Huile sur toile - Lisbonne - par AM
Après plusieurs années où nous nous étions perdus de vue, le hasard de la vie nous a fait nous rencontrer à nouveau et comme de bien entendu, nous nous sommes offert, quelques confidences et en particulier celles du bon temps où nous étions ensemble légionnaire.
Peintre passionné, Paulo regrettait, constat incontournable, qu’il ne put accéder grâce à ses oeuvres à une certaine notoriété qu’il aurait souhaité et qu'il considérait amplement méritée. Pourtant, Il venait de renaître au monde après le succès d’une exposition, mais les réactions des visiteurs le troublaient plus que de raison.
Un peu retiré du monde, il avait décidé qu’il se suffirait à lui-même. Or, un jour, alors qu’il regardait une de ses toiles, il se demanda: “Est-il vraiment utile de faire celà ? Pourquoi, diantre, je peins ces tableaux ? la peinture m’aide-t-elle à autre chose qu’à m’étourdir et à faire passer le temps ?”
Ces pensées bousculaient son travail au point qu’il cessa de peindre et voilà notre ami qui se promène n'importe où, guidé par le hasard, fréquentant toutes sortes de bars. Alors qu’il se sentait désemparé, sans motivation, il se demanda pourquoi il s’était mis à peindre ? Il se souvenait avec bonheur qu’il était animé par le désir de mettre entre lui et le monde, une sorte de relation, une belle communication. En peignant ses personnages et ses paysages, Paulo cherchait à exprimer son moi profond et souhaitait que les gens intéressés par ses oeuvres reconnaissent son être intime, caché en lui, pour qu'ils le regardent comme un homme animé d’une vitalité et d’une générosité nouvelles.
En fait, Paulo n’avait pas atteint ce qui n’a jamais été qu’un rêve, et pourtant, le dernier songe, toujours lui, ressurgissait sans cesse toujours aussi beau, puissant, il lui donnait l'impulsion du désir de peindre. Dans ces moments là, son âme vibrait, il sentait son souffle pareil à celui du vent au dessus de la mer, il existait entre le monde et lui, une entente et une affinité, une communion même et surtout une harmonie.
Il ne souhaitait plus que ses tableaux fussent des portraits de lui-même, qu’ils puissent être destinés à gagner l’amour et l’intérêt d’éventuels “clients”. Il voulait sentir cette intimité secrète où il devait mourir pour renaître à la vie. Désir nouveau qui rendait son existence supportable, libéré de ses démons.
Paulo vivait de plus en plus replié sur lui-même, parlait et souriait rarement, il ne s’intéressait pas aux choses que les gens affectionnaient et se tenait à l’écart des discussions savantes sur l’art. Il était devenu un original un peu fou qui pouvait rester des heures à fixer l’eau d’un ruisseau, une fleur ou se plongeait, à l’image du lecteur absorbé par son livre, dans la contemplation des choses qu’il découvrait.
Un petit matin qui ressemblait aux autres petits matins, il longeait une petite rivière et vit sur la berge un glissement de terrain qui avait mis la roche à nu. Alors quelque chose s’éveilla en lui. Il s’arrêta, entendit au fond de son âme l’écho d’une mélodie ancienne, venue du passé. Le détail de cette roche devenait pour lui, un spectacle qui lui sembla beau, incroyablement beau, émouvant et bouleversant. Quelque chose lui parlait entretenant un lien êtroit avec lui-même, un accord unissait la forêt à la rivière. Tout semblait n’être là que pour refléter cet instant d'émerveillement où la rivière et la végétation, les arbres et l’air, pouvaient se rejoindre, s’unir, prendre une dimension nouvelle. A partir de ce moment, il se remit à peindre fébrilement. Paulo se consacrait à l’exécution de ses tableaux en se plongeant dans l'abîme de la contemplation du spectacle du monde. Il revenait vivre parmi les vivants.
Un jour, il découvrit dans un journal que beaucoup de monde avait vu ses oeuvres, que son nom figurait en caractère gras et que les colonnes débordaient d’éloges à son encontre. Le journal écrivait: “la plastique de l’expression est également admirable dans une nature morte où un bouquet de fleurs sauvages aimante toutes les attentions…”
Pour Paulo, ces écrits paraissaient étranges, il ne se rappelait pas avoir peint une nature morte et encore moins des fleurs sauvages. Par contre, nulle part, il ne trouva mentionné la berge argileuse ni le ciel de pluie.
Dépité, il se rendit à l'exposition qui accrochait ses tableaux. Après avoir payé l’entrée, comme tout un chacun; pendant un long moment, il resta songeur, quelqu’un venait d’apposer des étiquettes jointes aux oeuvres sur lesquelles étaient inscrites toutes sortes d'explications que Paulo ne comprenait pas. Par contre, Il comprit que dans un tableau représentant un mur de jardin, certaines personnes imaginaient un nuage, les gens interprétaient et ne voyaient, à ne point douter, que ce qu’ils voulaient bien voir.
Paulo quitta les lieux sans rien dire, continua à peindre, mais plus jamais il ne montra ses oeuvres.
Mon ami est décédé, il a rejoint la longue liste des cohortes de peintres inconnus de leur vivant qui savaient si bien peindre !
CM