Le 1er décembre 2017, lors de la rentrée solennelle de la Conférence du Stage, grande fête annuelle des Avocats à laquelle viennent assister des représentants des barreaux du monde entier (plus de 1 000 participants), la tradition veut que le 1er secrétaire, fasse l'éloge d'un personnage célèbre. Cette année maître Jérémie Nataf, 1er secrétaire avait choisi Hélie Denoix de Saint-Marc.
Pour info et bonne lecture.
“Mère, voici vos fils et leur immense armée.
Qu’ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu, mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus, et qu’ils ont tant aimée."
Tu as raison, c’est drôle un nom de famille.
Parfois ça ne veut rien dire mais ça dit tellement de choses sur celui qui le porte.
Un patronyme on le reçoit à la naissance, on le transmet un peu plus tard, on en est pas vraiment propriétaire.
Du coup, c’est précieux, ça s’entretient; c’est la dernière richesse de celui qui n’a rien, et tant qu’on a un nom, on est encore, quelqu’un.
Chez nous tu vois on en évoquait plein des noms tout le temps: Nom de scènes, de plume, d’emprunt, des noms à coucher dehors, de jolis noms qui rappelaient des comptoirs et des rivages lointains.
Bon faut dire qu’à la maison, y avait des noms qu’on n’avait pas le droit de prononcer en vain; et bizarrement, qu’on prononçait souvent, en vain.
Et parmi tous ces patronymes l’un d’entre eux m’étonnait par sa sonorité, c’était un nom étrange et à rallonge, qui ne m’était pas familier, il ne ressemblait pas à ceux qu’on entendait.
Et pourtant sa seule évocation, suggérait qu’il recelait des trésors.
Denoix de Saint Marc ! Un drôle de nom celui d’un chevalier, d’un corsaire ou d’un aventurier.
Quand on est grand on le sait, Denoix de Saint Marc, c’est un nom de ministre ou de commission, un nom qui fleure bon l’administration.
Bref ! Denoix de Saint Marc c’est un nom de gens sérieux un nom de gens bien…
Un nom, pour lequel on fait des éloges, pas des procès.
Et pourtant ! Ministère Public contre Denoix de Saint Marc, ce procès là j’le connais par coeur, je le connais si bien que j’en ai presque des souvenirs.
Ecoute, écoute le grésillement des transistors.
“Non rien de rien…”
21 avril 1961, depuis quelques mois on diffuse cette chanson; Edith Piaf l’a dédiée aux légionnaires engagés en Algérie depuis 7 ans déjà.
Dans les maisons bourgeoises, on entend des airs de swing et de jazz qui se mêlent aux chants traditionnels arabo-andalous que crachent les gargotes alentours.
Soudain, la musique s’arrête et la radio éructe un message incompréhensible:
“Le 1er REP quadrille Alger avec à sa tête le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, le général de Gaulle ! déclare l’état d’urgence !”.
Le reste des noms et des informations se perd au milieu des ondes.
A Bordeaux un ancien résistant se souvient d’un jeune camarade idéaliste.
A Rennes, et à Paris des anciens déportés revivent avec émotion une nuit de décembre 1943.
Un jeune partisan vietnamien réchappé miraculeusement de l’enfer des Vietminh lui ! pense à ce commandant rencontré dans les vallées du Tonkin.
Ce 21 avril 61, le général Challe arrivé clandestinement à Alger avait convoqué Hélie Denoix de Saint-Marc pour lui révéler son plan et lui proposer de prendre part à un coup d’Etat.
“Notre action n’a rien de fasciste ou d’antidémocratique, nous souhaitons contraindre De Gaulle à revoir sa position et à négocier.”
Denoix de Saint-Marc a 39 ans, l’acte est grave quelles qu’en soient les raisons, il le sait bien. Pourtant en moins d’une heure son choix est fait, il prendra part au putsch. Ce soir-là il réunit ses hommes et leur dévoile le plan, pas un ne refuse.
Ni dans les marches ni dans le danger, ni même dans les défilés, personne ne sépare la Légion.
En une nuit le 1er REP s’est emparé des places fortes, l’aéroport, l’hôtel de ville, la radio.
Challe prend la parole:
“Je suis à Alger pour tenir notre serment, celui de garder l’Algérie. L’Armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n’auront jamais d’autres buts.”
