Amicale Vert et Rouge
L’engagement est un cheminement qui peut prendre de multiples routes d’accès. Le propos qui suit a pour ambition d’évoquer celui qui conduisit des hommes d’origines différentes à venir se mettre au service de la France en danger.
La voie empruntée par les étrangers ayant résidé en France ou résidants en France lors de la mobilisation générale du 2 août 1914 mérite le détour.
L’ordre de mobilisation générale met en émoi les communautés étrangères installées, notamment, à Paris et plus particulièrement les milieux intellectuels.
À l’initiative de Riciotto Canudo, un Italien inventeur du terme « le 7è art » pour le cinéma et de Blaise Cendrars, écrivain suisse, est lancé un Appel aux étrangers qui vivent en France :
« L'heure est grave.
Tout homme digne de ce nom doit aujourd'hui agir, doit se défendre de rester inactif au milieu de la plus formidable conflagration que l'histoire n’ait jamais pu enregistrer.
Toute hésitation serait un crime.
Point de paroles, des actes.
Des étrangers amis de la France, qui, pendant leur séjour en France, ont appris à l'aimer et à la chérir comme une seconde patrie, sentent le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.
Intellectuels, étudiants, ouvriers, hommes valides de toutes sortes - nés ailleurs, domiciliés ici - nous qui avons trouvé en France la nourriture de notre esprit ou la nourriture matérielle, groupons-nous-en un faisceau solide de volontés mises au service de la plus grande France. »
Cet appel fut entendu au-delà de ce cercle restreint et des milliers d’étrangers demandèrent à s’engager dans les unités de l’Armée française. Cette dernière ne pouvant les incorporer, ils furent, quelques jours plus tard, dirigés vers la Légion étrangère, seule en capacité à le faire. Ils y souscrivirent un engagement volontaire pour la durée de la guerre (EVDG). Pour les accueillir, 4 régiments de marche formés à partir des 1er et 2è régiment étrangers furent crées dont le 4ème régiment de marche du 1er étranger composé uniquement d’Italiens et surnommé couramment « Légion Garibaldienne » car commandé par Peppino Garibaldi, petit-fils de Giuseppe Garibaldi qui combattit en France pendant la guerre de 1870.
Cet engagement est évoqué à travers le portrait de quatre d’entre eux :
Blaise Cendrars de son vrai nom Frédéric Louis Sauser est un écrivain et poète suisse installé en France après avoir exercé, auparavant, différents métiers
Un livre « La main coupée », il raconte de façon picaresque ces mois passés sur le front. Autant de personnages, de situations tragiques narrées souvent de façon triviale, peut-être parce que, à côté des actes d’héroïsme, le quotidien frise parfois l’indicible, l’instinct de survie prime et conduit à surmonter l’inimaginable. Ainsi, il est fait la connaissance de Garnéro dit Chaude-Pisse, tué à la crête de Vimy, enterré le jour même et retrouvé dix ans plus tard, ressuscité ! et Przybyszewski, un noble polonais surnommé le Monocolard et tant d’autres servant au 3° régiment de marche de la garnison de Paris.
C'est lors des attaques de Champagne en septembre 1915 que Cendrars est grièvement blessé et devra être amputé de son bras droit et ensuite apprendre à écrire de la main gauche. Il poursuivra une carrière d’écrivain.
Il sera naturalisé français en 1916.
François Faber est un coureur cycliste de nationalité luxembourgeoise. Il compte à son palmarès un Tour de France, un Tour de Lombardie, un Paris-Roubaix, deux Paris-Tours, un Bordeaux-Paris et un Paris-Bruxelles.
Engagé volontaire dans la Légion étrangère au sein du régiment de Marche de la Légion Etrangère (RMLE) dès le début de la Première Guerre mondiale, le 22 août 1914, il est tué au combat lors de la bataille de l'Artois, le 9 mai 1915 ; son corps ne fut pas retrouvé, Il est officiellement déclaré mort par le tribunal de la Seine, le 25 février 1921. François Faber aurait donné comme explication pour venir servir la Légion Étrangère que :
« La France a fait ma fortune, il est normal que je la défende ».
