Pour les légionnaires, rien de pire que Veracruz. Mais ce pire existe avec les basses terres tropicales de l’arrière pays qui deviennent bientôt leur théâtre d'opérations. C’est à eux qu’est confiée la mission d’escorter les convois de ravitaillement le long des mauvaises routes menant vers les hauts plateaux à l’ouest, à travers un lugubre paysage de broussailles.

Le capitaine Danjou est un héros de la guerre de Crimée ; il a perdu la main gauche par suite de l’explosion de son fusil durant une expédition topographique en Algérie et l’a remplacée par une prothèse de bois.

Le matin du 30 avril 1863, à sept heures, il ordonne à son détachement de reconnaissance de faire halte près du village de Camaron à quelque soixante-dix kilomètres à l’ouest de Véracruz.

Suit le récit d’un survivant du combat, le caporal Maine:

 

« Camerone ! Légion étrangère ! qui ne connait ces mots, inséparables, dont le premier est devenu le symbole des plus belles vertus militaires, de l’accomplissement total du devoir, jusqu’au bout, jusqu’au sacrifice suprême ?

Sitôt débarqués, nous avions été dirigés sur l’intérieur ; notre 3ème bataillon s’était arrêté à la Soledad, à huit lieues environ de Véracruz.

Nous comptions dans le rang au départ : 62 hommes de troupe, sous-officiers compris plus 3 officiers qui bien qu’étranger à la compagnie, avait obtenu de faire partie de la reconnaissance.

Au point du jour, nous approchions du village de Camaron, en espagnol : écrevisse. Comme presque tous les villages aux alentours, celui-ci était complétement ruiné par la guerre. D’ailleurs il ne faudrait pas se méprendre sur l’importance des dégâts : un méchant toit de chaume, fort bas, qui descend presque jusqu’à terre, soutenu tant bien que mal par deux pieux mal dégrossis.

Nous marchions déjà depuis plus de six heures ; il était grand jour, et le soleil, dardant tous ses feux, nous promettait une chaude journée. Tandis qu’une partie des hommes coupe du bois, prépare le café, d’autres s’étendent pour dormir.

Une heure ne s’était pas écoulée, l’eau bouillait dans les gamelles et l’on y mettait le café, quand du côté de Camaron et sur la route même que nous venions de quitter, deux ou trois d’entre nous signalèrent quelque chose d’anormale. Une poussière montait vers le ciel en gros tourbillons. Le Capitaine avait pris sa lorgnette – « Aux Armes ! L’ennemi ! » s’écria-t-il tout à coup.

Comme nous l’apprîmes plus tard, depuis plusieurs jours déjà une colonne de libéraux, forte de 2 000 hommes, tant cavaliers que fantassins, commandée par le colonel Milan, était campée sur les bords de la Koya, à environ deux lieues de notre ligne de communication, guettant le passage du convoi. Une chose les avait attirés surtout : l’annonce de trois millions en or monnayé, enfermés dans les fourgons et que le Trésor dirigeait sur Puebla pour payer la solde des troupes assiégeantes.

Début du combat de Camerone par Daniel Lordey

Au premier cri d’alarme, on donne un coup de pied dans les gamelles, on rappelle en grande hâte l’escouade de la fontaine, on recharge les bêtes et moins de cinq minutes après, nous étions tous sous les armes. Pendant ce temps, les Mexicains avaient disparus.

Nous marchions depuis plus d’une heure sans avoir même aperçu l’ennemi. A peine avions nous fait quelques pas, nous aperçûmes tout à coup, sur un monticule à droite et en arrière de nous, les cavaliers mexicains massés, sabre au poing et s’apprêtant à charger. A cette vue, le capitaine Danjou, ralliant les deux sections et l’escouade de l’arrière-garde, nous fait former le carré pour mieux soutenir la charge ; au milieu de nous étaient les mulets ; mais les deux maudites bêtes, pressées de tous côtés et regrettant leur ancienne liberté d’allure, sautaient, ruaient, faisaient un train d’enfer ; force nous fut de leur ouvrir les rangs, elles partirent au triple galop dans la campagne, où elles n’allaient pas tarder à être capturées.

Les ennemis avaient sur nous l’avantage du lieu, car le terrain, plat et dégarni aux abords de la route, favorisait les évolutions de leur cavalerie ; au petit pas, ils descendirent le coteau, se séparèrent en deux colonnes afin de nous envelopper, et parvenu à 60 mètres fondirent sur nous avec de grands cris. Le Capitaine avait dit de ne point tirer ; aussi les laissions-nous venir sans broncher, le doigt sur la détente ; un instant encore, et leur masse, comme une avalanche, nous passait sur le corps ; mais au commandement de feu une épouvantable décharge renversant montures et cavaliers, met le désordre dans leurs rangs et les arrête tous net. Nous continuons le tir à volonté. Ils reculèrent.

