Le tireur du Ksar « K »
« C’est l’heure de Dudule, ça va pas tarder à… »
Tac ! Une balle venait de passer au-dessus de la murette avec un claquement sec de coup de fouet ; à vingt pas en arrière une motte de terre avait volé.
Au Ksar « K », désignation dans les ordres d’opérations d’une casbah en ruine près de laquelle nous étions campés en attendant le jour de l’attaque, un chleuh nous avait pris à partie.
Il ne devait y en avoir qu’un seul, car les coups de fusil partaient tous du même coin de la montagne, et jamais deux ensemble espacés de quart d’heure en quart d’heure à croire que le type avait un chronomètre. Tous les quarts d’heure une balle arrivait dans le bivouac, se perdait dans les cailloux ou transperçait une marmite sur un feu, ou blessait un cheval. Ce fut un miracle que pas un seul homme ne fût touché.
Quelque gavroche l’avait baptisé « Dudule » l’ironique répondait à notre attente.
Les mitrailleuses, l’artillerie ensuite, essayèrent de le déloger. Pendant plusieurs minutes, soixante-cinq, soixante-quinze et quatre-vingt déchaînés faisait fumer la montagne sous leurs coups.
Quelques secondes après la fin de chaque salve, narquoise, tac ! la balle arrivait. « Je suis toujours là ! » semblait-elle affirmer.
C’était devenu une bonne blague.
Les mulets et les chevaux du groupe mobile avaient été renvoyés en arrière, au camp de Tizraouline, à cause du manque d’eau au kasar K ; le soir du 20 juillet, à la nuit tombée, ils étaient là de nouveau. Nous attaquions à l’aube suivante.
Nous allions le lendemain rencontrer une résistance formidable et merveilleusement organisée : les chleuhs avaient été renseignés.
On ne sut jamais par qui. Peut-être un marchand de thé, bien qu’ils fussent tous connus et surveillés, ayant vécu autrefois dans la montagne dissidente et poussé par un obscur sentiment de solidarité envers ses frères de race, ou pour de l’argent ; peut-être même un partisan ; ou l’un de ces mendiants qui rôdaient autour des camps malgré la chasse qu’on leur faisait, comme « l’aveugle » du bivouac de Mecissi, dans le sud, qu’on retrouva un fusil entre les mains le lendemain d’une attaque de nuit parmi les chleuhs morts restés sur le terrain.
A suivre – « Coup dur »