L’Ardoukôba:
"Quelques secondes peuvent avoir leur importance, il suffit d’un rien. Restons humbles. À tous égards."
Peu de personnes connaissent ce nom : d’Ardoukôba. Il s’agit d’un volcan entré en éruption le 7 novembre 1978 à Djibouti après 3 000 ans de sommeil..
A l’époque, j’étais Caporal-chef à la cellule transmission de la 13ème Demi-Brigade de la Légion étrangère à Gabode à Djibouti. Chef de station, mais également radio du chef de corps, le Colonel Gillet. Mon chef de service était le Major Mallet, un cadre blanc, président des Sous-Officiers du régiment alors qu’il n’a jamais coiffé le képi blanc. C’était un homme intégre qui imposait naturellement le respect. En Algérie, Il avait été affecté au 2ème REP, compte tenu de sa spécialité, dans la section du lieutenant Gillet précisément et n’avait depuis, plus jamais quitté la Légion.
À son arrivée à la 13ème D.B.LE., le colonel Gillet souhaitait parfaitement connaître le territoire, découvrir un pays aux multiples facettes, aux sites incomparables mais également être en mesure de s’imprégner des possibilités de « Défense », nous n’étions pas si loin de l’affaire « Loyada » qui avait marqué les esprits. Franc, honnête, droit, respectueux de tous, il me faisait part de son souhait et me demandait de rester en cas de déplacement en permanence en liaison avec le régiment où que nous soyons et en toutes circonstances.
Passionné de topographie, j’aime suivre notre chemin sur la carte en permanence d’autant plus que je dois signaler notre itinéraire, car toutes les heures, je dois signaler notre position à Gabode, question de sécurité oblige…
Certaines fins de semaine, le colonel programme des «randonnées» avec sa famille, en Land Rover avec son chauffeur d’origine allemande, un colosse au gabarit impressionnant pas très bavard mais très sympathique et content de sa fonction. Nous suivons la voiture familiale en jeep avec remorque. En fait j’étais volontaire pour ce genre de sortie qui me permettait de découvrir un superbe territoire sauvage à souhait, des sites uniques et très particuliers, ainsi je visitais la forêt du Day, le lac Assal et le lac Abbé et je gravais dans ma mémoire des souvenirs inoubliables ainsi ce succulent méchouï à Ali Sabieh où le Chef du village nous avait reçu remarquablement.
Le 7 novembre 1978, le colonel décide d’aller visiter et inspecter la 4ème compagnie basée à Holl Holl. Sur le chemin du retou, le Colonel décide de changer d’itinéraire et de prendre la direction d’Arta-Plage, le centre nautique. Plus question de suivre la route, il nous fallait prendre la piste et ce n’est pas une mince affaire pour un graphiste qui doit signaler en roulant sa position toutes les heures.
Nous arrivions à destination et nous n’étions pas loin de basculer de l’autre côté du col en direction d’Arta-Plage quand notre conducteur arrête le véhicule, redémarre et recale, difficilement nous atteignons le col et c’est la descente vers l’oued qui mène à la plage. Surpris ! Devant nous se dresse un spectacle hallucinant, fantasmagorique; nous ressentons d’énormes secousses sismiques qui balottent notre véhicule de gauche à droite de la piste. Des rochers de toutes tailles dévalent les pentes des falaises, plus loin d'épais nuages de fumée s’échappent de la terre fissurée. Interloqués, devant un tel spectacle « démentiel », nous décidons, en urgence, de faire demi-tour en slalomant entre des rochers de plusieures tonnes. Arrivés sains et saufs à Djibouti, nous avons appris qu’il s’agissait de l’éruption du volcan Ardoukôba. A quelques secondes près, nous aurions pu être écrasés et enterrés sans laisser de traces… quelques secondes qui ont leur importance et qui depuis me fait dire: "qu'il suffit d’un rien pour disparaître corps et bien, triste destin qui en rappelle bien d’autres et qui nous oblige à une certaine humilité...
Jean-Luc Devillers