Indémodable la manière de présenter la condition militaire avec une humanité profonde et une pitié fraternelle tel que le fait Vigny. Celui-ci s’élève avec fermeté contre la doctrine formulée qui exalte le guerrier comme un instrument aveugle et prestigieux d’une mission divine. Il regarde la guerre comme un fléau et définit la grandeur par l’abnégation, par l’acceptation vaillante de la servitude.
Pour Vigny, dans les armées, le troupier et même l’officier ne sont que des esclaves: ils doivent l’obéissance passive à une autorité factice qui les prend à ses gages. Mais ce renoncement à soi, souvent au prix des plus cruels sacrifices, permet à l’homme de sauvegarder sa dignité personnelle. Ainsi se définit une religion de l’honneur. Chesterton, célèbre écrivain anglais disait: “le vrai soldat ne se bat pas parce qu’il hait ceux qui sont en face de lui, mais parce qu’il aime ceux qui sont derrière lui” et… qu’il sait pouvoir compter avec eux ! Au sein d’un monde où semble régner la fatalité, cette mystique nouvelle rend à la vie du militaire un sens et atteste l’existence d’une forme de liberté.
Novembre 1945, la France désormais privée de l’aide militaire alliée, doit liquider les séquelles de la guerre et entamer sa reconstruction. Des compromis sont nécessaires, il est refusé de donner aux communistes l’un des trois ministères qu’ils réclament, mais leur est cédé celui de l’Armement.
En 1946, l’Armée française est au coeur des critiques de l’Assemblée Constituante. Comment, en effet, justifier ses nombreux effectifs, alors que la France affamée compte des centaines de milliers de sans-abri ?
L’ambiance est mauvaise, les combats terminés, la presse témoigne d’un antimilitarisme violent. Les crédits militaires sont l’objet de discussions passionnées et amènent l’une des plus grandes crises de l’Assemblée Constitutante: elle entraîne le départ du général de Gaulle, le 20 janvier 1946.
C’est le moment où, en pleine crise profonde et en grande difficulté à poursuivre une politique à long terme au sein d’un gouvernement marqué par l’instabilité, la France se trouve engagée dans le conflit indochinois.
Je reprends à mon compte l’expression d’un de mes chefs, de ceux que j’estime au-delà de tout respect conventionnel: “Cette guerre d’Indochine était un génocide militaire”.
Bien entendu, cela n’enlève rien à la bravoure des soldats impliqués dans cette guerre cruelle, mais il faut bien reconnaître que ceux-ci en se retrouvant, immédiatement après le choc de l’humiliation de Diên Biên Phu, engagés contre la rébellion dans le conflit algérien, ne pouvaient échapper à une crise morale.
Douglas Porch dans son livre “La Légion étrangère – 1831 – 1962” écrit:
“Arrivés en Algérie, les légionnaires de retour des camps indochinois, découvrent que la prime d’alimentation de prisonnier a été défalquée de leur rappel de solde, sous prétexte bureaucratique qu’ils ont été nourris par le Viet-minh durant leur captivité et qu’ils n’y ont, par conséquence, pas droit !
Pour ces hommes frustrés et amers, les années de guerre en Indochine ont été chargés de sacrifices et du spectacle de multitudes de réfugiés nageant vers les navires français en appelant au secours. Quasi unanimement, ils reportent leur frustration sur le gouvernement et sur les français.
Les énormes erreurs de la RC4 et de Diên Biên Phu, sans oublier la médiocrité de la logistique, l’absence du renseignement, la légèreté de l’infrastructure, la sous-estimation affligeante de l’adversaire et tant d’insuffisances militaires, tout cela est imputable à la république qui désigne des généraux “incapables”, indignes de commander des hommes qui ont le malheur de servir sous leurs ordres”.
Le lieutenant-colonel de Boissieu, qui commande le 5°REI écrit ainsi: “Un parallèle s’établit facilement pour ceux qui combattirent et souffrirent dans ce pays depuis 1946, entre notre perte de prestige au Viêt-nam et le déroulement des actuelles rébellions en Afrique du Nord. Cette région dans laquelle tous ont servi, où ils continueront à servir et qui est le berceau de la Légion leur tient particulièrement à cœur.
