Il est passionnant lorsque l’on remonte le temps avec les yeux d’aujourd’hui et en particulier lorsque l’on tente de comprendre comment s’est construit un personnage aussi charismatique que le général Rollet, de rechercher quels étaient ceux qui ont influencé notre Général et ont sculpté sa manière de vivre sa vie d’officier.
Tout commence en 1875, année de naissance du général. Son père affecté au 46ème Régiment d’Infanterie de ligne à Auxerre est capitaine, grade attribué en 1871 à titre exceptionnel en raison de son comportement durant la guerre de 1870-71. Nul doute que l’influence de son père pour lequel il nourrissait une véritable vénération ne l’ait conduit tout naturellement à choisir le métier des armes. Une approche aussi paraît intéressante du fait que plusieurs fois il s’est retrouvé sous les ordres du célèbre commandant Brundsaux dont l’effigie coiffée d’un casque colonial, type Madagascar ou Dahomey, est un des barbus géants qui gardent notre monument aux morts. Enfin au cours de ses multiples affectations tant à Madagascar qu’en Algérie et au Maroc; il rencontra celui qui devait devenir un de ses amis: Louis, Hubert, Gonzalve Lyautey. Tous les gens qui ont eut le privilège de côtoyer le maréchal Lyautey ne pouvaient rester indifférents au contact de cet homme exceptionnel qui était doté d’un réel pouvoir et le jeune lieutenant Rollet, ne pouvait avoir de meilleur exemple que cet officier au caractère bien trempé. Peu de temps après son entrée dans le corps des officiers, le lieutenant Lyautey avait marqué sa forte personnalité, en publiant audacieusement en 1891, dans la « revue des deux mondes », le « rôle social de l’Officier », dans lequel il faisait connaître sa conception humaniste de l’Armée. Ce livre bouleversa le monde militaire et civil de l’époque et influença toute une génération d’officier.
Cependant, en ce qui concerne l’action sociale du général Rollet, ce n’est qu’à partir de 1925; lorsqu’il est Chef de Corps du 1er Régiment Etranger d’Infanterie que se fait ressentir une réelle nécessité d’organiser « l’après Légion » des légionnaires libérés. C’est pour lui une vraie prise de conscience, celle d’un vide, d’un manque complet de l’existence et de l’importance d’une l’action sociale et pour se rendre compte de la situation et de la place du social à l’époque, il suffit d’ouvrir le fameux « livre d’or de la Légion étrangère » celui de 1931. Celui-ci comprend très exactement 374 pages et seules 2 d’entres-elles sont réservées aux « œuvres d’entraide et d’assistance, sociétés d’anciens légionnaires et encore, en y retirant de celles-ci le superflu ou l’inutile, il reste bien peu de place à l’action sociale proprement dite.
Bien entendu qu’il existait le « Centre de repos d’Arzen » qui durera, par ailleurs, 34 ans, celui de Salé au Maroc, un « centre d’hébergement » de 20 lits à Marseille au 21 rue des 13 escaliers et en 1933, la maison de retraite d’Auriol dite « le petit village international de la Vède ». Bien entendu que de nombreux libérés restaient en Algérie ou au Maroc, mais avec un effectif de plus de vingt mille hommes, la légion « lâchait », chaque mois sur le port de Marseille, près d’une centaine de nouveaux anciens légionnaires qui se retrouvaient livrés à eux-mêmes .
Lorsqu’éclate en 1929, la crise économique mondiale, une incontrôlable vague de chômage déferle sur l’Europe. Cette situation ne saurait arranger les affaires du légionnaire rendu à la vie civile.
Pour mieux appréhender les répercussions de cette débâcle mondiale sur la vie des anciens légionnaires en France métropolitaine, le Général demande en 1932, au capitaine Rollin (qui contribua amplement à la réalisation du livre d'or de 1931 avec monsieur Brunon du musée de l'empéri à Salon de Provence), patron du Service d’Immatriculations de la Légion à Marseille, de faire une étude minutieuse et sans concession des conditions dans lesquelles s’effectuent le retour à la vie civile des légionnaires et surtout comment appliquer d'indispensables améliorations.
Entretenant d’étroites relations avec les Amicales, Le capitaine Rollin s’acquitte de sa mission et rendit compte peu de temps après au Général du résultat de ses recherches : le constat qui en résultait était des plus sévères et surtout sans appel, c’était celui d’un horrible "parcours du combattant" que constituaient, ne serait-ce que les formalités administratives pour des étrangers qui n’avaient pas connaissance de leurs droits, qui maitrisaient souvent mal la langue française et qui ne savaient où et à qui s’adresser.
Le Général avait conscience que si les solutions étaient multiples, elles restaient compliquées à mettre en place, les interprétations ne s’excluant pas forcément les unes des autres en plus du « qui », du « quand » et du « pourquoi », se posait aussi la question du « comment » et "quand" qui constituaient le fil rouge à suivre…
Notamment apparaissait une évidence: le grand besoin pour les libérés d’être soutenus, seuls ils ne pouvaient et ne savaient bénéficier de leurs droits.
Le Général était persuadé que la Légion ne pouvait continuer à se désintéresser du sort de ses anciens serviteurs d’autant qu’il était convaincu que porter une aide conséquente aux anciens se répercuterait sur le moral de ses légionnaires qui pourraient, avec grand soulagement, ne plus penser avec appréhension au moment de leur départ de la Légion. C’est aussi cela, précise t-il, "l’esprit de famille légionnaire".
