Dessin au stylo-bille de Céline de Tretaigne -
C’est son écriture qui le trahit.
Une de ces écritures inoubliables. Chacune des lettres est un tableau, écrite à la plume, avec ses pleins et ses déliés, à l’encre noire.
De belles lettres bien faites, lisibles avec des “T” élancés, des “M” obligatoirement majuscules et des “L” qui tiennent debout, droit comme des “I” et semblent vouloir atteindre le ciel.
Une écriture jeune qui n’indique pas son âge. Mais quel est donc son âge ?
A première vue, il est austère, distant, doté d’un physique un peu rondouillard, il se promène en saluant d’un petit signe de la tête ceux qu’il croise. Au cours de ses promenades, Il ne s’arrête jamais et marche vite comme s’il avait un rendez-vous, c’est un homme pressé qui a peu de goût pour les déplacements inutiles. Ce qu’il aime par dessus tout, c’est parcourir d’un pas alerte les paysages familiers des environs boisés, passer saluer son arbre fétiche qui sait si bien écouter ses confidences, renifler l’odeur de la forêt embrumée de la fraîcheur matinale, toucher les feuilles parées des perles d’eau de la rosée d’une nuit et prier un instant sans savoir pourquoi ou tout simplement s’isoler dans un lieu qu’il est seul à connaître. Les chemins empruntés sont pour lui intimes, gaillardement il parcourt les petites pistes aux couleurs apaisantes, les animaux sont ses amis, les arbres ses partenaires, seule méfiance: celle de l’homme, silhouette incongrue dans ce décor intime, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il venait dans cet endroit sans mauvaises intentions.
Chaque début de semaine, il fixe son calendrier, détermine les rythmes de ses journées, n’acceptant pas le moindre écart de conduite, la moindre entorse à ce qu’il avait prévu et n’apprécie ni les intrus, ni les changements. Tout retard l’agace, toutes contrariétés le mettent dans un état second.
Un adage précise que tout sujet mérite opinion mais pas discussion. Ses sentiments sont ceux d’un homme simple: il aime ou il n’aime pas et qualifie volontiers “d’idiot” ceux qu’il juge pas intelligents, mais est prêt à défendre “bec et ongles” ceux qu’il aime. Il a choisi de subir le soleil la moitié de l’année, la brume et la pluie l’autre moitié. C’est un privilège de vivre là où l’on est le plus inspiré. En plus, il écrit quotidiennement un journal ininterrompu, donne son avis sur tout, se confie au papier, imprime ses impressions, peut-être un jour écrira t-il un livre. Il se moque parfaitement de ce que l’on pense de lui ne prétendant pas imposer sa vérité. Heureusement il sait se moquer de lui-même, il s’en amuse et s’en régale, il saisit impulsivement d’instinct toute allusion qui le touche de près et réagit toujours d’un bond, vif, impertinent.
En fait, c’est un affectif, c’est ainsi qu’il se promène en toute liberté, sans faire de compromis, affichant ses convictions, ses amitiés et ses inimités. Il sait depuis longtemps qu’il ne s’agit pas de convaincre mais de troubler et il y réussit parfaitement.
Tout entier dans ses promenades, il parait toujours plongé dans une profonde réflexion, insensible à tout ce qui l’entoure, il interroge et attend les réponses qu’il détruit et qu’il construit.
Où va t’il, vers qui, pour aller où ? tel est cet homme pressé, cet ancien légionnaire qui ne sait pas où il va, mais qui ne saurait échapper à son destin…
CM