Christian, dans le fond, se pose des questions sur le temps. Celui d’hier, d’aujourd’hui, du temps qui passe et il se dit que l’instant que nous vivons est déjà du passé…
Pour étayer son propos il se sert des montres molles de Dali qui symbolisent bien le temps qui « coule » et des vastes périples de deux voyageurs immobiles Jules Verne et Jean Giono. Ce dernier, pacifiste convaincu qui a participé à la première guerre mondiale a été taxé de collaboration à la seconde. Jean Raspail, voyageur réel, lui, dans son long voyage pour rencontrer Antoine IV, roi de Patagonie… décide d’emprunter un cargo, le plus lent qu’il a pu trouver, car comme il le disait « …on ne peut pas se réveiller le matin citoyen du Ponant et se retrouver le soir roi de Patagonie visitant ses Etats. La métamorphose exige beaucoup plus de temps. Il faut s’y préparer lentement. ». Les deux, comme bien d’autres écrivains, ont fait du temps un personnage à part entière de leurs œuvres. Ainsi Raspail écrit-il dans le « Jeu du Roi »: «Allongé sur ma couchette, dans la cambuse, je repris la lecture du seul livre que j’avais emporté avec moi. C'était aussi le livre de chevet d'un écrivain qui avait enchanté ma jeunesse et qui était déjà mort en ce temps-là : Giono. Ce livre : les Instructions nautiques. Giono, qui ne quittait pas la Provence, avait trouvé un moyen subtil et infaillible pour faire venir la mer. » AM
Voyages, ou la marche du temps
Le légionnaire est par nature un voyageur. Il consacre beaucoup de temps à voyager. C’est pour moi un temps qui court. J’ai toujours essayé, lors de mes affectations successives, de fuir le temps ; toujours il m’a pourchassé, jamais, tel mon ombre, il n’a arrêté sa filature. Quand je pensais l’avoir semé, il m’a précédé, il m’attendait plus loin…
Hors Métropole, je constatais, à mon grand désarroi que je n’avais pas besoin d’une montre pour savoir l’heure qu’il était… mystère ! J’aspirais souvent d’arriver en retard à certains rendez-vous incontournables, au quotidien. Rien à faire, j’étais conditionné, j’étais toujours à l’heure, un vrai chemin de fer d’avant nos temps modernes et des TGV…
Lors de mes voyages, il est une remarque, banale, que je me faisais : voir les manœuvres du temps qui situent son déplacement dans l’espace. Ernst Junger (Orages d’acier, Les falaises de marbre…) explique: « Sur les bords de notre espace, les aiguilles du temps modèrent souvent leur marche et les ustensiles, les modes et les coutumes s’usent plus lentement ».
J’ai, grâce à la Légion, fait plusieurs beaux voyages, mais j’en ai perdu un bon nombre, échappés de ma mémoire.
Ainsi de la Guyane mon esprit retient surtout l’image de cet oiseau-mouche vert satin qui tremblait comme un fou dans une fleur hibiscus de mon jardin. Pourquoi ?
J’en ai d’autres qui d’une manière incompréhensible sont bien ancrés dans ma tête, à ma grande surprise tant ils étaient d’une banalité insignifiante, en Suisse, en Belgique… ils s’accrochent, rebelles, et rien à faire pour les déloger.
D’autres sont embrouillés, ils sont en désordre mais ils m’accompagnent partout comme des vieux copains, je ne sais pas les ranger.
Je me suis aperçu que je pensais avoir, de par mes nombreux séjours à l’étranger, emmagasiné de quoi écrire un livre; si celui-ci devait voir le jour, il faudrait que j’effectue mes voyages dans ma chambre. Jean Giono comme Jules Verne, n’ont jamais quitté leur ville, Manosque pour l’un et Amiens pour l’autre.
Jean Giono a croisé tous les océans, essuyé vingt et un cyclones et conduit des caravanes dans le désert. Jules Verne n’en parlons pas !
Mais compte tenu que le temps, les voyages et ma mémoire me font aujourd’hui faux bond, je décide de me séparer d’eux à l’amiable, je me contenterai, le temps que ma crise de retraité passe, de suivre les conseils de Jean Giono en relisant le “Manuel d’Instructions nautiques”. De quoi m’ioder et redémarrer la marche du temps qui passe.
CM