J’ai certainement l’oeil renseigné du septuagénaire bien engagé dans un âge avancé; ce personnage à la mémoire saturée pour avoir fait le tour des choses et qui arrive au bout d’un long chemin semé d’embuches qui a pour nom "Existence".
Je sais à l’occasion me présenter les mains lisses et soignées, celles d’un ancien ouvrier devenu bourgeois raffiné juste ce qu’il faut au point de laisser apparaitre une espèce de culture avec la conséquence d’agacer mes proches qui me demande de ne pas oublier "d'où je viens !"

En fait, ma vie, je l’ai vécue en prise directe apprenant à vivre à la Légion étrangère d’une autre manière que ce bourgeois raffiné cité précédemment. J’y ai appris que notre société s’abrite des hommes ou du moins s’arrange d’eux...

 

A la Légion l’arrangement était familier quand il le fallait, silencieux si nécessaire et capable de désinvolture autant que de gravité. J’avais en moi, le sentiment du droit, la satisfaction d’avoir raison, la joie de s’estimer soi-même, ces ressorts puissants qui me permettaient de tenir debout et de me faire avancer envers et contre tout. Toutes ces choses banales qu’un homme ne peut se passer et dont la privation le fait devenir un chien écumant. J’ai en mémoire que dans ma jeunesse, parfois, pour me donner une impression de grandeur, je m’élevais au plus haut des dunes de Malo les Bains au dessus de la mer du nord encore baignée de lumière, au dessus des fourmis humaines. A chaque fois, en imagination, je jetais une bouteille à la mer, océan d’archives pour détromper les générations futures et leur expliquer que dans la période où il m’a été donné de vivre, la jeunesse n’était pas seulement un âge de la vie, mais une valeur suprême et que le droit le plus difficile à défendre était celui d’échapper à la fête. Il y avait fête de tout au lendemain de la guerre la plus atroce de tous les temps. Comme expliquait en écrits vains un auteur célèbre, rien ne pouvait être glorifié, affirmé ou même apparaître qu’à travers les fastes de la fête : « Homo Erectus festif » qui régnait sur le jour et la nuit, sur la semaine et le dimanche, bref partout, seul but d’une vie sans autre intérêt, une manière de renaître à la vie. Le frisson de l’interdit avec la confortable assurance de l’interdiction d’interdire. Ah ! Mai 68, mouvement des jeunes qui laisse encore aujourd'hui des traces débiles… Pendant ce temps là, j’étais à Madagascar et je m’en foutais, je n’avais aucun goût pour les prévisions des horoscopes, mon avenir, je le vivais au présent à pleines dents, je ne pensais qu’à festoyer avec de charmantes « créatures » qui avaient la particularité de vous rendre le quotidien plutôt agréable, n'en déplaise à certaines personnes rigides et moralistes à souhait, impêcheuses de tourner en rond...
Mon Cher Antoine, je divague, bien sûr, je ne cherche aucune construction d’idée dans ces écrits, j’écris pour écrire, cela me fait le plus grand bien de dire parfois n’importe quoi. L’écriture avant la venue des « Textos » était une activité calligraphique courtoise et relevait d’une certaine délicatesse inspirée par une élégance de coeur. Aujourd’hui, mes enfants m’ont montré ce qui s’affiche dans les librairies et dans les bibliothèques de Lycées : une étonnante liste des droits du lecteur où est précisée le droit de ne pas lire, le droit de sauter les pages, le droit de ne pas finir un livre, le droit de lire n’importe où, le droit de lire à voix haute, il est oublié le droit de se taire...
Je reconnais avoir été un adepte du livre numérique, cette machine noyant les oeuvres dans le flot infernal d’un stockage qui vous croque jusque l’âme.
Comme me hurlait un vieux pépé solitaire, curieux et mystérieux bonhomme de mon enfance en parlant de l’interprétation de ce que nous faisons des mots, « il y a plusieurs façons de comprendre un mot, ainsi être poli était se reconnaître obligé, aujourd’hui, ce n’est pas s’affirmer mais s’amoindrir, c’est s’incliner » et de rajouter en conclusion qui sera celle de ces insolites écrits mélés : « Il y a bien autre chose qu’une simple comédie sociale dans tout cela ».
Je ne vous le fais pas dire mon bon Monsieur !
CM