Pechkoff... un homme exceptionnel, une aventure humaine exemplaire, un périple remarquable qui évoque la devise même de la Légion étrangère: "Honneur et Fidélité".
C'est émouvant de retrouvé ces écrits du regretté général Bernard Goupil. Il retrace le parcours atypique de ce général français, ancien ambassadeur de France, devenu fils de France non par le sang reçu, mais par le sang versé qui a demandé que sur sa tombe soit tout simplement inscrit: "Zinovi Pechkoff, légionnaire".
Si vous allez à Aubagne au musée de la Légion, vous pouvez voir une sanguine de Pechkoff légionnaire par Alexandreev et donnée par Madame Edmonde Charles-Roux, légionnaire d'honneur car elle a soigné des légionnaires blessés en 1940 et 1944.
Qui était ce Pechkoff ? il était né Sverdlov en 1884 à Nijni-Novgorod, son père était graveur sur cuivre. Le jeune Sverdlov a une enfance peu brillante, travaillant peu et traînant avec les voyous sur les bords de la Volga. Sa chance fut sa rencontre avec Gorki qui a alors 28 ans et qui est au début d'un immense succès dans et hors de Russie, mais en délicatesse avec la police du Tsar et éloigné de Moscou.
Gorki qui a eu aussi une enfance malheureuse s'intéresse au jeune Sverdlov et pense le faire jouer dans une de ses pièces. Il veut l'inscrire à l'institut philharmonique mais c'est impossible, la famille Svedlov est d'origine juive. Gorki persuade son ami de se faire baptiser dans la religion orthodoxe et il en sera son parrain. Quelque temps après il décide d'en faire son fils adoptif et lui donne son nom Pechkoff, car Gorki est un nom d'auteur: il est né Alexis Pechkoff à Nijni-Novgorod, ville à laquelle Staline donnera le nom de Gorki par la suite. Gorki veut dire en russe « amer», il a fait ses débuts littéraires en signant des billets contestataires: « Gorki », puis il a décidé de consacrer son oeuvre à dépeindre l'amère réalité du petit peuple, sa pièce célèbre s'intitule « Les bas-fonds». Pechkoff va suivre le sort de Gorki allant en prison en même temps que lui.
Mais en 1904 c'est la guerre Russo-japonaise et Pechkoff qui à 20 ans ne veut pas servir dans les armées du Tsar et part en Finlande, puis en Suède et au Canada où il subsiste par de petits métiers. En 1905 c'est la première révolution russe avec le drame du dimanche rouge et la mutinerie du cuirassé Potemkine. Après une mesure libérale, création de la Douma, le tsar exerce la répression et Gorki est chassé de Russie.
Il est reçu à Paris dans les milieux littéraires mais nous sommes à l'époque des emprunts russes et les porteurs d'idées contestataires voire révolutionnaires sont mal vus, Gorki le sent et part aux Etats-Unis et entreprend une série de brillantes conférences par l'entregent de Pechkoff qui l'a rejoint et le traduit. Or un journaliste américain découvre que Gorki qui est marié vit avec sa secrétaire « dans la même chambre d'hôtel». C'est le scandale et Gorki n'a plus qu'à partir et va s'installer en Italie près de Capri. Car Gorki est célèbre, il a été élu à l'Académie de Moscou, mais radié par ordre du Tsar, mais il est riche. Dans sa villa où Pechkoff est son secrétaire et son factotum, il a table ouverte et reçoit beaucoup de monde, notamment les bolcheviques Lénine et Borgdanov. Petchkoff racontera par la suite les entretiens entre Lénine et Gorki qui n'est pas un extrémiste et reproche à Lénine de ne pas connaître le peuple russe et Lénine de répondre: « ce n'est pas la révolution russe qui m'intéresse c'est la révolution mondiale, la révolution russe n'en sera que le brandon».
En 1914 c'est la guerre et Pechkoff qui a 30 ans ne veut toujours pas rejoindre les armées du Tsar. Il part à Gènes au consulat de France et s'engage dans la Légion étrangère. Après une courte instruction, il est sur le front, est cité au combat, nommé caporal et en mai 1915 il est blessé grièvement au bras droit devant Arras. S'estimant mal soigné à l’hôpital du front, il s'en évade malgré l'état de son bras, s'impose dans un train et se fait admettre à l'hôpital américain à Paris ou finalement on l'ampute du bras droit, ce qui dit-il lui sauve la vie. Il est alors réformé et n'est plus qu'un glorieux blessé décoré de la médaille militaire. Il repart alors en Italie ou il commence une série de brillantes conférences. De retour à Paris il est reçu dans les milieux qui avaient accueilli Gorki, il rencontre Berthelot secrétaire d'état aux affaires étrangères alors que la France fait un effort de propagande pour entraîner les Etats-Unis dans la guerre et Berthelot convainc Briand premier Ministre et Ministre des Affaires Etrangères d'envoyer aussi ce glorieux blessé qui Connait les Etats-Unis. Pechkoff est alors nommé Lieutenant à titre temporaire, en jargon militaire on dit qu’on lui donne des galons en zinc, et même lieutenant interprète car il parle en plus du russe le français, l'anglais, l'italien et l'allemand. Pechkoff réussit brillamment cette mission et quand les Etats-unis rentrent dans la guerre en avril 1917 il revient en France et reçoit la médaille de chevalier de la Légion d'Honneur.
