Histoire. Printemps 1908 : la Légion au Maroc.

 

Avant 1907, la Légion a participé à des opérations de protection de la frontière. Sa contribution est assez difficile à cerner car, de 1901 à la fin de la pacification en 1935, elle n’a reçu qu’exceptionnellement une mission qui lui était propre. Le commandement n’éprouvait, pourtant, aucune réticence à l’employer. Il cherchait une méthode et des moyens pour riposter instantanément aux exactions des pillards. La création des compagnies montées de la Légion Etrangère répondait au moins en partie à ce besoin.

De plus, l’état-major mettait au point le concept de « colonnes autosuffisantes ». Composées d’éléments prélevés sur les corps des diverses armes, ces formations polyvalentes groupaient des unités d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, du génie…, ensemble d’un maniement souple sur le terrain.

Dans le cadre de cette stratégie, les deux régiments étrangers furent appelés à fournir aux colonnes soit un bataillon soit une ou plusieurs compagnies qui constituaient le « noyau dur » des colonnes. Au début du XXe siècle, c’est, le plus souvent, le 1er régiment étranger (R.E.) qui détache des éléments auprès des colonnes opérant à la frontière marocaine, alors que le 2e R.E. fournit renforts et relèves aux détachements de Légion d’Indochine et de Madagascar.

 

général Charles Vigy

Après le désastre de Menahba, toutes les petites colonnes, imprudemment égrenées sur un front démesurément étendu, sont dans l’impossibilité de se garder et de conduire à bien une affaire un peu sérieuse. Le général Charles Vigy rappelle, dès le début de 1908, la majeure partie des unités présentes dans l’amalat d’Oujda vers le sud pour s’opposer à la marche des harkas venant du Tafilalet et de la vallée du Guir.

Exténuées par le service extrêmement pénible auquel les ont condamnées un morcellement exagéré, les troupes ont grand besoin de repos. Aïn-Chaïr présente quelques ressources ; les troupes vont y séjourner le temps nécessaire pour permettre à tout le monde de se refaire. Différentes colonnes sont constituées avec un effectif plus important.

De son côté, Moulay Lhassen met à profit ce long répit pour concentrer toutes ses forces autour des oasis de Beni-Ouzien et Beni-Denib, à une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Aïn-Chaïr.

 

Camp Légion de Bou-Denib

Beni-Ouzien et Beni-Denib sont deux petites palmeraies, longues et étroites, situées sur l’oued Guir et très rapprochées l’une de l’autre, Beni-Denib à l’ouest, Beni-Ouzien à l’est. Comme le cours de l’oued Guir est, à cet endroit, orienté ouest-est, il en résulte que la grande dimension des deux oasis a la même orientation. Leurs grandes lisières regardent donc l’une, le nord, l’autre, le sud, et leurs petits côtés l’un, l’ouest, l’autre, l’est.

Trois colonnes comptant chacune une des compagnies montées du 1er R.E. marchent vers la palmeraie de Bou-Denib où se trouve la harka de Moulay-es-Sebaï, adversaire acharné de la France et du Sultan. Elles sont commandées par les colonels César Alix, Félineau et Pierron. Les légionnaires du 2e R.E. constituent l’ossature de la colonne Alix partie de Colomb-Béchar, les légionnaires du 1er R.E. constituent l’ossature de la colonne Félineau partie d’Oujda.

 

14 avril 1908 : la 3e compagnie montée du 1er Régiment Etranger de la colonne du colonel Félineau, qui comprend également quatre compagnies du 1er R.E., atteint dans la palmeraie de Beni-Denib le ksar cœur de la résistance. Une section de la compagnie tente de pénétrer dans le fort en empruntant une brèche ouverte par un obus, mais elle est repoussée avec des pertes importantes. Les légionnaires n’atteignent leur objectif qu’après élargissement de la brèche par l’artillerie. Abandonnant ses morts, la plupart de ses blessés, ses tentes et ses vivres, la harka se replie vers l’ouest dans l’oasis Beni-Ouzien et dans les contreforts du Grand Atlas.

Les colonnes des colonels Alix et Félineau restent dans l’oasis Beni-Denib tandis que celle du colonel Pierron est dirigée vers l’oasis Beni-Ouzien.

 

16 avril 1908 : la colonne du colonel Pierron campe dans la cuvette de Men bah, en prenant les mesures de sécurité d’usage.

 

Le 17, l’attaque a lieu aux premières heures du matin. Les Marocains, ayant pu s’emparer des hauteurs qui dominent le camp, l’inondent de projectibles. La 24e compagnie montée du 1er Etranger va affronter la redoutable harka du Tafilalet, forte de 2 000 hommes, fanatisés par le marabout Moulay Lhassen. La 24e compagnie, entraînée par son capitaine Maury, lance un assaut irrésistible contre le mamelon le plus menaçant et bouscule les Marocains. Ce résultat est obtenu par une manœuvre intelligente, rapide et audacieuse, tout à l’honneur de la prestigieuse compagnie montée et de son chef. Cette action sauve la situation.

