Un peu de « pub », introduction à une nouvelle qui me trotte dans la tête depuis quelques temps.
Connaissez-vous le camping du “bout du monde” à Verdun en Lauragais situé dans le cœur même de la montagne noire entre Carcassonne et Toulouse ?
Du temps de mes affectations à Castelnaudary, nous avions pris l’habitude de nous retrouver dans cette ferme qui surplombe la plaine du Lauragais, face aux Pyrénées, un petit coin de liberté doté d’une ambiance très reposante, contraste assuré de notre vie très active au service de l’instruction légionnaire.
Nous y prenions nos repas dits de « cohésion » à l’extérieur du quartier, déjeuners ou dîners finement préparés par Martine, la maîtresse des lieux qui faisait son pain elle-même (les miches de Martine, une vraie référence…). Ceux-ci se passaient dans une ambiance chaleureuse dans une grande salle atypique située au bord d’un lac creusé et construit à la sueur du front de Marc Trinquel, le mari de Martine, ancien ténor à la voix gutturale de l’opéra de Strasbourg. Cela se passait souvent le soir et nous terminions notre soirée traditionnellement par une promenade dite des « philosophes »... Ce parcours dans une belle campagne étoilée, nous y prenions un plaisir simple. Camping du “bout du monde”, qui n’a pas rêvé un jour de tout laisser pour vivre sans contrainte l’esclavage de ses désirs ? Chacun, à son propre rêve de bout du monde caché au fond de sa mémoire.
C’est dans cet endroit du Lauragais, quand le temps me le permettait, que je venais en solitaire me dépouiller des préoccupations habituelles qui faisaient mon quotidien, je me perdais alors dans la campagne, véritable évasion d’une vie de nobles servitudes pour me retrouver au… « bout du monde ». Parfois je partageais, de quoi refaire en bonne compagnie le monde à notre convenance… Nous imaginions la terre ronde et convenions souvent au terme de discussions passionnées que le lieu le plus éloigné que l’homme puisse atteindre, était précisément l’endroit où il se trouvait. Pour voyager, il ne suffisait plus de partir pour les extrêmes et aucune drogue autre que celle du contact avec la nature n’était nécessaire pour le transport de notre imagination.
Marc Trinquel l’aubergiste du “bout du monde” lui, rêvait de se retirer en Polynésie, sortir, disait-il de l’hypocrisie et de la médiocrité qu’il rencontrer sans cesse, il s’imposa à comprendre qu’on échappe difficilement à son destin et resta définitivement sur ce coin de terre, son « bout du monde » dans lequel, malgré tout, il y trouvait une forme de bien-être qui lui donnait satisfaction.
Quelques temps plus tard, je suis affecté en Polynésie française, à l’antipode de cette ferme du bout du monde. Un jour que je me retrouvais sur la route nord de Mururoa, il me vint l’idée de regarder mes pieds et de m’imaginer les dizaines de milliers de kilomètres qui me séparaient de ma famille, de mes amis, de mes racines. J’étais, géographiquement, à 2 000 kilomètres de Papeete, voyageur aventurier dans la position de ce personnage de pierres taillés au fronton latéral de la cathédrale de Sens, la tête en bas et les pieds vers le haut.
A 22 000 kilomètres de là, à Mururao, je vivais dans des dominances de bleus. Mon nouveau « bout du monde » se présentait en trois couleurs: le bleu cobalt dominant, le bleu outremer pour l’horizon et enfin le bleu nuit, précisément bleu-ciel qu’alourdissaient d’éternels nuages qui planaient sans cesse au dessus de nos têtes. L’îlot semblait planer de même que l’oiseau migrateur habite moins une terre que le ciel et la mer.
C’est là, sur cet atoll, que s’est produit, à mes yeux émerveillés, un curieux mirage. En face du lagon, sur la rive opposée de la ceinture de corail, une cocoteraie allongée sur la ligne d’horizon attira mon attention. Il me semblait voir les pins maritimes de la côte varoise, la lumière polynésienne était pareille à celle de Dunkerque dans les dunes sablonneuses de la plage de Zuydcoote. Pulpeuse, moelleuse, intense, tendre et dorée, elle semblait caresser le paysage. Je me voyais penché sur un puit où j’apercevais l’autre bout de la terre. Je faisais mienne cette légende qui dit qu’un physicien discutant des antipodes fit lever son interlocuteur et le conduit à un puit: “Est-ce par là ce que tu appelles les antipodes ? regardes bien, en fait, c’est toi-même que tu vois à l’autre extrémité du puits.. Les moissons, les arbres et les animaux croissent la tête en bas, les habitants de l’autre hémisphère ont les pieds plus hauts que la tête…
Comment imaginer plus belle conclusion que cette rencontre d’un explorateur avec cette femme iranienne, habitante du désert dans un petit hameau et à qui il demandait: “Vous est-il arrivé, Madame, de voyager dans votre vie.” La réponse cingla : “pourquoi Monsieur, voulez-vous que je voyage puisque je suis arrivée ?”.
CM