En réalité, De Gaulle à Paris est serein, il sait tout du complot, il sait que Challe n’a pas d’appui et que le projet est voué à l’échec. Il laisse faire, le coup est un prétexte idéal pour s’arroger les pleins pouvoirs, et déclarer l’Etat d’urgence.
Le lendemain il prononcera pour la forme une allocution évoquant à tort “un quarteron” et non un quatuor “de généraux en retraite”.
Retiens, le pouvoir, c’est d’abord une parole, une voix.
Le coup est un échec, les putschistes sont lâchés; les soldats doivent déposer les armes et rentrent dans leur caserne. Ils sont immédiatement mis aux arrêts, et transférés au fort de Nogent.
Le soir les gardiens les entendent chanter à tue-tête cette chanson de la môme dont ils ont amendé quelques strophes.
“Ni le bien qu’on m’a fait, ni la prise du corps d’Armée d’Alger.”
Sous le feu, quand un camarade tombe, en marchant, et même au fond d’une géole, à la Légion ! on chante !
L’officier lui, est loin des hommes.
5 juin 1961 Imagine, Paris, l’île de la cité:
Imagine, une salle comble, on est venu de partout pour voir l’homme que le Roi veut déshonorer.
Le procès passionne autant qu’il divise et la beauté du lieu elle, tranche avec l’ambiance de la salle.
Les hautes fenêtres laissent passer la lumière d’un bel après-midi; au plafond, une toile de Bonnat, la justice pourchassant le crime.
La grande salle d’audience de la 1ère Chambre de la Cour d’appel de Paris est un choix qui ne doit rien au hasard. L’endroit est si beau et si solennel qu’aujourd’hui encore Magistrats, avocats et greffiers y prêtent serment.
Cette salle c’est un symbole, 15 ans plus tôt on y avait condamné Laval et Pétain.
C’est ici qu’on juge les traitres.
Depuis un mois on s’affaire, en 30 jours à peine, tout a été refait pour l’occasion.
Là des spots de lumières au cas où les audiences viennent à s’éterniser, ici des micros pour les témoins.
Pas de place pour le doute, tout le monde doit comprendre de quel côté se trouve la justice.
Transféré depuis la prison de la santé dans un camion grillagé, Hélie Denoix de Saint-Marc est entravé, et pourtant les quelques escortes qui le croisent se mettent machinalement au garde à vous.
Ses grands yeux bleus scrutent la salle.
Il n’a pas peur.
A la Légion on ne baisse jamais la tête ni devant la mort, ni devant Dieu.
Fils d’avocat, il le sait bien, la justice a quelque chose de théâtral: il faut humilier l’accusé, le contraindre à la pénitence.
Mais l’officier refuse la mise en scène imposée.
Béret vert, uniforme d’apparat et décorations sur la poitrine, pas question de perdre la face dans cette passe d’arme, dans ce duel entre l’épée et les robes.
Tant pis pour le résultat.
A côté du décorum, le verdict non plus n’est pas négligé.
Tout a été pensé, réfléchi pour aboutir à une condamnation exemplaire.
L’institution d’abord, au lendemain de la reddition De Gaulle commande un “Haut tribunal militaire” sorte de juridiction “ad hoc” pour juger les fêlons.
Pas de recours possible, le Haut Tribunal militaire juge en dernier ressort.
Retiens ! La justice politique ne se déjuge jamais, elle ne supporte pas la contradiction. Seul espoir envisageable, une grâce absurde présentée à celui-là même qui avait créé cette institution.
En un mois à peine l’instruction, le déféré, l’acte d’accusation, tout est bouclé sur ordres, les rares interventions des juges ne sont que pure forme.
Retiens dans les procès politique c’est le Prince qui juge pas la justice.
Le tribunal aussi est composé sur ordre, Maurice Patin qui office habituellement à la Chambre criminelle de la cour de cassation est choisi pour présider les débats, il est flanqué d’éminents juristes des Présidents de Cour d’appel et de militaires de haut rang.
Quelques jours plus tôt on avait déjà jugé Challe et Zeller les architectes du putsch.
Le cas Denoix de Saint-Marc lui, est différent, il n’a pas le profil convenu du réprouvé; il n’est ni un idéologue ni un factieux.
Le Président Patin pose quelques questions pour la forme parce qu’il faut bien faire semblant, toujours le même rituel:
“Nom: Denoix de Saint-Marc
Prénom: Marie, Joseph, Hélie
Avez-vous déjà été condamné ?