 

12 mai 1908 : le général Vigy, qui a repris la marche vers l’ouest avec trois colonnes, est sur le Guir, à une vingtaine de kilomètres des oasis de Beni-Ouzien et Beni-Denib.

 

Le 13 : le général se porte avec ses trois colonnes à l’attaque des Marocains, retranchés dans l’oasis Beni-Ouzien. Les unités placées sous les ordres du colonel Pierron, ont l’honneur de marcher à l’avant-garde, sans attendre les colonnes du colonel Levé (avec le 4e bataillon du 3e R.T.A.) et du colonel Péan. Cet honneur va leur couter cher.

 

A 7 heures, le camp est levé. Les troupes marchent à l’ennemi.

 

Vers midi, les troupes marchent depuis de longues heures sous un soleil de feu. Les hommes commencent à être fatigués et s’apprêtent à camper pour se reposer un peu lorsque la cavalerie signale l’ennemi, en force, dans une oasis située vers l’ouest, à une assez grande distance encore. Le colonel Pierron, sans attendre les colonnes des colonels Levé et Péan, échelonnées en arrière et sur la droite, fait accélérer la cadence et se porte résolument à l’ennemi.

Porte d'entrée de Beni-Denib - colonne du Haut Guir

Vers trois heures, les troupes sont en vue de l’oasis Beni-Ouzien ; la colonne oblique vers la droite (le nord) puis se rabat tout à fait au sud. Ce mouvement de conversion sur sa gauche, précédé d’une marche oblique vers la droite (le nord) a pour effet de la placer face à la lisière nord (une des deux grandes lisières) de l’oasis.

La colonne est assez près de l’oasis pour en découvrit toute la lisière. La palmeraie apparaît distinctement. Elle est bordée de hautes et épaisses tabias.

Sans reconnaissance, trois compagnies sont lancées en avant : les 23e et 24e compagnies montées de la Légion Etrangère et la 23e compagnie du 2e Tirailleurs algériens.

Le sommet des tabias s’illumine soudain sur toute leur étendue. Cette première décharge des Marocains ne fait presqu’aucun mal, l’ennemi ayant tiré de trop loin. Néanmoins, la ligne s’arrête et ouvre à son tour un feu violent contre les tabias de l’oasis. C’est l’attaque à fond. Les hommes avancent maintenant tantôt par échelons, tantôt par bandes. Mais là, la ligne entière s’immobilise tout à coup ; les compagnies sont décimées par le feu d’enfer que dirigent sur elles les Marocains, invulnérables derrière les tabias. Les compagnies engagées sont incapables de faire un nouveau pas en avant. 

La 16e compagnie du 3e R.T.A. se déploie sur la gauche. Grâce à sa situation particulièrement favorable, elle réussit à emporter la corne est de la palmeraie et à prendre pied dans l’oasis. Mais alors, fusillés à bout portant par un ennemi intact et invisible derrière des levées de terre intérieures, elle est arrêtée à son tour.

Les Marocains sortent alors résolument de leur cachette et lancent une contre-attaque vigoureuse sur le flan gauche. Les Français sont forcés d’abandonner le terrain conquis et de battre rapidement en retraite. Impossible d’emporter tous les morts. Ils arrivent à enlever à temps les nombreux blessés. 55 légionnaires et tirailleurs sont blessés. 23 hommes sont tués, dont le capitaine Clavel du 2e Tirailleurs et les lieutenants Coste et Jaeglé du 1er R.E.

 

A 19 heures, la colonne du colonel Pierron est de nouveau rassemblée ; les hommes vont camper en rase campagne au nord, en vue de l’oasis Beni-Ouzien.

 

Le lendemain, l’attaque de la palmeraie est reprise de très bonne heure après un intense bombardement de la palmeraie par l’artillerie. Les compagnies engagées la veille, sont si fortement éprouvées qu’elles ne peuvent pas prendre une part active au combat. Les moins maltraitées sont employées comme soutien d’artillerie.

L’ennemi n’oppose qu’une résistance insignifiante et l’oasis est rapidement enlevée. Les Marocains se replient vers leur montagne, le Tafilalet.

Les hommes sont face à un spectacle affreux : les cadavres de leurs malheureux camarades, qu’ils ont dû abandonner la veille, gisent étendus sur le sol, complétement nus, décapités et odieusement mutilés.

