Une histoire d’homme, une parmi tant d’autres…

Gérard est un ancien légionnaire qui a fait avec honneur et fidélité son service à la Légion étrangère. Ses chefs l’appréciaient bien et exprimaient dans leurs notations toutes la satisfaction d’avoir sous leurs ordres ce bon légionnaire apte à servir en tous lieux, en toutes circonstances. Cette formule traditionnelle ressemble beaucoup à une éloge funèbre avant l’heure, Ainsi donc se présentaient les termes de sa mise à la retraite.

Fort de ses 16 ans de service, il avait fait valoir ses droits à pension et retraite, très fier et honoré d’être inscrit sur le grand livre de la dette publique, ultime reconnaissance de la Nation.

 

Il s’est retrouvé dans un milieu civil qu’il connaissait mal, fréquenté lors de longues errances auxquelles ses amis François et Nicolas l’accompagnaient. Rapidement, il compris qu’il était seul face à lui même et c’est tout naturellement qu’il chercha dans un premier temps à se loger. En fait, il n’avait absolument pas préparé son retour à la vie civile et ne possédait que trop peu d’argent pour suffire à ses besoins immédiats. Désemparé, il s’est mis à la recherche d’un peu de chaleur humaine et fréquenta les bistrots, seuls lieux accueillants qu’il connaissait. Maladroitement, mendiant un contact par ci, par là, il eut la faiblesse d’acheter la conversation d’inconnus en leur payant à boire. Six ans Gérard fit des petits boulots, il avait fini par s’installer dans un grand mobil home à côté d’une décharge publique qui ne l’incommodait même plus. Sans se plaindre, fataliste, il recommençait à prendre espoir et avait à nouveau des habitudes quotidiennes, il était même considéré par le patron du  café de la gare « le terminus », comme son meilleur client, cela ne s’invente pas ! Sa petite existence de retraité de la Légion étrangère prenait, quand même, une bonne tournure, sa vie avait enclenchée le rythme serein et tranquille d’un paisible train-train que rien ne semblait devoir arrêter.

 Il ne souhaitait pas faire partie d’une amicale ne supportant plus le regard des autres. Il ne se sentait plus capable de participer aux activités d’une communauté, fut-elle sympathique et composée d’anciens légionnaires.

Gérard, la Légion l’avait en quelque sorte fait libre et il le proclamait haut et fort avec beaucoup de fierté et d’arrogance lors de ses cuites interminables où il offrait généreusement aux oreilles délicates d’une population médusée toute l’étendue du carnet de chants légionnaires…

Il avait en son temps penser s’installer dans cette « maison du légionnaire » à Auriol, il venait seulement d’en apprendre l’existence et avait même contacter celle-ci par téléphone pour connaître les conditions d’admission. La personne au bout du fil lui fit trop rappeler le ton autoritaire du service actif et il renonça à se retrouver, à nouveau, dans une structure encadrée avec un chef et des obligations, trop n’en faut…

Un jour, un matin qui ressemblait à tous les matins du monde, un gamin jouant dans la décharge entra par curiosité dans le mobil home de Gérard. Hébété, choqué, il découvrit à l’intérieur le corps sans vie d’un inconnu qui ne laissait comme seul indice d’identité qu’un soyeux et immaculé képi blanc posé délicatement sur un napperon au dessus d’une télévision qui ne pouvait fonctionner faute d’électricité.

« Ce jour, nous avons découvert, dans l’exercice de nos fonctions,  le corps sans vie de monsieur Gérard L……, ancien légionnaire, le décès remonte à plusieurs mois, comme un oiseau, il s’était caché pour mourir… ». 

CM