Alan Seeger est un poète américain vivant en France et l’auteur, entre autres, de ce poème prémonitoire : « J’ai rendez-vous avec la mort » dont voici un extrait :
« J'ai un rendez-vous avec la Mort sur le versant déchiqueté de quelques collines délabrées quand le Printemps reviendra faire son tour cette année et qu'apparaîtront les premières fleurs des prés. -
--- Mais j'ai un rendez-vous avec la Mort à minuit dans quelque ville en flammes, quand le Printemps repartira vers le Nord cette année, et je suis fidèle à la parole donnée : je ne manquerai pas ce rendez-vous. »
Le 4 juillet 1916, jour anniversaire de l’Indépendance des États-Unis, le régiment de Marche de la Légion étrangère dont il fait partie est engagé devant Belloy-en-Santerre pour soutenir les Anglais engagés dans la bataille de la Somme. Fidèle à la parole et au rendez-vous avec la mort qu’il avait donnés, Il fait partie des 800 tués du régiment et son corps n'a jamais été retrouvé.
Extrait de la citation du 25 décembre 1916 : « Jeune légionnaire, enthousiaste et énergique, aimant passionnément la France. Engagé volontaire au début des hostilités, a fait preuve au cours de la campagne d'un entrain et d'un courage admirables. Glorieusement tombé le 4 juillet 1916. »
Ses poèmes figuraient sur la table de chevet du président John F. Kennedy.
Lazare Ponticelli, fils d’émigrés italiens, se retrouve seul à 10 ans. Il ne cessera de travailler pour subsister, ramoneur sur les toits, puis vendeur de journaux… Il aidera un tailleur de pierres sur ses chantiers, Paris est à l’époque en pleine transformation.
En 1914, la première Guerre Mondiale éclate suite à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. Alors qu’il n’a que 16 ans, Lazare Ponticelli, s’engage dans la Légion étrangère. Une seule motivation : défendre le pays qui lui a donné à manger et combattre pour la France :
À l’entrée en guerre de l’Italie, il est obligé de rejoindre son armée, servira dans les Alpini et sera blessé au visage. Même après la fin de la guerre, les Italiens veulent le retenir mais il refuse, et finalement, sur la foi de son livret militaire qui atteste qu’il a combattu en France, il est enfin autorisé à rentrer à Paris. « ils voulaient que je reste en Italie, je suis venu Porte d’Italie ! » raconte-t-il avec malice.
À son retour en France, il crée, avec deux de ses frères, une entreprise qui prospéra et est aujourd’hui réputée dans son domaine d’activité. Il sera naturalisé en 1939.
Il revient à l’honneur lorsque la France le découvre en tant que dernier des Poilus. Il décède en 2008, à l’âge de 110 ans.
Tous ces EVDG eurent l’occasion de côtoyer les légionnaires venus d’Algérie et du Maroc, baroudeurs accomplis tels que l’adjudant-chef Mader (1), les caporaux Arocas, Dieta et Leva (cf. la garde au drapeau ci-dessous). La confrontation fut, au début, difficile, car deux mondes différents se rencontraient. Mais les combats, les privations, les pertes, en un mot les souffrances partagées provoquèrent le rapprochement et l’amalgame, puisque les cinq régiments de marche d’origine fusionnèrent en un seul, le régiment de Marche de la Légion étrangère, sous le commandement du lieutenant-colonel Duriez, mort au combat, puis du lieutenant-colonel Rollet. Leurs faits d’armes feront du régiment celui le plus décoré de l’Armée française en 1918.
Le Garde au drapeau du RMLE en 1918 avec le lieutenant-colonel Rollet est composée d’un sous-officier et de trois légionnaires, porteurs de la Légion d’honneur
D’ailleurs, mieux que Blaise Cendrars sait évoquer dans La main coupée ce qu’il leur doit : « Être. Être un homme. Et découvrir la solitude. Voilà ce que je dois à la Légion et aux vieux lascars d’Afrique, soldats, sous-offs, officiers, qui vinrent nous encadrer et se mêler à nous en camarades, des desperados, les survivants de Dieu sait quelles épopées coloniales, mais qui étaient des hommes, tous. »
C’est un grand honneur de constater que notre Pays a été capable de susciter, pour les valeurs qu’il représente, des enthousiasmes désintéressés.
Porter à connaissance la « Geste » d’étrangers devenus « fils de France », non par le sang reçu mais « par le sang versé » doit être pour chacun d’entre nous un impératif en signe de reconnaissance. Il importe de faire en sorte que ce rayonnement perdure pour que des étrangers puissent encore, par leur engagement, venir servir la France lorsque leur Patrie d’adoption est en danger !
(1): D’origine allemande, il est naturalisé français en 1911. Les légionnaires allemands et autrichiens qui restèrent en Algérie et au Maroc contribuèrent à maintenir la présence française malgré une intense propagande allemande les invitant à déserter.
Vert et Rouge Info:
Préparation du bulletin: lieutenant-colonel (RC) Bérengère Nail.