En février 1917, débute la seconde révolution russe, en mars Nicolas Il abdique, en avril Lénine arrive et la France s'inquiète de voir la Russie cesser le combat car si Kérenski veut poursuivre la lutte, les bolcheviques prônent la paix dans les régiments russes. A la mission envoyée auprès du gouvernement provisoire on joint Pechkoff nommé capitaine mais l'armistice de Brest-Litovsk signe l'échec de la mission, Pechkoff ne veut pas rester en Russie. Dans la famille Sverdlov ils sont 8 dont la moitié seulement est pour les bolchéviques. Zinovi est l'aîné des garçons et ne s'est jamais entendu avec le second Yacov qui est un fervent de Lénine, tellement que, quand le parti de Lénine prend le pouvoir, Yacov SverdIov est le président du conseil des commissaires du peuple, pratiquement le chef de l'état. Des auteurs et des historiens s'accordent à penser que si Yacov Sverdlov n'était pas mort de la grippe espagnole en 1919, ce serait lui et non pas Staline qui aurait succédé à Lénine. Mais ce n'était pas un tendre car il est le décideur du massacre de la famille impériale à Iékaterinebourg en juillet 1918, d'ailleurs en 1923 la ville de Iekaterinebourg sera débaptisée et prendra son nom à lui de Sverdlov , nom qu'elle gardera jusqu'en 1991.
A la fin de 1918, les alliés s'inquiètent de l'emprise bolchévique sur la Russie et interviennent aux cotés des armées blanches; La France est sur le front de Pologne ,les anglais et les français débarquent à Arkangelsk; les japonais à Vladivostok et remontent le transsibérien, on envoie des missions conseiller les chefs des armées blanches, le capitaine Pechkoff en fait partie, il va ainsi voir Denikine, l'amiral Koltchak en Oural, l'Ataman des cosaques Semenov; mais toutes ces armées s'effondreront sous les coups de boutoir des armées bolcheviques menées d'une main de fer par Trotski. La dernière, l'armée Wrangel, où Pechkoff est présent, évacue la Crimée et les débris des armées blanches refluent sur Constantinople d'où partira la diaspora blanche.
En 1922, Pechkoff obtient d'être envoyé au Maroc auprès du Maréchal Lyautey, en 1923, il est naturalisé français et en 1924, il réintègre la Légion, « sa chère Légion », comme capitaine et va commander une compagnie au combat, car de 1921 à l926, c'est la première guerre du Rif ou les espagnols et les français avec des moyens importants, en effectifs, artillerie et aviation, mettront 5 ans à se débarrasser d'Abd del Krim avec des pertes sensibles et où l'on verra le Maréchal Pétain imposé à la tête des opérations ce qui provoquera la démission du Maréchal Lyautey et son départ du Maroc. En 1925, Pechkoff est blessé à la jambe gauche et pendant sa convalescence il écrira un livre paru en 1929 : Zinovi Pechkoff, «La Légion Etrangère au Maroc » , très intéressant sur la Légion et la sévérité des combats.
Entre les deux guerres il reste au Maroc sauf une mission au levant, il commande un bataillon de Légion, a de l'allure et une belle tenue au feu et ses légionnaires l'appellent «le manchot magnifique », il faut savoir que parmi les légionnaires fiers de lui se trouvent de nombreux russes blancs ,engagés pour la plupart au consulat de Constantinople. A cette époque il rencontre l'ambassadeur Charles Roux, ami de Lyautey et père d'Edmonde d'où la sanguine dont je vous ai parlé au début; il se marie avec la veuve d'un diplomate: Jacqueline Delaunay Belleville dont il se séparera par la suite. Il y avait eu un premier mariage en Italie où il avait épousé la fille d'un colonel cosaque « 5 jours après l'avoir rencontrée» malgré la naissance d'une fille le mariage n'avait pas tenu.
Mais en 1940 c'est la débâcle et du Maroc Pechkoff arrive à rejoindre Londres en 1941 . Il se présente au Général de Gaulle et le premier contact n'est pas terrible, le Général s'interroge sur ce vieux commandant, il a 57 ans est resté près de 15 ans dans ce grade, d'origine russe au passé aventureux, il a fait des missions pour les Affaires Etrangères, finalement il le nomme colonel et l'envoie en poste en Afrique du Sud.
