L’improbable déjeuner – le SDF:

Après la présentation entre eux des intervenants, Arthur a amorcé d’une manière inattendue et téméraire  la discussion qui a fait l’objet d’une réaction d’Antoine, aujourd’hui, c’est au tour de Maurice de prendre la parole:

Photo CM

“Je vous remercie pour cette très aimable invitation que je ne considère pas comme une aumône. C’est vrai, je suis ce que l’on appelait il n'y a pas si longtemps, un “clochard”, mais je suis un clochard propre, tous les matins je suis invité à prendre une douche au presbytère, une habitude quotidienne, je m’asperge du parfum du curé et je me ragaillardis de vin de messe, cela me rappelle ma jeunesse d'enfant de coeur…

Je sais qu’aujourd’hui le mot “clochard” est remplacé,  à cause de sa connotation péjorative, par “sans domicile fixe”. Il y a des gens curieux  qui pensent sans doute qu’en changeant d'appellation, on résout les problèmes.  A l’origine, le mot clochard était lié aux cloches qui annonçaient la fermeture des Halles et l’autorisation de récupérer les invendus. Personnellement, je ne fréquente pas les centres d’hébergement d’urgence, dans ces établissements, les règles sont trop strictes comme l’existence de couvre-feux, d’interdiction de fumer, le manque de sécurité, les horaires d’ouverture et surtout celui de la fermeture  qui m’oblige à partir très tôt le matin avant que les travailleurs partent au boulot. L’hébergement de nuit se fait en dortoir et parmi les individus présents dans ce type de population, il y a des fous furieux, des alcooliques, des violents ou même des déviants sexuels. Dormir dans ces lieux peut être dangereux, et en tout cas, il ne faut pas être une femme…

Pour moi être dans la rue signifie que je n’ai plus aucune liberté, la seule chose qui m’appartient  encore reste ma dignité et en tant qu’être humain, c’est la seule chose que je voudrai pouvoir garder.

Votre invitation me touche en plein cœur.

Sachez que “non, rien de rien, non je ne regrette rien” comme me le disait aussi dernièrement un compagnon qui avait fait un temps à la Légion. Ce qui me navre dans le contact que je garde avec mes semblables qui me font vivre, c’est le spectacle qu’ils offrent à un bonhomme de mon espèce, je suis pétrifié et accablé au point que seule une santé déficiente me ferait revenir citoyen modèle. il n'y a pas grande solution pour me sortir de là, mais vous non plus vous n'en avez pas pour changer votre société gérée par les vrais maîtres du monde: les banquiers.

Maurice ne cache pas qu’il se sent bien dans la rue et qu’il y a pris des habitudes difficiles à changer. Il nous impose une vraie réflexion sur tous ces hommes et femmes qui vivent autrement que tout un chacun... Quand on évoque la misère, l’image des « sans domicile fixe » vient naturellement à l’esprit et pour cause, ils sont visibles dans les rues, les stations de métro, les gares  beaucoup d’autres  espaces publics. Les relations sociales et familiales, l’intégration ou le lien de citoyenneté peuvent être modifiés, transformés, fragilisés, ils n’en restent pas moins existants. Ces hommes et ces femmes, nos semblables, sont bien obligés de vivre au jour le jour et doivent faire face aux imprévus du quotidien. Chacun gère sa vie à sa façon, utilise ou non les aides publiques proposées, talonne, découvre et affine des méthodes de survie. C’est aussi une vie faite d’habitudes et de rythmes assez précis qui peuvent être largement suffisants pour occuper une journée.

Le silence qui suit s’impose, Maurice trouble; Hervé dans une sorte de conclusion s’exprime avec ses mots:  - Je pense qu’il y a des exemples où ces gens que l’on dit   complètement foutus réussissent à s’en sortir, je n’accepte pas l’idée que les sans-abri  constituent une population pathologiquement différenciée du reste de la population. Le SDF   peut devenir un problème  qui ne  s’analyse pas en termes d’inégalités et de mobilités sociales mais en termes de morbidité et de catégorie singulière. En fait monsieur Maurice, vous êtes un exclu qui en est venu à ne plus pouvoir vivre autrement que dans l’exclusion de vous-même.”

Comme le dit si bien Antoine, “Que serait la lumière sans les ombres ” et “le silence qui suit la musique de Mozart est encore du Mozart… ».  Le silence s’imposait à notre petit groupe, nous étions le nez dans nos assiettes… 

AM & CM