On constate dans le récit de ces souvenirs de notre ami Christian, que son père n’était pas un militariste né, cependant, il n’a jamais mis en cause les choix de son fils, à juste raison. Homme de bon sens, sans doute, il s’érigeait même contre les partis-pris des antimilitaristes qui malmenaient « intellectuellement » la Légion. J’écris intellectuellement car je ne pense pas que ceux-là auraient eu le courage suffisant pour malmener physiquement ceux-ci, qu’ils critiquaient.
Courageux mais pacifiste, il craignait surtout que son fils ne se soit engagé dans une mauvaise voie, attiré par de vagues impressions et son irrépressible désir de rivages et horizons lointains. Son père visait juste quand il évoquait le danger de se laisser abuser par des phrases ronflantes lancées à des gens politiquement immatures, désireux de se battre pour ce qu’ils croient être une cause juste à leurs yeux naïfs et sincères. Il n’est que d’observer le recrutement opéré dans les milieux intégristes…
Il avait raison aussi en ce sens – et c’est décrit dans le billet – que le mal et le bien sont relatifs selon le côté où l’on se situe. Les nazis, c’était mal, bien entendu, mais les excessifs bombardements de l’Allemagne étaient-ils indispensables ? Détruire Dresde était-il essentiel ? Meurtrir le Japon pour venger Pearl Harbour ? Non, pour abréger la durée de la guerre nous dit-on ! Enfin vu du côté français, les japs l’ont bien mérité, car nous n’avons pas oublié le coup de force japonais du 9 mars 1945 !...
Mais évidemment, notre ami ne peut être d’accord avec son père qui prétendait qu’il fallait répondre au mal par le bien, en citant même des textes bibliques… certes, tendre l’autre joue c’est une façon de voir la chose, mais il ne faut pas en abuser. Quant à mourir pour des rois ou des altesses, autant mourir pour des idées.
AM
Mon père m’a dit :
De retour en France après plus de trois ans passés à Madagascar, lors d’une permission mon Père me disait:
“Vois-tu, mon fils, quand j’ai vu les Allemands pendant la guerre, je pensais aux jeunes gens pour qui les mots « nazisme, fascisme, communisme, radicalisme », étaient des mots sans grande signification aux valeurs indéterminables, floues.
Ces soldats, d’une discipline inquiétante et fascinante étaient beaux, solides, fiers et souriants, ils étaient indiscutablement faits pour la victoire et non la débandade. Ils avaient tout ce qu’il fallait pour attirer un jeune homme sportif.
A la libération on a fusillé un bon nombre de ces garçons qui s’étaient laissé séduire en s’engageant dans la SS ou la LVF ; ils complétaient un tableau où les comptes se réglaient sans pitié et qui voyait même les femmes qui avaient “copiné” avec les Allemands, se faire tondre en public.
Leur engagement était la conséquence d’une totale inculture politique, il a suffi d’un rien pour qu’ils s’engagent pour aller se battre et devenir eux-mêmes ces beaux soldats fiers et vaillants. Quelques phrases claironnantes, un milieu différent, un autre entourage, bien peu de chose en somme, et c’est ainsi que l’on fabriquait les héros et les traîtres, ou du moins ceux que l’on finit par baptiser ainsi, recrutés parmi les mêmes garçons naïfs et sincères.
Ne t’es-tu pas trompé de voie fiston ?
Je sais que pendant la guerre d’Algérie, une certaine presse ne s’est pas privée d’attaquer la Légion. Je vais te surprendre si je te dis que je ne suis pas d’accord avec ces gens-là. Qu’ils aient été de gauche, de droite ou d’ailleurs, qu’ils aient parlé au nom de l’église ou d’une quelconque ligue humanitaire, ils n’avaient aucun droit d’accuser la Légion d’inhumanité. En fait, ils reprochaient aux légionnaires de faire une guerre inhumaine. Quelle idiotie ! Comment une guerre pouvait-elle être humaine, si ce n’est dans la mesure où elle oppose des humains ?
Ils reprochaient aux légionnaires et parachutistes la torture, comme si la police, la gendarmerie, les unités d’appelés, l’OAS et… ceux d’en face n’avaient pas compté, dans leurs rangs, des tortionnaires… il est tellement vrai que nous vivions dans un triste monde, où l’on tuait trop facilement pour de trop bonnes raisons.
Aujourd’hui, un soldat peut regretter qu’on ait transgressé les règles de l’honneur mais il faut qu’il admette que le temps du « champ clos » où s’affrontaient deux armées est dépassé. Napoléon a porté la guerre dans les villes. Dans un conflit, ce sont des millions d’êtres humains qui vont y être mêlés, souvent malgré eux. Les militaires n’ont plus le privilège de la guerre, elle s’abat sur notre monde.
Lorsque le gouvernement français expédiait ses soldats en Algérie pour des missions dites de pacification, il savait bien qu’il les envoyait se battre contre des hommes qui n’avaient que le choix entre la défaite et la guerre subversive. Il savait fort bien, aguerri par l’expérience de l’Indochine, qu’on ne lutte pas contre un ennemi sans être renseigné sur ce qu’il prépare. Attaqué et mis au pied du mur, il n’a pas hésité à rejeter sur l’Armée une responsabilité qu’il était seul à porter.
