Je n’ai pas connu la guerrre d’Algérie en Algérie…
Jeune légionnaire, beaucoup de mes chefs jeunes et anciens parlaient beaucoup de ce qu’ils appelaient le conflit algérien. Grand bavard devant l’éternel, j’ appris cependant à la Légion de rester toujours discret, sans intervenir, quand mes chefs parlaient entre eux surtout quand ils évoquaient les récents grands bouleversements qui avaient marqué leur vie de soldat. L’un d’eux, un adjudant-chef d’origine allemande disait avec beaucoup d’amertume avoir été soldat au 3°REICH pendant la dernière grande guerre, et s’engagea ensuite à la Légion, fit plusieurs séjours au sein du 3°REI en Indochine et se retrouva tout naturellement en Algérie en 1954. Il disait ne pas savoir ce qu’était une atmosphère de paix, depuis son adolescence, il n’avait connu que la guerre. A qui voulait bien l’entendre, il disait haut et fort qu’il avait rencontré tout au long de sa carrière des chefs prestigieux mais qu’un en particulier avait toute son estime: Hélie Denoix de Saint Marc.
Pour lui, cet homme de guerre à la recherche de la paix était un témoin de tous les événements qui marquèrent notre histoire, de la grande tuerie de 40 à la déchirure algérienne. Cet officier traversa, disait-il, cette immense étendue de morts et de douleur où l’esprit se vide de toute forme d’espérance et où adhérer à une foi devient encore plus difficile.
De ce désespoir qui n’était que conscience vive, d’une farouche volonté à refuser la tragédie qui se développait, naquit, chez cet homme de conviction, un affrontement devenu inévitable alors que le drame algérien surgissait de la confrontation de ce qui était légitime à ce qui était illégal.
La tragédie manichéenne entremêla inextricablement le bien et le mal ; le drame mit en scène un combat sans merci. Pour cet homme qui vient d’entrer dans l’histoire de notre France, ce fut l’éternel combat de la mesure contre la démesure… lorsqu’on est pris entre l’ombre et la lumière le bon choix s’avère difficile. Dans l’ambiguïté, dans le doute, entre l’absolue soumission au mystère et l’absolue certitude de la raison, s’exprime la plus grande dignité de l’homme. “Le héros nie l’ordre qui le frappe et l’ordre divin frappe parce qu’il est nié” Camus.
Ainsi donc, la pensée la plus pure devient pure folie dès lors qu’elle ne se reconnait plus de limites.
Ce monde tel qu’il est fait n’est pas supportable, écrit encore Camus. Son dessein est clair: “il s’agit de rendre possible ce qui ne l’est plus, alors le jeu n’a plus de limites, c’est une rébellion qui se dessine et qui pousse les raisonnements jusqu’au bout de leur logique ». Hélie Denoix de Saint Marc adresse à la France un avertissement que les politiques ont bien du mal à entendre. Homme redevenu libre, il ne cessera de justifier dans ses livres et en filigrane, les conséquences d’une forme de croyance absolue, aveugle, dans le pouvoir de la raison qui n’exclut pas les sentiments. Une étrange forme de vérité, celle de se révolter contre un destin tracé qu’aggrave l’erreur de tuer les hommes en ne détruisant que soi même…
N’est-il point vrai de dire que si le monde nous montre sa face la plus répugnante, elle est fabriqué par des hommes qui s’accordent le droit de tuer les autres sans mourir eux-mêmes, ce qui n’est que rarement le cas des militaires.
Lyautey disait: “l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant sa vie autonome, se détachera de la France métropolitaine. Il faut qu’à ce moment-là, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner avec affection vers la France. La séparation d’avec le Maroc s’accomplira sans douleur. Celle d’avec l’Algérie se fera dans d’infinies douleurs.”
Lorsque dans les murs qui nous retiennent secrètement prisonniers, nous chercherons les portes et les fenêtres qu’il nous faudra ouvrir pour avoir le sentiment furtif d’être encore libres, lorsque tout en nous refusera d’être victime ou bourreau, c’est vers la lumière qui éclaire les âmes des hommes que nous nous tournerons.
Le choix fait-il prévaloir le devoir sur le sentiment?
Il y a des écrivains dont l’œuvre et la vie sont si étroitement liées que l’on ne peut entrer dans l’une sans pénétrer la secrète intimité de l’autre. Le plan de leur œuvre se fait en suivant le fil conducteur qui est celui de leur vie. Hélie Denoix de Saint Marc a vécu comme il a écrit, cette homme de conviction avait le don de nous faire partager sa foi, son espérance, ses doutes, ce père n’avait de cesse de nous prendre à témoin et de nous dire combien il fut un homme de cœur et de raison.
Permettez, mon Commandant, qu’un modeste légionnaire vous dise à Dieu, à vous écouter autour du vieux bivouac où vous vous êtes retiré…
Légionnaire Charles Morlais
Le film "Hélie de Saint Marc, Témoin du Siècle"
Il ne s'agit pas d'un film de guerre mais d'une restrospective des étapes tumultueuses de la vie du Commandant de Saint Marc et de ses choix éthiques. Entre une enfance "aux ancrages solides" et les "feuilles mortes" de la vieillesse, la résistance, la déportation, "l'affaire de sa vie" que fut la Légion Etrangére, les tragédies d'Indochine et d'Algérie, la révolte, la condamnation, la prison, nourissent la trame d'une réflexion profonde exprimée par la voix grave de Jean Piat. Une leçon de sagesse et de courage dans un style que n'aurait pas renié Saint-Exupéry.
"L'Honneur est-il dans l'obéissance absolue au pouvoir légal, ou dans le refus d'abandonner des populations qui allaient être massacrées à cause de nous? J'ai choisi selon ma conscience. J'ai accepté de tout perdre, et j'ai tout perdu.(...) Je connais des réussites qui me font vomir. J'ai échoué mais l'homme au fond de moi a été vivifié" ( Hélie de Saint-Marc: L'aventure et l'espérance)