Ces hommes libérés de leur service légionnaire ne comprenaient pas qu’ils ne puissent trouver à leur libération, une aide officielle organisée, dans un pays à la grandeur duquel ils ont parfaitement conscience d’avoir largement contribué par au moins 5 ans d’une vie très dure ou pour bon nombre, par le prix de leur sang versé.
Dans le mensuel « La Légion étrangère » en 1931, l’un d’entre-eux s’exprime en ces termes : « Dois-je mendier dans la rue, moi, ancien légionnaire avec 11 ans de service, médaillé militaire, ou me laisser arrêter pour vagabondage, puis reconduire à la frontière entre deux gendarmes, ou bien dois-je me suicider ? »
Conscient de la gravité de la situation, l’axe d’effort du Général s’appliqua dans un premier temps sur les objectifs suivants:
- Un meilleur passage de la vie militaire à la vie civile,
- Un souci de donner aux retraités et réformés les moyens d’une nouvelle existence à l’abri de la misère,
- Et enfin, de maintenir « l’esprit Légion » entre les anciens en créant des liens qui les attachent à la famille légionnaire
L’entraide légionnaire:
L’entraide légionnaire était devenue pour le Général une priorité. Il fallait défendre et appliquer l’idée que le libéré puisse trouver du travail, élément indispensable à sa bonne intégration dans un milieu civil sans concession du fait même que celui-ci connaissait une crise économique sans précédant.
Mais cette œuvre d’entraide s’avéra d’emblée plus complexe à organiser que prévue et la première des difficultés et non des moindres, était de réunir les fonds nécessaires sans lesquels aucune action sociale n’est possible.
Le capitaine Rollin, concluant une seconde étude estimait que l’action sociale ne pouvait perdurer que si celle-ci devenait une mission prioritaire et surtout, elle devait être totalement indépendante des amicales et sociétés d’anciens légionnaires qui n’arrivaient pas à se fédérer et qui se concurrençaient maladroitement.
Fort de ce constat, le fil conducteur qui guida le Général se concrétisait par les actions suivantes :
- Procurer un travail avec contrat d’embauche,
- Orienter ceux qui ne veulent pas se fixer en région marseillaise,
- Maintenir le contact avec tous les anciens légionnaires,
- Offrir un refuge aux retraités et réformés
- Créer des points d’accueils pour les formalités administratives à Marseille et à Paris.
- Etudier les modifications à apporter aux lois et règlements en vigueur,
- Solliciter les offres d’emplois et les centraliser,
- Intervenir et garder en permanence le contact avec le ministère du travail,
- Se procurer les ressources du fonctionnement du social, les répartir entre les centres d’hébergement.
- Contrôler l’emploi des fonds pour chacun de ces centres.
C’était pour le « Père des légionnaires » un autre et nouveau combat ; celui, cette fois-ci, contre l’égoïsme et l’indifférence.
Le rayonnement du général Rollet a fait énormément pour stimuler et sacraliser les liens entre la Légion d’active et celle des anciens.
En conclusion, que pouvons nous retenir du « rôle social du général Rollet ou quelles ont été les actions menées sous son influence ?
Ce que l’on peut dire, c’est que son action s’est concrétisée autour de :
- L’abolition du maquis des formalités administratives.
- La mise à jour des livrets individuels.
- Les rappels de soldes et de primes.
- L’établissement des pensions de retraite ou de réforme qui étaient des plus négligés et en particulier pour les réformes d’affections pour lesquelles la présomption d’origine ne pouvait être établie.
- Le pécule de libération.
- L’habillement des libérés en vêtement civil correct et décent, autre que le costume dit « Clémenceau » sans col.
- Les conditions de transport autre que ceux de partager les fonds de cales avec les bestiaux…
- Les attributions de titre de transport et ceux liés aux frais de voyage.
- La facilité de résider en France pour les anciens de nationalité étrangère avec la possibilité, certificat de bonne conduite obtenu de se faire attribuer une carte de séjour.
- Les aides financières aux centres à travers de nombreuses sources comme à titre d’exemple la loterie nationale, zone d’influence des « Gueules cassées »
- Et enfin un soutien permanent aux mobilisés par l’intermédiaire des amicales et des sociétés d’anciens légionnaires.
- Le certificat de bonne conduite.
Dès 1939, ses ennuis de santé deviennent plus fréquents, plus graves, et plus préoccupantes ce qui l’oblige à réduire considérablement ses activités mais ne l’empêche pas de continuer à s’occuper du bureau d’accueil des anciens légionnaires, des invalides, d’assumer les présidences des « Amis de la Légion ainsi que celle des « Gueules cassées ».
Le 15 avril 1941, le général Rollet s’entretien encore avec quelques intimes des problèmes du moment, sans avoir perdu confiance en lui.
Le 16 au petit matin, il rend le dernier soupir, sans s’être vu mourir.
Le petit texte ci-après du maréchal Lyautey pourrait parfaitement être encore d’actualité aujourd’hui, il pose réflexion:
« Ce n’est plus un mystère que chez nous. L’éducation du citoyen reste à faire. La démocratie l’appelle et l’exige.
A défaut, la liberté dégénère en licence, l’ordre public est troublé, l’autorité bafouée.
Aucune construction politique, aucune doctrine économique, aucun régime social, même le plus généreux, ne vaudront si le citoyen fait un usage insensé de la parcelle de souveraineté dont il dispose.
L’intérêt national n’a que trop souffert de ce manque d’éducation.
Il est grand temps d’y songer si l’on veut empêcher le pays de rouler aux abîmes. »
C’est écrit en 1891. Il y a 132 ans...
CM