Quelle peut bien être la motivation de notre ami Antoine, du lointain de son “ailleurs”, de nous faire part de son agacement vis-à-vis de certains comportements sans concession, affichés par certains d’entre nous, anciens légionnaires ?
“Certains d’entre nous”? Mais au fait, pourquoi “d’entre nous” puisqu’ils ont choisi une forme d’exclusion volontaire, et que pour faire partie de leurs « corporations », il faut être muni d’un sauf-conduit justifié par des origines nationales ou géographiques ou un temps passé dans certains régiments ?
Comment me serait-il possible, malgré une vie quasi entière passée à la Légion, de devenir membre d’une de ces certes, belles amicales, mais aussi très particulières des légionnaires parachutistes ou des légionnaires Chinois de Paris ? Il y a bien eux… et les autres !
Antoine explique au mieux ce choix de paraître comme “un état dans l’état”, même si la base de leur identité reste tout de même notre glorieuse Légion étrangère.
Fort de ce constat, je ne pouvais que demander à mon ami de faire montre de compassion, cette vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir une réaction de solidarité active, ce qui sous-entend d’être détaché de soi-même, sans quoi on peut aisément la confondre avec l’apitoiement et sa composante, la complaisance. De même, cette compassion envers autrui peut être confondue avec la pitié, au sens moderne du mot et sa connotation de … condescendance.
Ca fait un grand bien de lire « tout haut » ce que beaucoup “d’entre nous” pensent tout bas, surtout que je sais que c’est écrit sans acrimonie ni jalousie et n’avons-nous pas choisi d’être légionnaires nous plaçant nous-mêmes sur un plan que d’autres ne peuvent pas atteindre ?
CM
« Memento mori »
Je sais que certains vont me vouer aux gémonies, mais je le disais déjà en activité de service, car depuis trop longtemps que ça me tarabuste, me turlupine ; alors je l’écris sans animosité aucune, mais je l’écris.
A l’instar de Carnot avec les révolutionnaires, Lazare “l’organisateur de la victoire”, pas Sadi venu plus tard… le colonel Bernelle a procédé à l’amalgame des nationalités au sein de la Légion étrangère, après la cuisante défaite des forces du général Trézel face à Abd el-Kader, et dont les bataillons nationaux de la Légion se rejetaient la responsabilité. Le bien-fondé de cette décision a été démontré par l’échec, Dieu merci, d’une tentative de création de bataillon espagnol, et n’a plus jamais été remis en question.
Mais s’il est vrai que structurellement l’amalgame a toujours prévalu, on ne peut pas nier la propension – pendant un temps et même dans la Légion moderne - des ressortissants à certaines nations à se réunir entre soi. C’était vrai à telle enseigne que nombre de légionnaires s’exprimaient plutôt en allemand, par exemple, qu’en français.
L’aquarelle célèbre de Rosenberg représentant une scène de soulographie que d’aucuns appellent « les quatre ivrognes » s’intitule en fait « Le chant de la patrie ». Ce sont des Hongrois qui, groupés, chantent, attablés au foyer, leur lointain pays. « En service on parle français » entendait-on souvent, asséné avec force par un cadre ! Cette habitude a eu tendance à disparaître, le recrutement allemand s’étant tari. Remplacée un temps par le recrutement britannique qui avait pris la même fâcheuse habitude,elle semble être aujourd’hui l’apanage des originaires de l’Europe de l’est et de l’orient extrême. Si les premiers maitrisent assez rapidement la langue française, outil intégrant de référence, ce n’est pas le cas des seconds, hélas !
Mais d’autres particularismes qui peuvent, dans une certaine approche, être vus ou ressentis comme réfractaires à l’unité légionnaire, se sont fait jour à notre grand dam, bien qu’ils aient reçu, en leur temps, le nihil obstat de la part des autorités compétentes, comme un ouvrage littéraire avant impression.
Je veux parler de ce désir de démarcation au sein même de la communauté mondialement connue et reconnue, c’est-à-dire respectée, qu’est la Légion étrangère.
C’est ainsi qu’en 1976 a été créée l’amicale des anciens légionnaires parachutistes. Vint ensuite, bien plus tard, l’amicale du 2ème régiment étranger d’infanterie, puis celle des Chinois (de Paris ?), des Coréens… probablement d’autres que j’ignore.
