Concert de la Musique de la Légion
Dans la salle comble, un léger murmure et le scintillement de la lumière éveillent une sensation de bien-être et de gaîté. Conforme au programme, une douce impatience est à son apogée dès que la baguette du chef frappe le pupitre, elle faiblira et s’apaisera au premier son de l’orchestre.
Alors se fait entendre un bourdonnement semblable à celui des insectes tourbillonnant pendant les nuits d’été, un son clair et joyeux sorti des cors où de la respiration voilée sombre et menaçante des trombones qui ajoutent encore au trop plein d’appréhension, de pressentiments incertains, d’attente… Chacun imagine le concert et le savoure déjà.
Sur l’estrade, les troupes sont rangées en ordre de bataille. Les trombones se dressent songeurs, penchés, dociles. L’orchestre termine ses accords, lorsqu’un musicien fait entendre le son triomphal et voluptueux de sa clarinette.
L’instant est précieux, Emile Lardeux, le chef d’orchestre se dresse devant nous dans son habit de parade. Les lumières de la salle faiblissent. Sur le pupitre, la partition blanche, éclairée par une lampe invisible, se met à luire, tel un fantôme. Notre chef d’orchestre a tapoté son pupitre de sa baguette, étendu les deux bras et se tient droit, prêt à l’action imminente. Traditionnellement, peut-être par superstition, en geste immuable, il rejette la tête en arrière et agite ses mains comme des ailerons et aussitôt les vagues courtes, rapides et écumeuses des trompettes submergent les spectateurs. Alors le public, la salle, le chef et l’orchestre ont disparu. Le monde s’est évanouï, a sombré pour être recréé et réapparaitre sous une forme nouvelle. Le maître armé de sa baguette de sorcier fait surgir en imagination du vide et des profondeurs des flots vastes et puissants au milieu desquels se dresse un récif, une ile déserte, un refuge fragile au dessus de l’abîme des mondes. Sur ce récif, se tient le légionnaire, seul dans les espaces illimités. Un chant mélodieux se répand dans le néant, la forme pénètre le chaos, des airs harmonieux résonnent dans l’espace infini. Un sentiment de fierté nous submerge, une émotion forte, profonde et joyeuse nous envahie.
Le silence qui suit est encore de la musique, c’est la fin du premier mouvement. Après un court entracte, c’est le retour en salle, où un cor de chasse lance un appel plaintif, comme si l’agonie était proche. La trompette pleure avec confusion et suscite une impression de tristesse qui fait frissonner. Avec le retour de l’harmonie, ressurgissent des charmes oubliés qui marquent la fin du spectacle. Etourdis par les émotions, nous cherchons à nous libérer en applaudissant et dans le tumulte de ces minutes d’ovation où l’excitation est à son comble, chacun prend conscience, que l’instant présent est précieux, nul doute, il restera à jamais inscrit dans un coin, caché au fond de notre mémoire.
"Que serait la lumière sans l’ombre et la musique sans le silence ?"