Oui par les Allemands.”
Patin est furieux, cette marque d’arrogance, n’annonce rien de bon. Il reste pourtant impassible pas question d’engager un débat sur la légitimité des causes que chacun défend. Il faut absolument éviter que le putsch ait son martyr ou son héros.
C’était pourtant juste, issu d’une vieille famille du Périgord, Hélie Denoix de Saint-Marc n’a que 18 ans lorsqu’il est indigné par la défaite, il entre en résistance.
Ici même dans cette salle nombre d’anciens camarades de toutes tendances politiques confondues sont venus témoigner pour dire qui ! est Hélie Denoix de Saint-Marc. Les témoignages s’enchainent chacun raconte ce qu’il sait de l’accusé. Par petite touche, un portrait se dessine.
Monsieur le Président, nous avons rencontré Hélie Denoix de Saint-Marc une nuit de juillet 1943.
Alors que nous tentions de rejoindre la France Libre nous avons été dénoncés par notre passeur, arrêtés, livrés à la Gestapo puis déportés dans des wagons plombés, envoyés au camp de Buchewald et affectés dans un camp de travail.
Buchenwald, une longue valse avec la mort !
Dans cet enfer, on perd son nom, on n’est plus personne.
Hélie Denoix de Saint-Marc lui, a disparu: il n’est plus que le matricule 20 543.
Enfin, lorsque ce 11 avril 1945, les Américains libèrent le camp, ils découvrent des cadavres entassés de ces vivants en sursis. Saint-Marc est de ceux-là, gisant inconscient parmi les mourants dans cette baraque putride.
23 ans, 42 Kg, rongé par la dysenterie, il a perdu la mémoire et oublié jusqu’à son nom.
30 survivants sur un convoi de 1 000 déportés, renvoyés chez lui, il n’en parlera plus.
Et comme pour conjurer le sort il intègre l’école des officiers de Saint Cyr, et choisit de commander des régiments de la Légion étrangère dont le gros des troupes est composé d’anciens de la Wehrmacht de la SS.
Pas le temps pour la rancoeur ou la haine. La Légion est une patrie, où l’on pardonne presque tout !
“Monsieur le Président ! Notre génération n’a pas connu de valeur fixe nous avons appris à nous fier à notre conscience seule; cela avait conduit notre camarade en déportation en 43, cela le conduit aujourd’hui à la prison.”
A la barre on évoque également l’Indochine et ses traumatismes, des mois à sillonner un pays, à former des partisans contre les Vietminh à se battre et à mourir avec eux.
Et puis un jour fin de mission. Ordre d’évacuer la zone.
“Jamais, jamais nous n’oublierons l’incompréhension et la peur sur les visages des villageois à l’annonce de notre départ. Le cauchemar des coups de crosse sur les doigts des irréductibles incrédules s’accrochant aux rebords des camions français.
Des coups de crosses sur les doigts de nos frères d’armes, finissant par lâcher pour s’écraser dans la poussière.
C’était les ordres !”
Pour le général Ingols membre du jury, chancelier de l’ordre de la libération, déporté-résistant et Gaulliste de la première heure cette histoire a quelque chose de familier.
Sollicité quelques jours plus tôt par des proches de Saint-Marc, Ingold avait accepté d’intercéder en sa faveur à condition qu’il fasse pénitence et présente ses regrets.
L’accusé avait remercié ses amis mais catégoriquement refusé
“je ne regrette rien, j’ai agi en conscience, et je le dirai à l’audience.”
Dans son coin, l’Avocat Général reste silencieux, il note méthodiquement ce qui est dit en attendant son heure.
Jean Reliquet n’a pas été choisi au hasard; ancien procureur général d’Alger, il a parfaitement en tête, les enjeux historiques liés à ce procès.
L’Algérie. Une terre meurtrie, une terre qui mange ses enfants:
Des attentas, dans les cinémas, aux terrasses de cafés, dans les salles de concert, on tue pour trois lettres: MNA – FLN –OAS.
On tue pour venger Guelma, on tue pour venger Sétif, on tue pour la Nation, on tue pour être libre sur sa terre.
On tue au nom du tout puissant du miséricordieux; on guillotine, aussi, au nom de la France.
Imagine une guerre où l’ennemi est sans uniforme agissant parfois sous le masque d’un vieillard, d’une jeune fille ou d’un enfant.
