Nous allons explorer dans cette série d’articles les grades, les emplois, les dignités, en regardant leurs origines d’un point de vue de la linguistique mais aussi du côté institutionnel ou fonctionnel. Nous progresserons ainsi dans l’ordre en partant du soldat de seconde classe pour terminer avec la dignité de maréchal. En effet au travers de ces explorations sémantiques c’est souvent l’essence même de la fonction et de l’attitude attendue de la part du porteur d’un grade qui apparaît.
Commençons donc par le grade de soldat.
Au moyen-âge et plus tard, le soldat tel que nous l’entendons aujourd’hui a pris bien des dénominations que l’on retrouve dans les écrits historiques, dictionnaires antiques et autres.
Je vous livre ci-dessous la liste de ces dénominations dont la quasi-totalité est tombée dans l’oubli : COMMILITON, ou COMPAGNON ou ESCHIES (pour le soldat d’infanterie), ESTIVES synonyme de BOTTES (pour le soldat de cavalerie) , ou GAGIER, ou GELDE, ou MAHEUTRE , ou NARQUOIS, ou SAUDOYER, ou SONÉER, ou SODOYER, ou SOILDAR, ou SOLDARIER, ou SOLDIER (resté dans la langue anglaise), ou SOLDOYER, ou SOLDURIER, ou SOLDURIEUR, ou SOUDARD , ou SOUDART, ou SOUDENIER, ou SOUDIER, ou SOUDOHIER, ou SOUDOIER, ou SOUDOYER, ou SOUDOYOUR, ou SOUDRILLE, ou SOUDUIANT, ou SOULDAIER, ou SOULDARD, SOULDOIER, ou SOULDOYARD, ou enfin SOULDOYER.
Reconstitution des uniformes de la légion romaine portant la lorica segmentata
Cette variété de synonymes et d'orthographe chez les divers écrivains rend moins surprenant les divergences de vues des étymologistes quant à la racine du mot Soldat. Là encore une multitude pistes ont été explorées :
Il dériverait, suivant Cujas, de l'allemand sold; il est provenu, suivant Borel. (Pierre), du latin sodalis (compagnon) ; suivant Nicot, de soldurus ; suivant Potier et d’autres du bas latin solidatus (qui touche une solde).
D'autres prétendent qu'il est une abréviation des périphrases latines qui solidum accipit, ob solidum accipiendo, ce qui veut dire : stipendiaire[1] percevant un sou ou un sol. Cette explication est étayée par le fait que les recruteurs qui pourvoyaient aux besoins en hommes des armées princières, s'appelaient solidatores, soit des distributeurs de sous.
Au fil des siècles la résolution de cette énigme prend diverses teintes
Le mot soldurius, qu'on retrouve dans César (51 av. J.-C.), exprimait un genre de clients gaulois, et se serait changé en solidarius, qui signifie homme soldé. Le mot solidarius était utilisé dès l'an 1030[2], mais l'usage en était peu commun, même si on la retrouve encore dans des écrits du douzième siècle. Hallam suppose que ce sont les abbés des dixième et onzième siècles, grands propriétaires et seigneurs peu disposés à défendre en personne leur domaine, qui, les premiers, auront fait emploi de solidarii, ou d'hommes souldoyers (vers 1180, dans les chroniques[3] il est fait mention d’une sorte de milice – les souldoyers). Ce dernier mot, pris comme adjectif, se serait ensuite changé en substantif et abrégé en souldards.
Des historiens anciens comme M. Sicard un officier d’état-major qui a écrit de très nombreux ouvrages documentaires sur la chose militaire, considère ces souldoyers comme la plus ancienne troupe soldée. Ce n’est pas anodin car cela marque le début d’une armée comme nous l’entendons c’est-à-dire à la charge de l’état.
Auparavant, on soldait, soit en argent, soit en parts de butin, bien des troupes du genre des ribauds, des aventuriers, des brigancii, des latrons, des brigants, des menadiers, des routiers, ou encore des sergents. Ces souldoyers de Philippe Auguste, dépendant de la couronne seule, et sont donc bien différents par là des troupes communales et féodales qui se composaient de gens sans aveu[4], levés sans un véritable choix dans toutes les contrées.
Rappelons que c’est à l’initiative de Charles V (règne de 1364 à 1380), que les règlements militaires structurèrent mieux l’encadrement des troupes. L’ordonnance de 1373, qui institua des capitaines inamovibles et que l’on appela des capitaines ordonnés, est due à ses conseils. Ces officiers, à la solde du roi, formèrent le noyau des premières troupes permanentes et servirent à détruire le brigandage organisé. L’armée se trouva divisée en troupes royales permanentes et en milices temporaires non soldées.
