La magie des expressions orales au sein de la Légion étrangère.
La langue française est une symphonie de mots, une mélodie fluide et harmonieuse qui séduit les oreilles et captive les cœurs. Au-delà de sa grammaire rigoureuse, parfois rebutante, tant elle nécessite un effort d’appropriation quotidien pour garder une certaine maîtrise de ses élégantes constructions, ce qui distingue véritablement le français, c'est la richesse de ses expressions orales. Ces joyaux linguistiques apportent couleur, émotion et profondeur à notre quotidien. Transformant les conversations en œuvres d'art vivantes, pour peu que l’on veuille s’en donner la peine. Ce qui de nos jours a malheureusement tendance à n’être, sans doute, qu’un vœu pieux…
Le Légionnaire, quelle que soit son époque, quel que soit son grade, ses origines, son bagage intellectuel, a participé d’une certaine manière à ces apports hauts en couleur, émotionnellement forts et profonds dans leur signification ou par leur maîtrise du français. Nous avons tous en tête, telle ou telle expression, maintes fois entendue, employée à moult occasions, vociférée parfois par nécessité. À tel point, qu’ils soient parachutistes, cavaliers, sapeurs ou fantassins, qu’elles semblaient être, dans l’esprit de tous, issues de quelques manuels militaires communs, aussi anciens qu’inconnus. Et ils sont nombreux, les jeunes lieutenants fraîchement affectés au sein d’une unité de Légion, à avoir souffert de ne pas connaître, assez rapidement, ces vocables spécifiques aux Képis blancs.
Les expressions orales utilisées par les Légionnaires sont souvent poétiques, reflétant, ici ou là, une profondeur culturelle et historique. La locution "avoir le cafard " pour exprimer la tristesse du Légionnaire, démontrent, avec simplicité et efficacité, une capacité unique à capturer des états d'âme complexes dans des images vivantes. Et cette métaphore est assez forte pour qu’aujourd’hui encore, le bourgeois ait toujours aussi peur du « cafard du Légionnaire ». Même si la poésie du Légionnaire au quotidien est souvent plus terre à terre, plus brutale, car elle trouve son origine, sa force, son essence sur le théâtre même des opérations ou le plus souvent à l’entraînement. Ainsi, le très célèbre : « Sortez-vous les doigts du cul… », bien qu’il ne soit pas sûr que la Légion étrangère puisse en défendre la paternité, est un modèle du genre… C’est net, précis, indubitablement poétique et lorsque l’engagé volontaire en a compris l’esprit, il n’est plus jamais nécessaire d’en faire la traduction dans l’une des dizaines de langues ou dialectes parlés par ces volontaires à l’engagement.
Chaque expression porte en elle un fragment d'histoire, un écho du passé qui résonne dans le présent. "C'est la fin des haricots", par exemple, nous ramène à une époque où les haricots, en tant qu'aliment de base, représentaient la dernière ressource disponible avant la famine. Utiliser de telles expressions, c'est donc se connecter avec le patrimoine collectif, partager des références communes et renforcer les liens sociaux à travers une compréhension mutuelle du langage. Mais le Légionnaire étant avant tout un Titre étranger, il a toujours eu à cœur, consciemment ou non, d’apporter à ce patrimoine culturel, ses propres références et ses origines. Ainsi, le non moins connu : « Davaï ! Rapido ! Plus vite que schnell ! », en est un très bon exemple. Je ne pense pas trop m’aventurer, en déclarant qu’il n’existe sans doute aucun Légionnaire, qui n’ait été, peu ou prou, accueilli autrement, au cul du camion, à son arrivée à l’instruction à Castelnaudary et ce du RILE au 4ème R.E. que nous connaissons de nos jours…
La diversité des expressions orales varie également selon sa région d’origine, chaque coin de France ayant ses propres trésors linguistiques. Que ce soient les "chocolatines" du sud-ouest ou les "galettes saucisses" de Bretagne, chaque région apporte sa touche locale, enrichissant ainsi le français d'une mosaïque de variations dialectales. Cette diversité renforce l'unité nationale tout en célébrant la richesse de chaque identité régionale. Il en est de même au sein de la Légion étrangère, sauf que le Légionnaire puise cette diversité dans tous les coins du monde. Passant de l’indispensable « Fuck off » pour l’Anglophone, au subtil « kurva » pour les Slaves ou encore aux chaleureux « cabrón » pour les Lusophones. Chez les Arabisants, on redoute le « gourbi », on aime la « chicaya » et on craint le très commun « cabot ». Expressions qui trouvent leur source dans les campagnes algériennes ou les tranchées de la Première Guerre mondiale. Il n’y a que les Asiatiques et en particulier les Japonais, sans doute plus sensible intellectuellement, qui préfèrent garder pour eux, leurs trésors linguistiques…
