Ecrits vains en vrac...
Jamais dans notre vie, nous n’avons connu cette expérience du confinement sauf si vous avez fait un séjour en prison… C’est une expérience qui sort de l’ordinaire, toute privation de liberté n’est pas facile à vivre.
Nous connaissons en ce début d’année une certaine angoisse, des craintes pour nos proches et pour l’avenir. La majorité d’entre nous avons apprivoisé cette angoisse, en fait, l’extraordinaire est devenu ordinaire en peu de temps. On sait l’être humain doté de formidable capacité d’adaptation et de survie. Cela permis, au cours de l’Histoire de France et en particulier pour la Légion de fréquenter une grande variété de lieux, souvent aux antipodes l’un de l’autre. Nos Anciens avaient cette capacité d’adaptation qui permettait de survivre psychiquement en situations extrêmes.
Finalement, le voyage et le confinement ont des points communs : certaines situations extrêmes dans la vie se rejoignent parfois, comme en politique, les extrêmes se rejoignent…
Partage...
Partir à l’autre bout du monde est une expérience qui nous permet de sortir de notre routine, la sensation lors de nos séjours « Outre-mer » était souvent grisante.
Pour moi et beaucoup d’autres, le confinement peut se faire sur le papier, trouver, malgré tout les ressources pour le vivre au mieux.
Au cours de mes séjours, la chose la plus enrichissante venait du fait que j’avais le temps de tester mes limites.
En ce début d’année 2021, nous n’avons plus de temps pour nous-même et se présente une expérience angoissante sans parler de la mort plus que jamais présente. Nous, Anciens légionnaires, un jour nous avons fait le choix de changer de vie, nous nous sommes remis en question. Nous avions les germes du changement en nous et partir pour ailleurs fut un accélérateur bienvenu.
Quand on partait pour une autre civilisation, un autre horizon, nous étions étonné que l’on pouvait se passer de beaucoup de choses. Le confinement nous a fait prendre conscience que l’on peut consommer moins. Nous pouvons nous passer de beaucoup de choses également.
A final, on pourrait même dire que souvent on se repose sur des besoins superflus.
Il est dit que le communautarisme est une sorte de confinement. Pour notre Légion, rien ne nous y contraint, si tel était le cas, ce ne pourrait qu’être mental.
Un Ami me demandait « qu’est-ce qui me pousse à écrire ? »
Mon instituteur, au temps béni de mes premiers pas à l’école de la République nous avait demandé de tenir un journal pendant les vacances de Pâques. L’idée me plaisait et j’ai emporté un cahier que je remplissais en grimpant sur la plus grande dune de sable de Malo les Bains en regardant la mer du Nord. J’écrivais à moi-même et je me racontais des choses qui m’étaient arrivées. Je remarquais que je prenais davantage de plaisir à inventer. Aussi, fort de ce constat, chaque mot qui me venait, n’était qu’une tentative de combler le vide énorme creusé en moi, ma vie s’engageait sur une voie trop étroite et l’écriture me permettait d’en échapper. L’existence que je ne pouvais pas vivre, eh bien, je l’écrivais. Cela fonctionna quelques temps et compensa un peu mon vague à l’âme, une drôle d’époque s’ouvrait, cela s’appelle une « crise ». Je pensais qu’elle prendrait fin au bout de quelques mois, je me trompais. Les gens ne s’en apercevaient pas, mais je coulais, j’écrivais pour me sauver ! j’étais en position d’un lutteur acharné face à une sorte de guerre de tranchées avec aucune idée du moyen d’en sortir… Dans mes premiers écrits je racontais mes états d’âme, j’évoluais en confiant à mon journal des anecdotes bien ficelées que je ne pouvais m’empêcher d’enjoliver. Tout ce qui m’arrivais dans la vraie vie était retravaillé en bonne histoire.
Arrivent les écrits vains d’un retraité de la Légion:
“J’ai acheté un cahier, sorte de grand registre cartonné, que je laisse ouvert sur mon bureau et dans lequel, j’écris au hasard selon mes pensées du moment…
Ce n’est pas un journal, il n’y aura pas d’ordre chronologique, aucune date, pas de plan, rien de tout cela; ni souci de composition, ni recherches d’écriture. Une suite de pages où s’enchaînent, au gré des plus fortuites associations d’idées, les réfexions d’un septuagénaire dont la curiosité d’esprit reste inlassablement en éveil, le futile se mélant au sérieux, les souvenirs anciens se mélant à ceux d’aujourd’hui.
C’est une expérience, un ultime passe-temps, il m’amuse de laisser courir ma plume avant qu’elle ne me tombe des doigts. Lent et paisible monologue où je ne saurais revoir et penser à ceux qui ont compté pour moi, je pense à mes amis et surtout ma famille qui retrouveront le frémissement et les inflexions de ma voix.
Je sais la plume en retard sur la pensée, j’ai ainsi le temps de peser chaque mot que j’écris, somme toute la partie que je joue est gagnée d’avance. Mais je n’ai jamais eu l’envie de faire semblant de vivre, je suis encore trop proche et concerné par la réalité du moment présent.
