Peu de monde était présent ce vendredi 16 octobre pour accompagner jusqu’à sa dernière demeure l’ancien adjudant-chef Juan Cano qui avait marqué d'une efficacité exemplaire l’Institution des Invalides de la Légion étrangère au moment où celle-ci entrait de plein pied dans une époque moderne; la Légion faisait montre d’un savoir-faire rare au profit de ses anciens serviteurs. « Monsieur Cano » comme tous nous l’appelions, était une figure qui s’ingénia à contribuer à faire de Puyloubier, le "kilomètre zéro" de la solidarité légionnaire, une Institution unique au monde qui avait la principale mission le bien-être des pensionnaires au sein de ce beau domaine de Provence.
Comment est-il possible de quitter aussi vite nos mémoires collectives au point que seuls quelques anciens assistaient aux obsèques. Nulle polémique possible, les temps changent peut-être trop vite et celui qui faisait l’admiration de tous pour son implication dans une très belle cause a été effacé de nos mémoires sans autre forme de regret. Ainsi va la vie, ainsi va le monde, la Légion d’active ne s’était pas déplacé et n’était pas représentée…
Eloge funèbre prononcée par le Président de l’Amicale de Puyloubier, le Lieutenant-colonel (er) Jean-Claude Pierron:
Cher « Monsieur » Cano,
Il m’échoit le triste privilège en qualité de Président de l’Amicale des anciens de la Légion Etrangère de Puyloubier, du Pays d’Aix et de la Sainte Baume mais aussi comme Ancien Directeur de l’Institution des Invalides de la Légion Etrangère de retracer hélas en peu de mots, une vie intense entièrement consacrée au service de la Légion Etrangère à laquelle vous aviez également associé votre épouse Pilar devant qui je m’incline aujourd’hui.
Permettez-moi de vous appeler Monsieur car je ne sais par quelle alchimie alors que dans notre milieu nous sommes jaloux de nos anciens grades dont nous revendiquons la propriété, vous l’ancien Adjudant-Chef oeuvrant pourtant à la retraite dans un environnement militaire, c’est Monsieur qui s’est imposé naturellement. Oui à l’instar de Monsieur Légionnaire vous étiez bien au sens noble du terme un Monsieur. Je poursuis ce monologue à deux voix car j’y associe le texte que le Chef de bataillon Christian Morisot ancien DIRIILE selon l’acronyme actuel à bien voulu me confier.
"Avec la disparition de « Monsieur » Cano, c’est toute une époque qui tourne une page de l’histoire de la solidarité légionnaire.
Dans la subtilité du langage légionnaire, comment serait-il possible qu’un ancien adjudant-chef de la Légion puisse accepter cette appellation contrôlée de : « Monsieur Cano » ?
Pour essayer de comprendre, il faut présenter ce personnage hors du commun et la toute puissance qui était sienne au sein d’une Institution dont il était devenu la mémoire vivante et le bras armé avec un « nerf de la guerre » qui orientait avec modération nos destinées et qui a pour nom : « budget ».
Dans le seul livre écrit sur l’Institution (en dehors des livres-photos), cet autre « Monsieur » qui n’était pas ancien légionnaire mais "légionnaire d’honneur", et qui, lui aussi a marqué de son empreinte l’image de l’Institution des Invalides de la Légion étrangère, ne mentionne à aucun moment l’action de cet Econome qui tel un chef d’orchestre menait d’une baguette ferme et sans concession la vie du domaine Danjou. Il est vrai que « Monsieur Cano » s’imposait à tous et qu’il n’est pas obligatoirement nécessaire, en dehors d’être efficace, de se faire aimer…
Né le 16 juillet 1938 en Espagne, vous vous engagez à la Légion Etrangère le 10 février 1960. Rapidement vous êtes remarqué par vos brillantes qualités et en peu temps vous accéder au sommet de la hiérarchie des sous-officiers de l’époque. C’est-à-dire au grade d’adjudant-chef en à peine plus de 13 ans. Peut-être par souci d’équilibre familial et n’ayant plus rien à prouver dans l’active vous répondez à l’appel du commandement qui cherchait l’oiseau rare pour épauler la Direction de l’institution des invalides de la légion Etrangère et assurer une forme de continuité que le temps de commandement des Directeurs ne permets pas toujours . En effet la Légion avait bien perçu que l’avenir de cette institution passait par son nécessaire développement économique pour assurer sa pérennité.
