"La joie de l'âme est dans l'action"
Je n’ai pas connu la guerrre d’Algérie en Algérie… Jeune légionnaire, beaucoup de mes chefs jeunes et anciens parlaient beaucoup de ce qu’ils appelaient le conflit algérien. Instinctivement, je restais discret, je sentais chez eux un grand bouleversement quand ils évoquaient cette période de leur vie. L’un d’eux, adjudant-chef d’origine allemande disait avec beaucoup de fierté avoir été soldat allemand pendant la dernière grande guerre, et qu’il s’engagea à l’issue pour se retrouver à faire plusieurs séjours en Indochine, à plusieures périodes d’une guerre qu’avait engagé la France dans cette partie du monde et se retrouva par la suite en Algérie. Il disait ne pas savoir ce qu’était une atmosphère de paix, depuis son adolescence, il n’avait autour de lui que des environnements de situations de guerre. A qui voulait bien l’entendre, il disait haut et fort qu’il avait rencontré tout au long de sa carrière des chefs prestigieux dont un plus particulier que d’autres : Hélie Denoix de Saint Marc.


Cet homme de guerre et de paix fut le témoin de tous les événements qui marquèrent notre histoire, de la grande tuerie de 40 à la déchirure algérienne. Sans détailler ce que fut la vie très riche en évènements de ce guerrier jusqu’à son engagement à la Légion, il expliquait que ce dernier traversa cette immense étendue de morts et de douleur où l’esprit se vide de toute forme d’espérance et où adhérer à une foi devient encore plus difficile.

De ce désespoir qui n’était que conscience vive, d’une farouche volonté à refuser la tragédie qui se développait, naquit, chez cet homme de conviction, un affrontement devenu inévitable alors que le drame algérien surgissait de la confrontation de ce qui était légitime à ce qui était illégal.
La tragédie manichéenne entremêla inextricablement le bien et le mal ; le drame mit en scène un combat sans merci. Pour cet homme entré dans l’histoire de notre France, ce fut l’éternel combat de la mesure contre la démesure… pris entre l’ombre et la lumière personne n’est juste. Dans l’ambiguïté, dans le doute, entre l’absolue soumission au mystère et l’absolue certitude de la raison, s’exprime la plus grande dignité de l’homme. “Le héros nie l’ordre qui le frappe et l’ordre divin frappe parce qu’il est nié” Camus.
Ainsi donc, la pensée la plus pure devient pure folie dès lors qu’elle ne se reconnait plus de limites.
Ce monde tel qu’il est fait n’est pas supportable, écrit encore Camus. Son dessein est clair: “il s’agit de rendre possible ce qui ne l’est plus, alors le jeu n’a plus de limites, c’est une rébellion qui se dessine et qui pousse les raisonnements jusqu’au bout de leur logique ». Hélie Denoix de Saint Marc adresse à la France un avertissement que les intellectuels ont bien du mal à entendre. Homme redevenu libre, il ne cessera de justifier dans ses livres et en filigrane, les conséquences d’une forme de croyance absolue, aveugle, dans le pouvoir de la raison qui n’exclut pas les sentiments. Une étrange forme de vérité, celle de se révolter contre un destin tracé qu’aggrave l’erreur de tuer les hommes en ne détruisant que soi même…
N’est-il point vrai de dire que si le monde nous montre sa face la plus répugnante, c’est aussi parce qu’il est fabriqué par des hommes qui s’accordent le droit de tuer les autres sans mourir eux-mêmes, ce qui est rarement le cas des militaires.
Dans le drame algérien, il était trop tard, la faute était trop ancienne, ne fallait-il pas s’éveiller plus tôt en tenant compte du constat qu’imposait la fin du conflit indochinois ?

Lyautey disait:

l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant sa vie autonome, se détachera de la France métropolitaine. Il faut qu’à ce moment-là, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner avec affection vers la France. La séparation d’avec le Maroc s’accomplira sans douleur. Celle d’avec l’Algérie se fera dans d’infinies douleurs.

Tout était en place pour contredire le futur maréchal, avec l’Algérie, contrairement à sa prédiction, l’Armée avait réussi une pacifiquation fraternelle, tout semblait prendre une bonne tournure quand un grand homme par la taille prétendit avoir tout compris au point de tout abandonner hommes, femmes, enfants, terres.
Lorsque dans les murs qui nous retiennent secrètement prisonniers, nous chercherons les portes et les fenêtres qu’il nous faudra ouvrir pour avoir le sentiment furtif d’être encore libres, lorsque tout en nous refusera d’être victime ou bourreau, c’est vers la lumière qui éclaire tous les hommes que nous nous tournerons. Le choix fait-il prévaloir le devoir sur le sentiment?
Il y a des écrivains dont l’œuvre et la vie sont si étroitement liées que l’on ne peut entrer dans l’une sans pénétrer forcément la secrète intimité de l’autre. Le plan de leur œuvre se fait en suivant le fil conducteur qui est celui de leur vie. Hélie Denoix de Saint Marc a vécu comme il a écrit, cette homme de conviction avait le don de nous faire partager sa foi, son espérance, ses doutes, ce guide n’avait de cesse de nous prendre à témoin et de nous dire combien il fut un homme de cœur et de raison.
Cependant, comment peut-on comprendre que cet homme intégre pouvait-il accepter de mettre face à face des étrangers et des soldats français au risque évident d’un acte fratricide ?
Permettez, mon Commandant, qu’un modeste légionnaire vous dise à Dieu, rendez-vous autour du vieux bivouac des vieux légionnaires où vous vous êtes retiré… Vous devez avoir encore tant et tant de choses à dire… et à entendre…

CM