La grande muette veut faire parler, elle torture.
Pour Reliquet, cette pratique est indigne de la République, il alerte ses supérieurs, interpelle sa hiérarchie.
Aucune réaction, l’homme est seul avec ses convictions, les impératifs sécuritaires l’avaient emporté sur ceux de la justice.
L’épée l’avait emporté sur la robe.
Retiens bien ! l’histoire finit toujours par condamner les peuples, qui sacrifient leur droit pour la sécurité.
Appelé pour rétablir l’ordre et la souveraineté nationale. De Gaulle avait fait volteface, pour lui l’égalité risquait d’entrainer un exode massif des algériens en métropole.
“La France est un pays de clocher, hors de question de rebaptise Colombey.”
Seule solution rationnelle: l’indépendance !
La métropole le soutiendra, elle a les yeux rivés vers l’Amérique et la consommation elle se désespère de voir sa jeunesse périr dans une guerre qui ne dit pas son nom.
L’Armée ne comprend pas.
Depuis sa cellule, l’accusé lui, a préparé une déclaration:
“Monsieur le Président. Ce que j’ai à dire sera simple et court. Depuis mon âge d’homme, j’ai vécu pas mal d’épreuves:
Résistance, Gestapo, Buchenwald, l’Indochine, Suez et l’Algérie.”
Saint-Marc explique comment on en arrive là, comment on passe d’officier exemplaire à celui de soldat perdu.
“Un jour, on nous a dit qu’il fallait envisager l’abandon de l’Algérie. L’angoisse a fait place au désespoir et nous avons pleuré en nous souvenant de l’évacuation de la Haute-Région, Diên Biên Phû, l’entrée du Vietminh à Hanoï, des villages abandonnés et des habitants massacrés.
Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique, à tous ceux qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient une mort affreuse.
Nous pensions à notre honneur perdu.
On peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier, pas de se dédire, de tricher ou de se parjurer. Oh ! je sais, Monsieur le Président, il y a l’obéïssance, il y a la discipline.
Depuis quinze ans, je suis Officier de Légion. J’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé. C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril, j’ai fais mon choix.
Terminé, Monsieur le président.”
Patin reste impassible pas question d’accorder à cet instant une quelconque solennité.
Ironie de la scène la justice est aux ordres, le militaire lui, est libre.
Les consignes sont presque dictées pas d’acquittement.
L’Avocat Général Reliquet, l’homme qui s’est opposé à la torture et dressé contre l’armée tient peut-être sa revanche.
Depuis des jours il est encouragé par sa hiérarchie, et par les plus hautes personnalités pour requérir une peine exemplaire.
Dans cette pièce commandée par De Gaulle il joue le dernier acte.
Messmer alors Garde des sceaux le convoque; lui parle des intérêts de la Nation et du danger que représentent les fanatiques.
Retiens ! On invoque toujours les intérêts de la Nation pour insulter la justice.
On lui enjoint de requérir une peine de 20 ans.
20 ans pour punir, pour venger un affront.
20 ans pour effacer une cause et un nom.
Problème: Reliquet, croit au droit pour tous et en tout temps, en Algérie contre le FLN et les communistes, en métropole contre les putschistes, il pense que le Code pénal est suffisant et qu’on n’a pas besoin de loi d’exception pour satisfaire les puissants ou l’opinion publique.
La peine envisagée contre Denoix de Saint-Marc n’est ni juste, ni adaptée.
Puisque Reliquet s’entête, Michelet, ministre des armée et Messmer lui ordonnent par courrier de requérir la peine évoquée. Pas d’objection possible les ordres sont les ordres et il faut obéir.
Tant pis, l’Avocat Général se lève prend un bloc de feuilles et s’approche du Président:
“ Article 13 du Code de procédure pénale le Ministère Public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données, voici mes conclusions.”
Posant le tas de feuilles sous le nez du Président, il poursuit immédiatement:
“Elles sont fidèles aux consignes qui m’ont été données vous y trouverez la peine exigée... J’entends pourtant, au terme du même article conserver ma liberté de parole…et requérir autrement. La plume est serve certes, mais la parole est libre.”
L’instant est rare et surprenant on n’a presque jamais vu ça.
Les murmures de réprobation dans la salle laissent à présent place à un brouhaha.