En 1941 il y a eu Pearl-Harbor, depuis, la marée japonaise a submergé Singapour, les Indes Néerlandaises, la flotte nippone est entrée dans l'Océan Indien et ses sous-marins y opèrent avec succès. Les Anglais sont très inquiets à la pensée que les Japonais pourraient s'installer à Diégo-Suarez le port au nord de Madagascar tenu par la France de Vichy comme ils se sont imposés dans l'Indochine de l'Amiral Decoux. Ils décident de le contrôler et pour ce faire de s'en emparer de vive force; et là, épisode peu connu, moins de 2 ans après Mers el Kébir, ils commencent par couler les bateaux français devant Diégo-Suarez. Ainsi j'avais un cousin Officier de Marine, Maurice Putz, à Mers el Kébir enseigne sur le Dunkerque, il est blessé par les tirs anglais et hospitalisé et le 7 mai 1942, il est un des rescapés du sous-marin «le Héros » coulé devant Diégo-Suarez par les avions du H.M.S. Illustrious.
Or les anglais entendent se substituer à l'administration française et le Général de Gaulle qui a senti la manoeuvre, fort de l'expérience du Levant, sait qu’il faut se souvenir qu'avant la conquête par la France en 1895, il y avait eu une lutte d'influence féroce entre l'Angleterre et la France pour Madagascar, il dépêche Pechkoff auprès du Général Smuts qui commande à Madagascar car celui-ci l'a très bien connu en Afrique du Sud. Pechkoff ne s'attardera pas dans cette mission car il ne veut pas rester avec les Anglais qui poursuivent la lutte jusqu'en novembre 1942 au sud de l'île. Tout ceci aboutira à l'accord Eden-de Gaulle de décembre 1942; Antony Eden étant alors ministre des Affaires Etrangères de Churchill. Par cet accord l'Angleterre reconnaît la souveraineté de la France sur Madagascar.
Mais en novembre 1942 les anglo-Américains ont débarqué en Afrique du Nord, les Allemands ont envahi la Zone en France libre et à l'autre bout de la planète en Chine le Maréchal Tchang Kai-Chek a rompu les relations diplomatiques avec Vichy. Alors à Alger on est en pleine lutte de pouvoir entre le Général Giraud et le Général de Gaulle et celui-ci sans attendre veut envoyer son représentant à lui en Chine. Il a récupéré Pechkoff le nomme Général de brigade et l'envoie à Kunming où il représentera la France jusqu'à la fin de la guerre du Pacifique.
A son retour à Paris le Général de Gaulle qui maintenant l'estime et apprécie ses services le nomme Général de Corps d'Armée, 4 étoiles et Ambassadeur de France au Japon. Pechkoff ira à Tokyo auprès du Général Mac-Arthur et les 2 vieux soldats atypiques s'estimeront et s'entendront parfaitement, ce qui permettra à Pechkoff, ambassadeur de France de mener une politique d'ouverture vers le peuple japonais et ses responsables. Il sera aidé par le premier secrétaire, Francis Huré, qui sera Ambassadeur de France par la suite et qui a fait paraître, il y a 2 ans un livre « portraits de Pechkoff» où il parle avec chaleur de Pechkoff très secret mais ne cache pas que de temps en temps, discrètement on reprenait des notes et des messages de l'Ambassadeur pour leur donner une forme plus diplomatique. En 1950 c'est l'âge de la retraite et Pechkoff s'installe à Paris.
En 1952 le Président Vincent Auriol l'élève à la dignité de Grand-Croix de la Légion d'Honneur.
En 1964 le Général de Gaulle en pleine guerre froide a décidé de reconnaître le régime de Mao Tsé Tung. La France est la première puissance occidentale à le faire et, par prévenance envers le vieux Maréchal Tchang Kaï Chek maintenant replié à Taîwan, qui a toujours été bienveillant pour la France libre combattante, il veut l'en avertir et lui expliquer; pour cette mission délicate il pense que le mieux est d'aller chercher dans sa retraite son ancien représentant en Chine. Ce sera la dernière mission de Pechkoff qui ira à Taipeh voir le vieux Maréchal et, celui-ci, malgré la déconvenue de cette nouvelle, lui réserve un accueil magnifique.
En 1966 le Général Pechkoff meurt à 82 ans.
Il est alors enterré au cimetière russe de Sainte Geneviève des Bois et porté en terre par six légionnaires. Et là, le voyou russe devenu Français, Général, Ambassadeur de France, Grand Croix de la Légion d'Honneur a demandé que sur sa tombe soit simplement inscrit:
ZINOVI PECHKOFF
LEGIONNAIRE
Général Bernard GOUPIL