De nombreux livres ont écrit la Légion étrangère, mais qui mieux qu’un légionnaire peut nous embarquer en prise directe avec son vécu, dans cette ambiance bien particulière de ces hommes qui faisaient dire au général Rollet: « Quel que soit le mobile, ce n’est pas une conduite banale, ni blamâble, que celle de l’homme qui, volontairement, réclame et accepte le devoir militaire, s’attache à son drapeau, s’engage à le défendre jusqu’à la mort… et qui tient son serment ! Qu’importe, quand la Légion passe, que les chiens viennent aboyer après elle !... »
Bonne lecture !
De la Légion, quand je partis m’y engager, je ne savais rien sinon qu’elle est un refuge, pour ceux que des revers ou des déceptions ont dégoûtés de leurs semblables et d’eux-mêmes, et qui veulent fuir loin de tout, tout oublier, chercher ailleurs une vie différente, peut-être plus belle, en tous cas plus forte, ou une belle mort. Dans un tel état d’esprit, on se soucie bien peu d’observer ; on suit seulement des impressions qui restent plus tard dans la mémoire aussi imprécises que des souvenirs de rêves, des images sans couleur ni relief, comme des scènes auxquelles on aurait assisté en spectateur indifférent et dont le temps aurait effacé les détails.
Je n’ai conservé, du fort Saint-Jean à Marseille où se rassemblent les nouveaux engagés, que des souvenirs bien vagues.
Je revois, par un beau matin clair et frais de novembre, le vieux port grouillant d’animation, éclatant de lumière et de bruit ; au fond d’une barque qui passa sous le transbordeur l’éclair argent et nacre d’un monceau de petits poissonsbrillant au soleil.
Vers le bled:
«De mon temps on avait le droit de rentrer de l’exercice quand on avait pleuré en appelant sa mère ! » Ainsi parlait le vieux sergent qui commandait ma section d’instruction. Il devait embellir ses souvenirs, manie commune aux vieilles gens et aux coureurs d’aventure dont le passé renferme tant d’évènements qu’ils finissent par s’y embrouiller un peu. Jamais, pas plus sans doute « de son temps » que lorsque j’étais à la 2ème compagnied’instruction à Saïda, on ne vit un légionnaire pleurer à l’exercice, « en appelant sa mère ».
Pourtant il y avait souvent de quoi ! J’avouerai même, au souvenir des « leçons de grenadiers-voltigeurs » au camp de manœuvre de la route de Tiaret, qu’il s’en fallut parfois de peu.
Trop de nouveaux légionnaires croyaient s’être engagés dans une bande d’aventuriers. Ils voyaient encore la Légion à travers l’opinion qu’on en a communément avant de la connaître : il suffit d’arriver, on vous donne un fusil et des cartouches, et en avant la grande vied’instincts déchaînés, de batailles et de rapines, les villes mises à sac lors des retours triomphants.
Ils devaient bien vite revenir de leurs illusions. Avant tout ils étaient des soldats, et on le leur faisait comprendre. L’entraînement, qu’il fallait dur pour des hommes destinés au bled, était de plus régi par une discipline de fer, seul moyen de faire de cette troupe recrutée aux quatre coins du monde une armée cohérente.
Avant la grandeur il fallait apprendre la servitude. Le soir, vannés, courbaturés, moulus, ahuris par les coups de gueule des instructeurs, nous ne pensions qu’à aller nous coucher.
« C’est le métier qui rentre ! nous disaient les gradés. Moi j’y suis passé avant toi, faut que tout le monde y passe. Et c’était autrement dur, de mon temps ! »
De mon temps ! Parbleu ! quelques années plus tard, je devais me surprendre à tenir moi-même les mêmes propos
Avec la même passivité, je suivis le peloton des élèves-caporaux, où l’on m’avait envoyé à Sidi-Bel-Abbès. La perspective du départ prochain pour le départ, quand vint la fin du peloton, me secoua un peu, j’allais partir, enfin ! je n’attendais que cela.
A suivre… Demain : Colomb-Béchar !