Il est clair et hautement respectable que toutes ces amicales recherchent le bien commun, et leurs membres sont fiers à juste raison de leur appartenance à la Légion, mais sont-elles réellement nécessaires telles qu’elles se présentent dans leur spécificité ? Etre simplement légionnaire ne suffit plus ? Quel légionnaire non chinois ou « apparenté » aurait l’idée saugrenue d’appartenir à une amicale où la conversation ne se fait probablement qu’en mandarin et rarement en français ? On me rétorquera que dans les amicales allemandes probablement, il ne doit y avoir que des Allemands. C’est vrai, mais c’est en Allemagne. Dans une amicale britannique, sur les terres de Sa très gracieuse majesté, il est légitime qu’il y ait une majorité de britanniques. A Paris la donne est différente. Quel autre, non breveté parachutiste, oserait proposer sa candidature à être membre de l’AALP, cette 7ème compagnie de notre cher 2ème REP ? L’image est osée, je sais, et je m’en excuse auprès de tous mes camarades, mais tout cela me fait penser à ces lessives qui prétendent laver plus blanc que blanc…
On perçoit comme un désir de surenchère dans l’excellence.
Cette envie de différenciation ne s’arrête pas là. Des amicales d’anciens de la Légion deviennent des « amicales d’anciens combattants de la Légion étrangère», alors que tous les membres d’une troupe combattante, sont a priori des combattants, à moins que l’on m’oppose « les gros de la cuisine » et les lustrines des bureaucrates… certaines entrent ouvertement dans une sorte de dissidence puis, à peine on grave dans le marbre d’un mur le nom des morts au combat d’un régiment, qu’un autre, toutes affaires cessantes (?) lance une souscription pour l’érection du sien. Mais quid de tous les autres ? Ceux des régiments éteints, oubliés ? Les morts plus anonymes dont les tombes, mal entretenues, parfois sans nom, renferment des visages oubliés ?
Pourquoi a-t-on abandonné le monument de Saïda aux bonifaciens, par la volonté d’un seul, décidant par-là du devenir du patrimoine commun? Il camperait bien au centre de la Caserne de Chabrières… Naguère le registre des décès était confié à la niche du monument aux morts de la Légion à Bel Abbès, d’autres ont leur nom sur les murs de la crypte du musée, ou à Puyloubier ; tous ont laissé leur souvenir dans la poussière des djebels, dans les calcaires indochinois ou dans le delta, certains dans les tranchées de 14, dans les terres chaudes du Mexique, au Dahomey, à Madagascar… bref, partout où le combat a fait et fait signe. Alors à quoi bon toutes ces marques extérieures d’excellence qui ne sont accessibles qu’à certaines catégories de légionnaires ? Quitte à radoter, je répète : et les autres ? Et ces dizaines de milliers d’autres depuis 1831 ?
Aux Invalides, l’étendard du REC recevait une citation à l’ordre de l’armée; l’emblème du REP une nouvelle palme, lui aussi, et une deuxième fourragère. Notre musique ponctuait la cérémonie. Quel hommage grandiose rendu aux légionnaires dans ce temple du soldat. J’eusse aimé en être ! Mais en dehors des touristes débraillés sous les arcades et dans les galeries supérieures qui y assistait ? Les anciens de l’AALP essentiellement…
Un temps je me suis réjoui de voir l’amicale de Vaucluse, composée en grande partie d’Anciens du Royal étranger, présidée par un capitaine parachutiste, un ancien camarade sous-officier à la 2èmeCie du REP.
Après tout, Jeanpierre n’a-t-il pas été lieutenant au 6ème étranger et Chenel au 5, pour ne nommer que ceux-là ? Et puis le quartier de Calvi ne porte-t-il pas le nom d’un cavalier qui donna sa vie à la tête du 2ème BEP ?...
« More Majorum »… mais la 13 le proclame aussi depuis les glaces de Narvik jusqu’aux sables des déserts.
La grande famille Légion est bien trop importante, significative, une, indivisible pour qu’il puisse y avoir ceux qui s’installent au centre et la masse de tous les autres qui, comme des cousins de province en visite, n’auraient droit qu’au bas-bout de la même table.
AM