“Silence ! Silence dans la salle !”
Patin réprouve manifestement la démarche de Reliquet qui enchaine:
“La faute si lourde soit elle, ne saurait effacer 20 ans d’héroïsme.”
Il faut une peine juste et adaptée, juste et adaptée.
“4 à 8 ans de réclusion criminelle.”
Et Reliquet de conclure:
“Beaucoup plus que cette peine l’abandon du métier des armes sera une sanction bien plus terrible pour ce soldat héroïque.”
A ce moment précis l’espoir est permis, Reliquet semble avoir entrouvert la porte et la défense tient quelque chose.
Le mot acquittement se murmure dans la salle.
L’instant est incroyable !
Au tour de la Défense de prendre la parole, les chances sont minces, mais il faut s’engager dans chaque interstices tout exploiter, ne rien laisser au camp d’en face.
Cette plaidoirie je la connais par coeur !
La procédure d’abord ! Un tribunal spécial, c’est une marque de défiance envers le peuple.
L’accusé comparait devant un tribunal fantoche créé par l’article 16 spécialement pour punir et jeter l’anathème.
Quelle différence avec Riom, ou les sections spéciales ?
Par sa forme et par son but il est discrédité.
De plus comment considérer ce jury comme impartial et ce procès comme équitable alors qu’on a déjà condamné Challe et Zeller quelques jours plus tôt pour les mêmes faits.
Les faits ! la Vème République est un coup d’Etat née d’un coup d’Etat; le pouvoir a sciemment laissé faire pour asseoir une légitimité qui lui faisait défaut et engager des réformes institutionnelles.
Le putsch avorté a été instrumentalisé pour servir les intérêts du pouvoir en place.
Les faits encore ! l’homme a agi par fidélité à un serment, redoutant nous dit-il un massacre à venir.
L’histoire dira comment, la France aura traité les pieds noirs et les harkis.
Un mot pour les juges enfin, leur rappeler que 20 ans plus tôt ces militaires, avaient eux-mêmes désobéis.
Un mot pour l’homme peut-être aussi enfin, la vie de Hélie Denoix de Saint-Marc est une tragicomédie qui veut qu’au gré des caprices des puissants, on porte pour les mêmes faits, tantôt un uniforme d’officier et tantôt celui de bagnard.
Mais rien de tout cela n’a été dit.
Cette plaidoirie c’est la mienne.
On avait laissé à l’accusé deux jours seulement pour choisir son conseil, deux jours pas plus.
Jacques Martin-Sané un fidèle du Maréchal s’était proposé spontanément; les proches de Saint-Marc l’avaient pourtant mis en garde sur le profil de son avocat.
Qu’importe, il avait donné sa parole d’officier.
Maitre Martin-Sané n’a pas saisi la main tendue par le parquet, et s’est contenté d’une plaidoirie grandiloquente et un peu surannée pour réclamer l’absolution.
Peut-être n’avait-il pas vraiment compris qui, était Hélie Denoix de Saint-Marc.
Oui je sais le soleil se couche, mais écoute encore un peu, imagine la Cour des Invalides, des hommes en képi blanc au garde à vous, réunis autour d’un vieil homme.
Ses grands yeux bleus, scrutent l’horizon.
Déporté à 20 ans, dégradé et emprisonné à 40, Hélie Denoix de Saint-Marc a été successivement gracié, amnistié, puis réintégré dans son grade de commandant.
Non par décision de justice, mais par décrets successifs; des caprices de Prince.
Aujourd’hui, 28 novembre 2011, il est fait Grand-croix de la Légion d’honneur: “A titre militaire et au titre de l’Algérie”.
Soudain tout le monde se fige.
“Aux morts”.
A quoi pense-t-il ?
Quelques vers de Péguy que je t’ai récité sur les fils et sur la terre.
Une pensée de 10 ans prononcée à la hâte ce 5 juin 1961, A tous ces hommes morts pour la France, par la France.
Ministère Public contre Denoix de Saint Marc, c’est l’histoire d’un procès qui n’aura duré qu’un après-midi et le procès d’une histoire, une histoire d’homme aussi.
Tu as raison c’est drôle un patronyme mais ça dit tellement de choses sur celui qui le porte.
Je ne comprenais pas vraiment pourquoi mon père me contait ce récit, peut-être qu’avocat lui-même, il me donnait tout simplement une leçon d’homme et de justice.