuisante, sous une tempête de neige au Signal de Bouges (1.421 m). Je me résigne à un 2° abandon.
Novembre 2014 : Je me fais opérer du genou gauche.
2015 : Entretemps, j’ai 76 ans. Dans toute ma vie, je ne suis jamais resté sur un échec. Si Dieu le veut, je reprendrai donc cette année les chemins de Saint Jacques et de Stevenson.
Colonel (er) Wolf ZINK