L’armée française, avec ses légionnaires et ses tirailleurs algériens à la pointe des combats, prennent possession des oasis de Beni-Denib puis de Beni-Ouzien dans le Haut Guir, après de durs combats meurtriers. L’importance stratégique de l’oasis Beni-Denib est telle que les compagnies montées de la Légion Etrangère reçoivent l’ordre d’y construire, en deux mois, un poste pouvant abriter 1 500 hommes et 550 animaux ainsi qu’une redoute abritant des mitrailleuses et comportant des plateformes pour canons de 75 mm et de 80 mm de montagne. Le poste de Beni-Denib est harcelé en permanence.

« Durant cette campagne commencée en août 1907 et qui, ainsi, dura onze mois, dont sept d'opérations très actives pendant lesquelles l'ennemi fut pourchassé sans trêve ni repos, il n'a pas été livré moins de vingt-neuf combats dont plusieurs ont présenté les caractères et les dangers de ceux d'une guerre européenne. 14 officiers tués et 17 blessés, 86 hommes tués et 377 blessés tel fut le bilan des pertes. Ce sont là des chiffres élevés. Mais l'honneur de la France exigeait de pénibles sacrifices et son drapeau a pu, à la fin, être porté victorieusement au milieu d'un peuple justement réputé pour sa bravoure. 

 

Le 30 août 1908, cet ouvrage de Beni-Denib, tenu par deux compagnies montées du 1er R.E., sera attaqué par une harka de 20 000 hommes qui, après dix-huit heures d’assauts inefficaces, abandonne la partie en laissant 173 corps sur le terrain.

 

Alix César, né le 19.11.1854 à Paris ; Saint-Cyr 1873-1875 ; s/s lieutenant au 6e B.C.P. : capitaine au 51e R.I. de Ligne ; affecté au 1er Etranger le 14.01.1892 ; trois séjours au Tonkin entre 1879 et 1905 ; colonel le 25.02.1905 ; 1er R.I., 32e R.I., 102e R.I. ; Chef de corps du 2e R.E. le 09.03.1908, commandant le territoire d’Aïn-Sefra ; commandant une colonne vers le Haut-Guir en 1908 ; général de brigade le 25.12.1908 ; commandant des troupes françaises au Maroc le 28.09.1911 ; général de division le 23.03.1912 ; général de Corps d’Armée le 30.12.2013 ; commandant du 13e C.A. puis de la Région Nord ; relevé de son commandement le 11.04.1915 ; commandant la division de Tunisie du 20.03.1916 au 28.03.1919 ; grand-Officier de la Légion d’Honneur ; décédé le 22.06.1920 à Choisy-le-Roi.

 

Colonels, commandant une colonne dans le Haut-Guir en 1908 : Alix, Félineau, Levé, Péan, Pierron.

 

Coste, lieutenant, officier ardent, figure légendaire des compagnies montées du 1er Etranger ; tué lors des combats livrés par la 24e compagnie montée et la colonne du colonel Pierron, les 13 et 14 mai 1908, à Béni-Ouizen et Bou-Denib.

 

Félineau, colonel, commandant une colonne dans le Haut-Guir en 1908 ; général, commandant la 14e brigade en 1915 puis la 162e brigade en 1916.

 

Jaeglé Albert-Edouard, lieutenant, officier ardent, figure légendaire des compagnies montées du 1er Régiment Etranger ; tué lors des combats livrés par la 24e compagnie montée et la colonne du colonel Pierron, les 13 et 14 mai 1908, à Beni-Ouizen et Bou-Denib dans la région d’Aïn-Sfa.

 

Maury, capitaine, commandant la 24e compagnie montée du 1er Etranger ; le 17.04.1908, par une manœuvre audacieuse, lors du combat de Menabah, il sauve la situation de la colonne Pierron.

 

Pierron, colonel, commandant une colonne partie de Colomb-Béchar en avril 1908 et sérieusement accrochée par la harka du Tafilalet. Elle est dégagée par la 24e compagnie montée du 1er Etranger du capitaine Maury. Sa colonne est à la pointe des combats dans les combats dans l’oasis de Beni-Ouzien.

 

Vigy Charles Léon, né en 1847 ; saint-cyrien de la promotion du Sultan en 1866-1868 ; général de brigade en 1905 ; commandant les troupes françaises dans le Haut-Guir en 1908 ; général de division en 1909 ; commandant la 22e division ; commandant la Place d’armes de Vannes en 1912 : élevé à la dignité de Grand-Officier de la Légion d’honneur en 1915 ; décédé en 1917.

 

Jean BALAZUC P.P.P.P.

 

 

Sources.

 

 Le 1er Etranger de Philippe Cart-Tanneur et Tibor Szecsko – Brandon Iron Production 1986.

 Le 4e Etranger de Philippe Cart-Tanneur et Tibor Szecsko – Brandon Iron Production 1987.

 Histoire de la Légion Etrangère de Georges Blond – Plon 1981.

 Site du Mémorial de Puyloubier.

Sites de Beni-Ouzien et Beni-Denib de Wikipédia.