Si ton “Képi blanc” est resté blanc, la couleur de leur veste a changé une fois retournée. Leur faire un procès, oui, sans doute, mais tout dépend dans quel camp ils se retrouveront lors de celui-ci, tant il est vrai qu’il n’y a d’assassins que chez les vaincus!
Le plus grand malheur du monde vient de ce que le pouvoir se trouve entre les mains de quelques individus qui se sont prostitués pour l’obtenir et que seuls intéressent, ce pouvoir proprement dit et l’argent qu’il procure.
Tu seras obligatoirement violence, à l’image de ta nouvelle famille composée de ce groupe d’hommes qui te ressemble. Tu ressembleras à ces gens curieux qui s’accrochent au passé de la Légion et à son drapeau. Moi, je m’accroche aux êtres qui me sont chers et surtout à l’image de cet homme qui, voici plus de deux mille ans, a fini sur la croix après avoir, comme le dit Renan: “révélé au monde que la patrie n’est pas tout, l’homme est antérieur et supérieur au citoyen”.
Dans mes lectures, je revois, tel un cauchemar ce cri lancé par un soldat Allemand dans l’enfer de Stalingrad: “Je ne crois plus en Dieu, car il nous a trahis…” Je crierais plus haut que lui, chaque fois que je verrai martyriser un innocent ou pire: mourir un enfant.
Ce qui est terrible pour un chrétien, ce n’est pas seulement de constater que les horreurs de la guerre peuvent conduire celui qui les subit à douter de l’existence de Dieu, mais qu’en réalité, les éléments les dominent et les dépassent. Ils sont dominés par la peur, le nationalisme, l’intérêt matériel et surtout de fausses nécessités économiques ou politiques. Le tout adroitement exploité, déclenchant des passions que nul ne parvient plus à contrôler.
Nous tentons trop souvent de justifier notre violence en montrant du doigt celle des autres. Nous essayons de nous convaincre que nous ne faisons que nous défendre.
Jésus libérateur. En fait, ce qu’espéraient les juifs, c’est que Jésus prenne un jour la tête d’une armée qui les mènerait en guerre contre l’occupant. Mais Jésus s’adressa à eux et ce n’est pas de haine et de violence qu’il leur parla, mais d’amour. Il dit non à l’épée et repoussa le pouvoir.
L’apôtre Paul l’a précisé: “Ne rendez à personne le mal pour le mal. Soyez en paix avec tous les hommes. Surmontez le mal par le bien. La vraie patrie d’un chrétien est celle de l’amour, et l’itinéraire pour y parvenir est tracé par l’évangile que nous devons non pas seulement lire, mais nous efforcer de vivre au quotidien.”
Après un petit temps de silence, je dis à mon père que je ne pouvais pas être d’accord avec sa manière de penser, je lui dis aussi que cependant, je pouvais parfaitement la comprendre.
J’explique son sentiment antimilitariste affiché, par une certaine naïveté marquée, cependant, par un courage indiscutable. Mais j’eusse aimé qu’il m’expose comment une nation totalement désarmée pourrait être protégée par le monde entier. Il lui manquait indiscutablement, quelques horribles images en couleurs…
Le peuple juif, cruellement martyrisé sous le joug nazi, en est sorti métamorphosé. Ces gens venus du fond des siècles en portant avec eux la paix se sont, eux aussi, mués en peuple guerrier le jour où une terre leur a été donnée. Leur terre originelle.
Léon Poliakov constate: “La vision d’un récent et hallucinant passé, de ces frères et sœurs qui furent voués à une mort atroce et anonyme, hantait les combattants juifs et expliquait leur furieuse ardeur au combat. Ainsi le dynamisme juif, traditionnellement refréné et orienté vers des conquêtes pacifiques, s’exprimait d’une manière agressive, faisant étalage d’une violence primaire, ordinaire, affichant de belles vertus militaires auxquelles il s’était toujours refusé”.
Aujourd’hui, nous n’avons plus le droit à l’ignorance. Il faut appeler un chat un chat. L’exemple d’Hitler et du nazisme constitue la plus flagrante des mises en garde.
Au procès de Nuremberg, Casamayor écrivait, parlant des “crimes contre l’humanité”:
« …rien que le titre fleure bon l’idéalisme américain qui fait si bon ménage avec son sens pratique. Ici, la tâche était facile, les horreurs étant parfaitement monumentales. » Mais encore faudrait-il s’entendre sur ce que parler veut dire. En théorie, c’est assez clair, l’assassin choisit sa victime, l’auteur du crime contre l’humanité n’y prend même pas garde: il supprime un ensemble, il agit globalement. En pratique, on ne se contente pas seulement du critère de quantité, il y a la manière. Fusiller cent mille hommes, femmes, enfants, vieillards par bombardements comme à Dresde, Berlin, Hiroshima, Nagasaki, c’est bien les uns contre les autres, je parle des fusilleurs et des bombardeurs qui justifient les massacres par nécessité.
Les Allemands sentaient leurs arrières pourries par les résistances, les Américains étaient pressés d’en finir expliquant les largages de bombes par l’hypocrisie d’économiser des vies de soldats. Chacun avait de bonnes raisons d’utiliser des moyens monstrueux pour éliminer son “adversaire” et vae victis, malheur aux vaincus.
Les seules croix sont bien celles qui se couchent, telles des ombres infâmes, chapes ignobles d’ingratitude qui hantent la tombe des soldats morts pour des Altesses et des rois qui se feront des politesses pendant qu’ils pourriront…
CM