Brantome est un des plus anciens auteurs qui se soit servi du terme actuel de soldat. Il le disait comme provenant de l’espagnol soldados. D’autres écrits, trouve au contraire son origine de l'italien soldato, et il parait indubitable que la langue française l’a emprunté à l’Italie pendant l'expédition de Charles huit. Peut-être les italiens le devaient-ils aux condottieri, et dans ce cas il aurait pu venir de l'allemand sold.
Dans tous les cas, la langue française qui l'a reçu de l'une ou de l'autre.
Au Moyen Âge, les soldats servaient dans l’ost qui désignait une armée en campagne mais aussi le service militaire que les vassaux devaient à leur suzerain. Dès le haut Moyen Âge, le service d'ost s'imposait à tous les hommes libres, vassaux, vavasseurs[5], jusqu'à une partie des villains, nom à l’époque attribué aux roturiers qui étaient des paysans libres.
Durant le siècle ou régna Louis quatorze, un cavalier, un dragon, ne se considéraient pas comme soldats, et les ordonnances militaires faisaient mention de cette différence. C’était un héritage des temps plus anciens, où les hommes à cheval de l'armée française s'étaient de tout temps attribuée vis-à-vis des hommes de pied une considération supérieure.
Le général Bardin dans son immense dictionnaire détaille encore plus avant ces aspects sémantiques où il est parfois assez facile de se perdre tant ils sont complexes. Tout comme aujourd’hui, le nom de ces soldats différait dans les appellations communément usitées, en fonction des armes servies, du temps, des pays et autres caractéristiques.
Ils ont été ainsi connus comme : albanais, acontiste, allaquais, arbalétriers, archers, …[6] écheleurs, éclaireurs, écuyers d'armes, escopétiers, …, francs archers, …, gendarmes, génetaires, glaives, grenadiers, hallebardiers, …, légionnaires, maîtres (synonyme de cavaliers), mamelouks, …, vélites, volontaires, voltigeurs, vougiers, zouaves.
Voulgier et crenequinier en 1400 © Alamy
Au VIIe siècle, le mot soldat avait perdu beaucoup de sa superbe, aussi le nom de famille du soldat se cachait-il sous un nom de guerre. Dire d'un fils de bonne famille qu'il avait été soldat, ce n'était pas faire son éloge. La mauvaise réputation des Gardes françaises sous Louis quinze, poussa les bataillons de volontaires à ne pas se considérer comme soldats, ils s'étaient techniquement appelés défenseurs de la patrie. Il en fut ainsi jusqu'à l'an quatre de la république (1795-1796).
Les célèbres proclamations de Bonaparte rendirent aux hommes de troupe leur nom du seizième siècle, et pour ainsi dire redorèrent son blason.
Il a pris alors deux significations qu'il ne faut pas confondre : celle du militaire, quel que soit son grade, à qui l'État confie des armes ; celle du militaire sans grade.
On a appelé semble-t-il pour les honorer, depuis la création de la garde consulaire en 1799, vieux soldats, les hommes éprouvés et propres encore à faire la guerre, ce qui donne un sens tout autre que mortes payes, invalides, vétérans.
Le Spectateur militaire[7] de son côté, prétend que Bonaparte préférait les soldats jeunes, comme plus susceptibles d’une farouche volonté au combat. On sait cependant avec quels soins il composait de vieux soldats sa garde. Une rudesse habituelle, un orgueil issu des combats passés, ont fait donner amicalement aux vieux soldats de Bonaparte, et par Bonaparte lui-même, le titre de grognards.
Grognard de Bonaparte © lestafette.unblog.fr
Le soldat trouvera ainsi donc sa place au gré des volontés institutionnelles de le faire instruire ou non. Dans le langage commun ce terme devient de moins en moins péjoratif et les très nombreux exploits accomplis par de simple soldats l’honorent tout comme de très grands personnages qui ont commencé leur carrière comme simple soldat.
Au fil des siècles il évolue et est à ce jour le maillon originel de la structure militaire car en définitive on aura toujours besoin de lui.
Comme vous avez pu le constater au travers de ces lignes il n’y a pas de date ou se grade a été créé car il a toujours existé, depuis l’antiquité à nos jours et seule sa forme en a changé.
Le soldat de 1ère classe
Il ne s’agit pas d’un grade mais d’une distinction acquise après avoir démontré de bons services en tant que soldat.
Légionnaire et son prisonnier – 1916 @ Bnf
Major (er) Jean-Michel Houssin. chargé de l'Histoire auprès de la FSALE.
Sources :
https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/
Dictionnaire de l’armée de Terre par le général Bardin