C’est un peu un cri d’amour qui précipite l’émotion et qui vise au-delà du langage et de la pensée une déclaration émotionnelle de reconnaissance. La parole s’est métamorphosée en magie au point de se comprendre au-delà des mots. Entêtement de tendresse, le corps lui aussi prétend avoir des milliers de choses à dire, ce corps âgé, tout à la fois lourd, gauche et si léger pourtant, vacillant comme une petite flamme.
Notre ancien tient bon, mais pour combien de temps encore ? Son jardin est en friche, il le guette chaque jour derrière les rideaux de la porte fenêtre de la salle à manger, incontournable poste de guet. A l’intérieur ce sont toujours les mêmes meubles, les mêmes objets, les mêmes bibelots disparates, les mêmes tableaux accrochés aux murs.
Le solstice d’hiver est passé et un autre jour paraît dans la lueur encore froide du début du printemps. Le vieil homme est dans la solitude imposée par son l’âge, il n’est plus à s’étonner que l’invisible aventure de son existence ne fût éternelle et ne reste qu’un souvenir qui s’évapore au fil des ans... Des papiers à lettre et des enveloppes timbrées sont sur le buffet pour une correspondance qui n’est plus d’actualité, des livres d’histoire s’empilent sans être lus. « C’est aussi cela », dit-il, « la dignité, le passage pour une vie non choisie, on peut penser que cette vision des choses n’est pas si désespérante si l’on veut bien imaginer que nous sommes des gardiens, des transmetteurs, des veilleurs…. Un jour arrive où il lui faudra tout quitter, il en a conscience, il partira plus discrètement qu’il n’est venu, il sait qu’il peut s’attribuer la théorie selon laquelle: « un battement d’ailes de papillon au Brésil peut provoquer une tempête au Texas », il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s’amplifie et provoque, à long terme, des changements colossaux… L’ancien a lu que cette notion inventée s’applique également aux sciences humaines, à son environnement, une manière de croire qu'il a été utile et qu'il a contribué, du fait même d'exister, à participer et a influencer une Histoire à laquelle, à la manière des "battements d'ailes du papillon" il a quand même participé...
Sans ambiguïté, il sait qu’il n’existerait plus que pour lui-même, si ces jeunes gens de l’Amicale des Anciens légionnaires ne lui rendaient régulièrement une petite visite.
C’est aussi à cela que servent nos Amicales mais peut-être que la solution de rejoindre les camarades de son âge à la Maison du légionnaire ou à Puyloubier est une solution, une manière de se retrouver encore chez lui et non chez les autres au milieu des siens et éviter ainsi une horrible solitude injuste, incontournable et inconfortable…
CM