Elle trouve en la personne de l’ex adjudant-chef Juan CAno devenu l’économe au sens propre comme au figuré, l’homme de la situation. le 10 août 1977, dès lors avec la pugnacité, la disponibilité, la compétence, que l’on vous connaissait vous n’avez eu de cesse de faire grandir cette maison en bousculant au besoin les Directeurs successifs. J’en garde le souvenir.
« Monsieur Cano », c’était la rigueur incorruptible qui permettait à l’Institution de vivre sereinement dans ce beau domaine de Provence, là où la Légion permettait à ses anciens serviteurs qui l’avait servi avec honneur et fidélité de continuer leur aventure légionnaire, souligne le Chef de bataillon (er) Christian Morisot.
Logeant une partie du temps avec sa famille dans une petit maison du Domaine, il était d’une disponibilité rare. Il fallait le voir le samedi matin, venir à l’hémicycle remettre l’argent de poche pour la semaine aux pensionnaires invalides qui ne pouvaient monter jusqu’au secrétariat. C’est aussi en ces fins de semaine qu’il consacrait encore son temps pour animer comme membre et comme « argentier » de l’Amicale dont il avait été une des pierres angulaires de la création en 1986 à son départ en 2002. Conseiller avisé du Major Carosia et de l’A/C Mutti sous son mandat l’Amicale peut s’enorgueillir de faits qui restent dans les mémoires.
La construction d’une citerne au Domaine Danjou consécutive à l’incendie de la Sainte victoire en 1989 ainsi que la stèle en souvenir du pensionnaire Kopanczyk brûlé vif dans ce brasier. Les soirées de prestige : « la Légion au Sahara », « Légionnaires en Provence », les voyages notamment le pèlerinage avec 43 membres et pensionnaires à Camerone au Mexique. Bien sur le congrès de la FSALE à Aix en Provence en 2001 avec l’érection de la stèle du Général Rollet au pied de la maison Maréchal Juin. Et enfin, les fameux lotos de « monsieur Cano » attirant une foule qui nous obligeait à refuser du monde.
Accordons-lui aussi en ce qui me concerne, une qualité rare celle d’une parfaite courtoisie et un sens inné du respect de la fonction malgré d’inévitables divergences. La terre rapportée de Camerone offerte dans une enveloppe, la remise du fanion de départ, les cartes de vœux annuelles en témoignent. Du courage et de la volonté également, lorsqu’il luttait contre cette maladie insidieuse qui petit à petit l’a diminué.
Finesse d’esprit aussi, baptisé sa villa « Sancho » n’était-ce pas un clin d’œil à son rôle de fidèle écuyer aux fantasques « Don Quichotte » qui se succédaient à la tête du Domaine ? Que le romancier Gunter Grass commente ainsi :
« Le noble chevalier, l’idéaliste, qui se bat contre des moulins à vent. Image du maître et son valet, les pieds sur terre, le valet prosaïque. C’est un couple que nous retrouvons encore dans notre réalité, à la fois alliés et adversaires. C’est un duo qui résiste aux temps qui changent. »
Je terminerais en citant à nouveau le Chef de bataillon (er) Christian Morisot :
« Aucune ambiguïté n’est permise, « Monsieur Cano » mérite amplement notre reconnaissance pour une vie, presque entièrement, consacrée à la Légion et à celle des Anciens légionnaires en particulier sans jamais faillir à sa mission.
Les Directeurs qui l’ont accompagné n’avaient qu’à se féliciter d’avoir à leurs côtés ce compagnon compétent, fidèle et dévoué.
Nous présentons à son épouse Pilar et à tous les membres de sa Famille nos sincères condoléances attristées. »
Merci pour tout, « Monsieur Cano ".
A Dieu !