La sincérité doit transpirer dans le choix des mots, elle n’a rien à voir avec le cynisme des aveux d’autant que ce dernier n’a de pire et de plus perfide ami que la complaisance.
En fait, le besoin d’exhibition que je ressens aujourd’hui ne vient ni du monde extérieur, ni des autres, mais bien de moi-même, c’est de moi que progressivement, je me désintéresse et me détâche. Toutefois, je reste encore extrêmement sensible au spectacle qui ne se tari pas autour de moi et qui fait mon quotidien.
J’écris n’importe comment et n’aspire qu’au naturel. Ce n’est pas à proprement parler, un livre que j’écris. Sans projet et sans plan, je risque de me répéter, j’avance à l’aventure, prêt à rayer tout ce qui me paraîtra trop informe ou saugrenu. Si une idée étrange voire ridicule se présente, elle ne me déplaira pas, je pense que celle-ci est souvent révélatrice et permet une suite intéressante. Lors d’une ballade en Suisse, je me suis retrouvé seul sans aucune distraction. Je m’étais attablé à une table à l’extérieur d’un café, j’ai sorti le carnet de note qui ne me quitte jamais, résolu à écrire n’importe quoi sur n’importe quoi. Le résultat, pour moi, me paraissait intéressant et assez réussi. Il est vrai que c’était pour hurler de désespoir, il suffisait que quelques lueurs apparaissaient de dévouement, de dignité pour répondre sans but précis à l’amoncellement décourageant de la sottise, de la goinfrerie, de l’abjection programmée. Même si pour certains ce ne sont que des vomissures verbales…
Un de mes enfants me pose la question: “pourquoi faudrait-il te battre ? et pour qui ?
Un peu désemparé je lui répond: “Nous nous battons pour ceci, pour cela !” “Non, pour cela plutôt !” te crient les uns. “Tu te bats pour rien,” te soufflent les autres…
On se bat toujours pour quelque chose et ce n’est pas ce que beaucoup essayent de te faire croire. Tu penses te battre pour la justice et pour la liberté des hommes, mais ce n’est pas satisfaisant, il manque une vraie explication.
Un de mes grands anciens que je cotoyait à Madagascar à qui j’avais posé cette même question me disait: “ nos chefs doivent t’expliquer les raisons de tes éventuels sacrifices et de tes souffrances. Tu as le droit de savoir, on a le devoir de te parler. Il faut te donner cette explication à toi qui peut donner sa vie, mais aussi aux cris des blessés ainsi que les plaintes des mutilés qui méritent aussi une réponse digne de leur misère. On doit l’expliquer à la face silencieuse et exigeante des morts.
Mais pour savoir, il faut que tu fasses un effort personnel, non seulement avec ton intelligence, mais aussi avec ta volonté. La lumière dont tu as besoin n’est pas une révélation sensationnelle, elle est en toi, dans ta raison et ta conscience. Tu as grandi dans un monde confus d’idées, de principes. Cherche ce qui est évident, absolu et parmi ces vérités, les plus grandes à tes yeux. Remonte par tes seuls moyens les faits et causes jusqu’à ce qui n’est pas discutable et s’impose.”
Je mesurais à leur juste valeur ces propos d’une sagesse réconfortante. Je sentais bien que ce que disait, mon ancien, était la plus noble des opérations que mon esprit devait être capable d’accomplir.
Dans le chaos abtrait qui m’environnais, je m’aventurais à me débarrasser des soi-disantes vérités qui me sont imposées comme une sorte d’héritage. Je me méfiais de ce que l’on appelle les fausses traditions du style: “on a toujours fait comme cela !”… Toutes les basses impulsions de la sauvagerie qui dorment en nous: haine, envie, meurtre, pillage toutes ces choses qui sont tapis dans le bas des âmes les plus civilisées. Je voulais être le juge de ce que je lisais et de ce que j’entendais. Je souhaitais n’apprécier les événements que d’après leurs conséquences. Je voulais me méfier des avantages immédiats qui cachent des désavantages futurs.
En 1914, l’image qu’à laissé la France en août est celle d’une nation marchant dans l’enthousiasme populaire. Pour les étrangers, l’heure était grave et tout homme devait réagir à défendre la France. Ils s’engageaient “pour la durée de la guerre” mais leur engagement ne pouvait avoir lieu qu’au sein de la Légion étrangère. Ce qui poussait la plupart de ces étrangers est le fait qu’ils refusaient que l’empire allemand a voulu se saisir du pouvoir matériel de l’empire du monde et opposaient à l’envahisseur et à sa formule épouvantable la barricade, ils se battaient contre le nationalisme qui est l‘égoïsme laché d’une nation.
Cependant ce nationalisme qui sévit partout, il n’est pas pas exclusivement allemand, hélas !.
Voilà pourquoi tu te bats. Pour un splendide butin, pas celui qu’on met dans la poche ou qu’on ramasse sur des cadavres, pas pour une misérable prime ou un honteux pourboire, ni pour le pillage, ni pour la conquête, ni des crimes qu’on innocente pour fait de guerre, mais pour le juste, le beau, le bien et pour le bonheur d’une prospérité solide et d’une forme de liberté.
CM