Antoine a raison, au lieu du célèbre “indignez-vous”, il trouve que “engagez-vous” est bien plus approprié.
J’en profite pour vous raconter l’histoire qui me semble adaptée aux propos de notre ami de Lisbonne, elle nous vient de Charles Péguy.
Un homme se rend à pied à Chartres, au Moyen-âge et rencontre sur son chemin un casseur de pierres, un des plus durs métiers à l'époque:
- “Je vis comme un chien, lui dit l’homme. Exposé à la pluie, au vent, à la grêle, au soleil, je fais un travail pénible et pour quelques sous. Ma vie est nulle. Elle ne mérite pas le nom de vie.”
Un peu plus loin, le même homme rencontre un autre casseur de pierres qui a une attitude toute différente:
- “C’est un travail dur, lui dit-il, mais au moins c’est un travail. Il me permet de nourrir ma famille et je suis au grand air, je vois passer du monde, je ne me plains pas. Il y a des situations pires que la mienne".
Enfin, un peu plus loin, l’homme rencontra un troisième casseur de pierres qui lui dit, en le regardant dans les yeux:
- “Moi, je bâtis une cathédrale.”
A notre manière, nous sommes tous des casseurs de pierres et nous faisons nôtre l’interprétation de cette histoire pour nos propres existences.
Nous, légionnaires et anciens légionnaires notre cathédrale se nomme Légion étrangère.
CM
Au lieu de vous plaindre, engagez-vous !
Une enquête récente sur les couches de population de classe moyenne en Europe, révèle qu’un grand pourcentage des jeunes considèrent vivre moins bien que ne vivaient leurs parents. Ou bien ils sont tous fils de parents âgés de 45 ans, au maximum (ce qui semble improbable, puisque l’enquête ne concernait que les individus de plus de 18 ans), ou bien un pourcentage extraordinaire de citoyens jouissait, il y a deux ou trois décennies d’un confort, dont personne – y compris les usufruitiers – ne se doutait. Ou enfin, la « génération la plus qualifiée de toujours », sûrement celle qui se plaint et geint, ne sait pas ce qu’elle raconte !
Une chose c’est sentir l’impact des contraintes évidentes imposées par une économie chancelante. Autre chose c’est tenter de nous convaincre qu’aucune autre génération n’aura souffert ce que les 20 ou 30 ans actuels endurent ! Bien que cela puisse être utile, nul besoin de consulter les statistiques pour comparer l’actuelle consommation avec celle des années 60. Ou même celle de 1980 voire, dans certains domaines, avec celle de l’année 2000. Nul besoin de consulter des statistiques… la mémoire de la pénurie, directe ou transmise, devrait suffire. Et si l’amnésie se révélait incurable, le fait que des milliers de jeunes adultes publient leurs doléances sur Facebook, moyen qui suppose le paiement régulier de l’accès Internet et la possession d’un ordinateur, tablet ou smartphone, pointe ses projecteurs contradictoires sur l’infortune de ceux qui se plaignent de ce qu’ils se plaignent !
Ces excès pourraient être compréhensibles chez ceux qui penseraient que le monde date d’hier et qu’ignoreraient que la pauvreté est aussi vieille et aussi vaste que les pays selon les époques.
Dans mon ailleurs, mon ami le garagiste, philosophe pendant les heures de travail, se sent exaspéré par les gémissements de la jeunesse compatriote. A ses dires, son grand-père maternel était le directeur d’une des plus grandes industries alimentaires nationales, mais jamais il n’a possédé une voiture, un téléphone, la télé couleur ou une machine à laver. Son grand-père paternel s’est engagé, en mentant sur son âge, à 15 ans dans l’armée pour fuir la faim. La mère de ce grand-père était partie vers le Brésil pour vendre des tapis dans la rue. Une trisaïeule demandait l’aumône devant l’église. Une bisaïeule maternelle était ouvrière en usine et analphabète. En quatre grands-parents, un seul a eu accès au lycée et seuls les hommes ont terminé l’école primaire. Et d’ajouter : « Ca va là ? C’est suffisant ? »… Bien qu’il débite tout ça de l’air d’un héros qui raconte ses campagnes, je le crois aisément…
Intarissable sur la question il m’assène : « C’est pas assez ? »
Mais si ce n’était pas suffisant je peux y apporter un peu de ma propre histoire. Mes parents ont eu une scolarité des plus modeste ; ma mère a dû élever ses frères et sœurs car sa mère était morte à l’âge de trente-sept ans. Comme eux, mes sœurs et moi avons grandi sans jouets et j’ai dû étudier de nuit car je travaillais le jour. Je suis né dans un modeste appartement et, imaginez le tourment, j’ai grandi sans téléphone portable, sans télévision, festivals d’été, voyages scolaires, sans liaison au réseau et sans iPod. Imaginez l’angoisse ! Néanmoins j’ai une certaine notion des immenses privilèges que furent les miens. Parfois j’ai même un peu honte ou une espèce de respect mélancolique envers ceux dont l’existence à déterminé la mienne, au prix d’énormes sacrifices que je n’arrive presque pas à concevoir. C’est cette forme de respect qui fait défaut à ceux qui pensent être les victimes d’une conspiration préparée exclusivement à leur encontre et qui oublient qu’avant l’abondance trompeuse à laquelle ils croient, les classes moyennes luttaient pour survivre et souvent elles perdaient ces combats. Les jeunes contemporains n'ont pas fait de service militaire et encore moins de guerres, fussent-elles coloniales comme leurs ainés. Il ne me passerait pas par la tête de nier ou travestir la gravité de la situation chez des gens souvent amputées de leur passé et sans réelles raisons d’espérance dans leur futur. Mais cela ne sert à rien de croire que les difficultés ont commencé maintenant, justement ou injustement, pour atteindre ceux qui commencent maintenant leur vie active. Les géniteurs de ceux-ci ont peiné beaucoup plus et se sont plaints beaucoup moins.
Le petit fils d’un de mes très vieux amis protestait sur sa page Facebook contre un quidam qui prétendait défendre le montant des pensions des retraités, menacé de baisse. Le jeune homme, avocat et né avec une petite cuiller en argent dans la bouche, était horrifié par le discours du vieil homme « qui avec les autres retraités avait le culot de voler les jeunes » (sic). Il oubliait qu’il sera retraité à son tour et deviendra alors le voleur de quelqu’un. Entretemps il squatte la maison de ses parents et une partie de celle de ses grands-parents, ces voleurs de jeunes.
Dans mon ailleurs on voit souvent des jeunes émigrer tout comme dans les années soixante. Ils prétendent que le pays les met à la porte. Ils partent par avion, passeport en poche, accompagnés à l’aéroport par la famille et déjà un contrat de travail en poche.
Moi je suis parti en clandestin, sans papiers pour m’engager dans la Légion étrangère. Je ne me suis toujours pas plaint !
AM