La maîtrise des expressions orales est souvent perçue comme un signe d'intégration. Les Légionnaires qui savent jongler avec ces expressions montrent non seulement leur habileté linguistique, mais aussi un moyen puissant d'affirmer leur identité, de montrer leur compréhension des nuances et d'établir une connexion plus intime et authentique avec les autres. Les Anciens du REP, identifieront immédiatement, cet Adjudant-chef, amoureux fou du ballon rond, qui lors des challenges de Noël, de la Saint Michel ou de Camerone, perdait sa zen attitude et sa sérénité asiatique habituelle, pour devenir un fanatique hystérique hurlant à s’en décrocher les poumons, son célèbre « Attaque ballon ! C’est pas ton frère ! ». Slogan qui finalement, devint vite son surnom au sein du régiment : « Attaque Ballon ». Saluons ici, l’efficacité de cette locution sportive. Encore une fois, c’est net, précis et immédiatement compréhensible, même pour les footballeurs occasionnels les moins équipés intellectuellement…
Les us et coutumes au sein de la Légion étrangère, l’esprit Légionnaire en particulier, plus que le règlement, interdisent toutes formes d’insultes. Mais le Légionnaire a toujours eu d’exceptionnelles capacités à s’adapter, c’est sa plus grande qualité, même si pour le Commandement, cette caractéristique est à double tranchant… Les Légionnaires aiment jouer avec les mots, créer de nouvelles expressions ou détourner celles existantes pour des effets humoristiques, pour personnaliser leur style ou encore forcer leur nature devant les autres. Cette flexibilité linguistique stimule l'imagination et rend les dialogues au sein des groupes, des sections, des unités de combat plus vivants et percutants. Ainsi les « c… de loup », les « trouducs », les « tafioles » et autres amabilités prononcées pour marquer un fort mécontentement de circonstance du caporal d’encadrement ou du jeune sergent, ne sont jamais prises pour des insultes, ni pour un manque de respect envers le malheureux bénéficiaire de ces pédagogiques colères. Le pittoresque « tronche d’âne » ou l’universelle « courte botte » offrent une échappatoire humoristique à celui qui commande et qui n’a pas encore tous les noms de ses Légionnaires en tête, mais qui ne veut surtout pas être pris en défaut. L’irremplaçable « plein les c… » reste évidemment de rigueur au sein de toutes nos Armées, lorsque le sort s’acharne, quel que soit son grade. Par contre, le « casse pas les c… » tout aussi répandu chez les militaires français, est réservé, à la Légion étrangère en tout cas, aux gradés. Qu’il soit jeune caporal, sous-officier aguerri, voire officier ancien…
Le cérémonial traditionnel en vigueur depuis des lustres au sein de la Légion étrangère, riche en symboles et significations, en est un autre exemple particulièrement significatif. Quel invité VIP ou jeune épouse, participant pour la première fois à une cérémonie Légion, n’a pas sursauté, lorsque le Popotier lance à la cantonade un tonitruant : « Vos gueules là-dedans ! » ? Ou surpris, se sont cabrés, sur ce pittoresque et inattendu bramement : « … Encore un giron d’enculé, sous la guitoune de l’Aumônier. »…
La magie des expressions orales qu’utilisent les Légionnaires réside dans leur capacité à transformer, souvent de manière inconsciente, le quotidien en poésie, à relier le présent au passé, à célébrer la diversité tout en forgeant, ou plus précisément en renforçant, une identité commune. En enrichissant ce langage commun au sein de la Légion étrangère, les Légionnaires expriment des nuances et des sentiments avec une précision, une subtilité et une certaine forme de beauté, sans égale au sein de nos Armées. Chaque conversation, chaque occasion, chaque rassemblement, devient ainsi une occasion de découvrir ou de redécouvrir la richesse de ce patrimoine linguistique propre à « Légio Patria Nostra » qui n’existe que par les trésors d’adaptation, d’implication ou d’imagination que porte en lui Monsieur Légionnaire.
JMD