Marchant d’un pas lent sur la plage, je voyais la mer et le ciel disparaitre à l’horizon et se confondre dans une opacité trouble, un pastel monotone, accouplement furtif qui se perdait dans l’infini. Mes joues, caressées par les derniers rayons d’un soleil moribond s’enflammaient sous les gifles du vent du Nord. L’instant était bousculé par le tournoiement des envolées de sable fin, figures imaginaires que semblaient habiter de fantômes familiers.
La lune se levait derrière la dune. Mon esprit s’évada, aspiré par une interrogation lointaine, comme attiré par l’espoir d’une aventure, qu’accentuait encore une impression intime, imprégnée d’une douce odeur de ressac, effluves iodés de vagues houleuses, sculptures animées d'une plage des eaux de la Terre.
Ce parfum enivrant de vent marin, soulignait encore la frustration d’inaccessibles rêveries, pour un adolescent, obsédé par la découverte d’images nouvelles.
Le mirage s’évanouissait dans un léger brouillard, mariage incestueux de la mer et du ciel avec une dame de leur âge : la Terre. Cette harmonie envoutante, était la toile d’arrière-scène d’un théâtre où les acteurs involontaires affichaient leur propre jeu de rôle, et où s’exprimait la nostalgie du temps qui passait. Sempiternelle comédie humaine, source perpétuelle d’inspiration, qui faisait inlassablement se regrouper les vieilles femmes sur un banc du bord de mer, véritables chefs des familles matriarcales, directrices de conscience, avisées, d’une société sans fragrance, fidèles à un passé qui se vivait trop au présent pour construire l’avenir, mais aussi, source d’insatisfaction, d’ennui, de lassitude, de tristesse…
C’est ainsi qu’un jour, qui ressemblait aux autres jours… je réalisais que je ne pouvais plus supporter cette vie si courte mais si longue à la fois, à force de lenteur, de manque d’événements trépidants et qui devenait, parfois, insupportable. Elle se déroulait, toujours semblable, avec la mort au bout. On ne pouvait l’arrêter, ni la changer, ni la comprendre. Souvent une révolte indignée nous saisit devant l’impuissance de notre effort à provoquer un changement. Quoi que nous fassions, nous mourons ! Quoi que nous croyions, nous mourons.
Malheureusement, il semble bien que nous puissions mourir demain sans rien connaître encore, bien que désabusés par tout ce que nous connaissons. Nous nous sentons écrasés par le sentiment que « tout n’est qu’une éternelle misère », tout n’est qu’impuissance et monotonie.
Alors, nous nous levons, nous marchons, quand nous sommes las du matin au soir, las des choses familières, de sa maison, de sa rue, las de soi-même, de sa propre voix, des choses qu’on répète sans cesse, du cercle restreint de ses idées. Il faut partir, entrer dans une autre vie, changer l’image projetée de son ombre.
Au moment de la décision, l’aventure prend la forme d’une espèce de porte qui vous fait entrer dans une autre vie, un rêve qui devient réel.
C’est dans une gare, un port et un grand navire qui halètent d’impatience et qui vont fuir là-bas, quelque part, n’importe où, vers des pays nouveaux, régénérateurs.
Ainsi, je quittais ma région natale par un jour de septembre de fin d’été, animé par la volonté de voir une terre de soleil, dans l’éblouissement fulgurant d’une lumière inconnue.
Je souhaitais de toutes mes forces voire le midi du désert qu’incarnait, de façon quasi magique, l’image du légionnaire saharien qui représentait, dans ma naïveté juvénile, l’exemple de ce que pouvait être la liberté, sans horizons.
Décision irrévocable qu’imposaient à mon inconsciente rêverie les écrits de Flaubert : « On peut se figurer le désert, les pyramides, le sphinx, avant de les avoir vus ; mais ce qu’on ne s’imagine pas, c’est la tête d’un barbier Turc accroupi devant sa porte ». Il me fallait aller à la rencontre de ces personnages.
C’est ainsi, tableau rapidement brossé, que j’arrivais devant le bureau de recrutement et m’engageais pour cinq ans, ce n’est pas rien, au titre de la Légion étrangère
De la terrasse du Bas-Fort « Saint Nicolas » à Marseille, je sentais mon cœur emporté par une sensation nouvelle devant cette ville, porte d’aventures, qui palpitait sous le soleil encore estival, riante, avec son port de plaisance bordé de grands cafés pavoisés, ses gens pressés, affairés et bruyants à souhait. Elle semblait ivre, avec un accent que tout le monde faisait sonner comme un défi à la morosité. Marseille transpirait et manquait de soin, elle sentait l’ail. Mais elle vivait !
Au loin, dans le bassin de la Joliette, les lourds paquebots, le nez tourné vers l’inconnu, attendaient.
Après un bon mois de séjour, passage obligé des formalités administratives, c’était le départ pour la Corse, début d’une instruction programmée, formation indispensable pour faire de moi cet autre homme, ce légionnaire apte à servir en tout lieu, à tout moment, là, où la Légion interviendrait dans le monde.
J’embarquai sur le « Napoléon Bonaparte ». Le vaste navire quittait son point d’attache, passait doucement au milieu de ses congénères encore immobiles, sortait du port. L’aventure commençait pour moi, je me sentais libre comme jamais.
J’allais devenir légionnaire.
CM