Sans perdre de temps, le Capitaine nous fait franchir un petit fossé garni de cactus épineux, formant clôture, qui bordait la route sur la gauche et remontait jusqu’à Camaron.

Par malheur, une partie des Mexicains nous avaient déjà contournés par le nord-est de l’hacienda ; les autres avaient essayé de franchir la haie de cactus, mais leurs chevaux pour la plupart s’étaient dérobés. Une seconde fois nous nous formâmes en carré. Les assaillants étaient moins nombreux,  ils ne chargeaient plus avec le même ensemble, nous soutînmes cette attaque encore plus résolument que la précédente. Ils reculèrent de nouveau. Nous franchissons la distance qui nous sépare de la ferme et nous pénétrons dans le corral ; puis chacun s’occupe d’organiser la défense.

Suit le récit officiel du combat :

« Pendant que les hommes organisent à la hâte la défense de cette auberge, un officier mexicain, faisant valoir la grosse supériorite du nombre, somme le capitaine Danjou de se rendre. Celui-ci fait répondre : « Nous avons des cartouches et ne nous rendrons pas ».

Puis, levant la main, il jura de se défendre jusqu’à la mort et fit prêter à ses hommes le même serment. Il était 10 heures. Jusqu’à 6 heures du soir, ces soixante hommes, qui n’avaient pas mangé ni bu depuis la veille, malgré l’extrême chaleur, la faim, la soif, résistent à 2 000 Mexicains : huit cents cavaliers, mille deux cents fantassins.

À midi, le capitaine Danjou est tué d’une balle en pleine poitrine. À 2 heures, le sous-lieutenant Vilain tombe, frappé d’une balle au front. À ce moment, le colonel mexicain réussit à mettre le feu à l’auberge.

Malgré la chaleur et la fumée qui viennent augmenter leurs souffrances, les légionnaires tiennent bon, mais beaucoup d’entre eux sont frappés. À 5 heures, autour du sous-lieutenant Maudet, ne restent que douze hommes en état de combattre. À ce moment, le colonel mexicain rassemble ses hommes et leur dit de quelle honte ils vont se couvrir s’ils n’arrivent pas à abattre cette poignée de braves (un légionnaire qui comprend l’espagnol traduit au fur et à mesure ses paroles).

Les Mexicains vont donner l’assaut général par les brèches qu’ils ont réussi à ouvrir, mais auparavant, le colonel Milan adresse encore une sommation au sous-lieutenant Maudet ; celui-ci la repousse avec mépris.

L’assaut final est donné. Bientôt il ne reste autour de Maudet que cinq hommes : le caporal Maine, les légionnaires Catteau, Wensel, Constantin, et Leonhard. Chacun garde encore une cartouche ; ils ont la baïonnette au canon et, réfugiés dans un coin de la cour, le dos au mur, ils font face. À un signal, ils déchargent leurs fusils à bout portant sur l’ennemi et se précipitent sur lui à la baïonnette. Le sous-lieutenant Maudet et deux légionnaires tombent, frappés à mort. Maine et ses deux camarades vont être massacrés quand un officier mexicain se précipite sur eux et les sauve. Il leur crie : « Rendez-vous ! »

« Nous nous rendrons si vous nous promettez de relever et de soigner nos blessés et si vous nous laissez nos armes ». Leurs baïonnettes restent menaçantes.

« On ne refuse rien à des hommes comme vous ! », répond l’officier.

Les soixante hommes du capitaine Danjou ont tenu jusqu’au bout leur serment. Pendant 11 heures, ils ont résisté à deux mille ennemis, en ont tué trois cents et blessé autant. Ils ont par leur sacrifice, en sauvant le convoi, rempli la mission qui leur avait été confiée.

L’empereur Napoléon III décida que le nom de Camerone serait inscrit sur le drapeau du Régiment étranger et que, de plus, les noms de Danjou, Vilain et Maudet seraient gravés en lettres d’or sur les murs des Invalides à Paris.

En outre, un monument fut élevé en 1892 sur l’emplacement du combat. Il porte l’inscription :

« Ils furent ici moins de soixante

opposés à toute une armée,

sa masse les écrasa.

La vie plutôt que le courage

abandonna ces soldats Français

le 30 avril 1863.

 

à leur mémoire, la patrie éleva ce monument »

Depuis, lorsque les troupes mexicaines passent devant le monument, elles présentent les armes. »