Je regardais nostalgique le ciel qui s’empourprait des couleurs de feu d’un soleil moribond qui ne tardait pas à disparaître derrière l’horizon.

Alexandre, jeune légionnaire d’origine haïtienne de Port au Prince, venait de me rejoindre à ma grande surprise. Ce jeune homme ne parlait jamais, il n’avait aucun contact avec les autres, solitaire cherchant l’isolement, il avait la particularité de paraître toujours absent, ailleurs, triste.

Visiblement envahi d’un trop plein de silence, Alexandre avait besoin de se confier à quelqu’un et je sentais bien dans son attitude qu’il cherchait à me parler, prétentieusement je pensais qu’il recherchait quelqu’un à qui se confesser.

 Je compris rapidement qu’il me suffisait de me taire pour qu’il parle.

Alexandre entama la conversation d’une manière étrange en me demandant si j’avais des cauchemars ou des colères soudaines. Vois-tu me dit-il: “On ne se cache jamais assez, il fallait que je parte de mon ailleurs, dans un pays où personne ne puisse connaître mon histoire. Alors, seulement à cette condition, je pouvais me sentir libre. Plus j’apprendrai à me taire, plus je pourrais parler librement. Il n’y a pas si longtemps, on disait que j’étais bavard comme une pie, je racontais des histoires, j’adressais la parole à des inconnus dans la rue. Qui aurait pu penser que je parlais pour me taire ? Les mots que je disais servaient à cacher ceux qu’il me fallait ne pas dire. Petit à petit, mes souvenirs s’éclairaient mais ce travail de mémoire, de narration intime arrangeait ma mémoire pour embellir l’insupportable. Je n’étais plus qu’une petite chose bousculée par le destin, aujourd’hui, je veux devenir l’auteur de ce que je raconte, en devenir le héros et ne plus subir, ne plus être l’acteur d’un scénario imposé”.

Pendant qu’il me parlait, j’entendais le murmure de ses fantômes. Qui était-il donc pour souffrir ainsi, qu’avait été sa jeune existence jusqu’à son engagement pour cette Légion lointaine ? Je ressentais pour lui une pitié intriguée qui révélait mon trouble et ma curiosité. “Quand nos fantômes font écho avec ce que nous racontons”, lui dis-je, “ ils provoquent souvent un “mal-être” envahissant qui nous empêche de vivre”. Je ne savais voir comment je pouvais lui venir en aide, il ne pouvait prendre conscience qu’il me contrariait, je me sentais agressé tant j’avais de questions à lui poser. Cependant je restais muet, Je sentais bien que son histoire était impossible à partager.

Cette relation de sobre amitié perdura, par la suite, après notre instruction, je n’ai jamais éprouvé de besoin de le retrouver. Quelques années plus tard, au hasard d’une rencontre je le trouvais bavard comme une pie, il racontait des histoires, il s’adressait à des inconnus dans la rue, à nouveau, il parlait pour se taire…

 CM