La politique menée inquiète au plus haut point; d’autant que, là encore, comme jadis au Viêt-nam, l’origine des mots d’ordre, le lieu de formation et de refuge de certains meneurs, les trahisons même, viennent de la métropole.”
Les forces françaises d’outre-mer en général, et la Légion en particulier, sont une armée de plus en plus coupée de sa base politique. Ainsi la guerre d’Algérie s’ouvre-t-elle dans une atmosphère de méfiance entre une partie de l’armée et le gouvernement, méfiance qui ne peut que s’accroître lorsque le gouvernement engage le Maroc et la Tunisie sur le chemin de l’indépendance.
La République découvre que ses possibilités de manœuvre pour atténuer ce qui allait devenir la grande tragédie algérienne sont compromises.
Les pieds-noirs prennent part au drame, l’Algérie de 1954 compte plus d’un million d’habitants d’origine européenne.
Il n’est pas surprenant que les frustrations et le caractère indécis de ce type de guerre aient conduit les soldats français à accueillir avec joie l’expédition de Suez en novembre 1956.
Les causes de la décision franco-britannique d’attaquer l’Egypte, en liaison avec une offensive de l’armée israélienne, sont complexes, mais le déroulement des opérations illustre bien l’adage selon lequel des alliés combattant du même côté ne le font pas nécessairement pour les mêmes buts.
Les hommes engagés dans la guerre d’Algérie croient que la chute de Nasser décapitera le FLN en le privant de l’appui de son plus fervent défenseur.
La déception du corps expéditionnaire est grande quand les Etats-Unis et l’Union soviétique imposent l’arrêt des opérations au bout de seulement quarante heures. Pour les paras français, qui ont chassé les Egyptiens comme des lapins, c’est une nouvelle preuve de la trahison ourdie par “les Anglo-Saxons”, par l’Occident et la IV° République. Le FLN reprend courage et exploite cette aubaine dans sa propagande; il récupère même des armes abandonnées lors du retrait précipité des forces alliées.
Pour beaucoup d’officiers, le sentiment de trahison est si profond que leur loyauté vis- à-vis du gouvernement vacille.
De retour à Alger, ils découvrent que le FLN a transformé “la défaite inexploitée de Nasser” en “une victoire triomphale”.
Cette “guerre” est surtout, sur le plan militaire, une guérilla. La doctrine de la guerre révolutionnaire, mettant en œuvre l’arme psychologique, est rejetée par le commandement.
Elle oppose l’armée française dans toute sa diversité, faisant cohabiter des commandos de troupes d’élite, force de maintien de l’ordre, appelés du contingent et supplétifs indigènes, aux troupes indépendantistes de l’Armée de libération nationale (ALN), branche armée du Front de Libération Nationale (FLN) d’encadrement politico-administratif (CNRA et CCE).
Militairement gagnée par la France en 1959 (opération Jumelles), elle est politiquement remportée par le mouvement indépendantiste en 1962. Elle était doublée d’une guerre civile et idéologique au sein des deux communautés, donnant lieu à des vagues successives d’attentats et de massacres sur les deux rives de la Méditerranée.
Côté musulman, elle se traduit par une lutte de pouvoir qui voit poindre la victoire du FLN sur les partis algériens rivaux, notamment le MNA (Mouvement National Algérien) et par une campagne de répression contre les harkis soutenant le statu quo du rattachement de l’Algérie à la République française.
Côté français, elle suscite l’affrontement entre une minorité active hostile à sa poursuite (mouvement pacifiste), à une seconde favorable à la révolution (les porteurs de valises), et une troisième ralliée au slogan “Algérie française” (Front Algérie Française, jeune Nation, OAS).
Cette guerre s’achève à la fois :
Sur la proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962 suite au référendum d’autodétermination du 1er juillet prévu par les accords d’Evian du 18 mars 1962, sur la naissance de la République algérienne le 25 septembre et sur le rapatriement du million de Français vivant en Algérie.
Après les difficultés liées au lendemain d’une seconde guerre mondiale qui divisait l’armée française, se présente pour cette dernière le conflit indochinois enchainé par celui de l’Algérie. De 1939 à 1962, l’armée française a été sollicitée et si toute guerre est par nature inhumaine, le bilan présenté est sans appel, il y a une discordance affichée entre la volonté politique et son bras armé.
CM