2 juin 1837 : l’armée de la Reine régente Marie-Christine, sous les ordres du général Marcellino Oraa, lance son offensive et serpente au milieu de l’aridité aragonaise, partout accidentée, lorsque, aux environs de Barbastro, elle subit une contre-offensive : plusieurs milliers de Carlistes se jettent sur son flanc droit. La tête de ces colonnes débouchent soudain d’un bois d’oliviers ; deux escadrons de réguliers galopent au-devant de l’ennemi, soulevant la poussière, et presque aussitôt ils se disloquent et se défont sous le feu. Les fantassins, déployés en arrière, ne peuvent pas soutenir le premier choc des Carlistes de Charles de Bourbon. Ceux-ci se trouvent alors en face d’une formation placée sous les ordres du colonel Conrad et comprenant le bataillon de Légion, plus le 2e Régiment de la Garde. En quelques minutes, le reste de l’armée s’étant replié à droite et à gauche, ce petit contingent est isolé. L’assaut des Carlistes est livré par leur bataillon de mercenaires allemands et suisses sous les ordres du baron Wilhem von Radhem.

  • Les deux Légions sont face à face, engagées dans un combat si serré que les hommes se reconnaissent d’un camp à l’autre, s’interpellent par leur nom. Naguère ils ont partagé leur pain ou couché côte à côte, mais ce souvenir n’ôte rien à leur fureur ; il semble au contraire la décupler. Ces hommes haletants échangent de furieuses injures en se prenant à la gorge, en se crevant mutuellement les entrailles à coups de baïonnettes.

  • Des Carlistes débouchent sans cesse du petit bois. Le régiment de la Garde lâche pied ; la Légion perd du terrain. Un cheval blanc traverse les rangs au galop et dépasse la première ligne des légionnaires tirailleurs. C’est le vieux Fritz qui a piqué sa casquette à la pointe de son sabre et crie ‘’En avant’’. Le bras levé s’abaisse, le corps glisse du cheval.

  • Bazaine, le fidèle aide de camp, prend aussitôt sur lui de cacher la mort du général : ‘’Dites que le général blessé est allé se faire panser’’. Bazaine galope vers l’arrière avec ce grand cadavre en travers de son cheval. Une voiture passe sur la route de Berbegal ; il y fait placer le corps et revient vers la bataille.

  • La bataille est perdue. Un bataillon espagnol rameuté esquisse une contre-attaque dans le bois des oliviers mais la riposte le bouscule. Dans le crépuscule interminable, les deux Légions poursuivent leur extermination fratricide.

  • A la nuit tombée, la retraite ordonnée, des survivants de la Légion Etrangère française cédée à l’Espagne font encore le coup de feu pour couvrir leurs camarades qui relèvent les blessés et les morts.

  • Au combat de Barbastro, le général Conrad, dernier chef de la Légion, est tué. Outre son chef de corps, la Légion perd 27 officiers et 400 soldats dans ce dernier combat. Au bout de trois ans de lutte, la Légion ne compte plus que 20 officiers et 500 hommes.

  • Pendant ces trois ans, la Légion a constitué l’avant-garde dans les engagements, l’arrière garde dans les retraites, la colonne de flanc dans les marches. Elle a sauvé plusieurs fois l’armée constitutionnelle. Dans cette rude guerre, la Légion a montré courage et discipline, résignation et fermeté.

  • Après cette bataille meurtrière, la Légion, réduite à un seul bataillon, entre en agonie.

Juin 1937 : en Espagne, après dix-huit mois d’abandon, de misère et de faim, les autorités espagnoles donnent l’ordre de retirer du front les débris de la Légion et de les envoyer à Pampelune ; les deux bataillons restant ne représentent plus que deux grosses compagnies ; les autorités les envoient crever au diable pour qu’on ne voie rien, qu’on n’entende pas les gémissements. Pampelune est en pleine insurrection, avec un gouvernement ennemi à la fois de la reine et des Carlistes. Ni vivres ni solde pour la Légion. Les insurgés et toute la population regardent de travers ces misérables en guenilles d’uniforme, tannés par le soleil et par la neige, maigres comme des coucous. Dieu seul sait de quoi ils peuvent vivre. La faim et le froid fauchent les survivants des balles carlistes mais on voit encore de ces spectres farouches errer dans Pampelune. La Légion n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle reste dans une situation très délicate, sans vivres, sans ressources au milieu d’ennemis. Mais la Légion fantôme demeure propriété de la Reine, qui seule peut lui rendre la liberté.

 

Jean BALAZUC P.P.P.

 

 

 

Sources principales :

La Charte de la F.N.A.M. 2001 – N°6

La Légion Grandeur et Servitude – Historama – N° spécial novembre 1967.

La Légion Etrangère – Voyage à l’intérieur d’un corps d’élite de John Robert Young et Erwan Bergot – Editions Robert Laffont – 1984.

Histoire de la Légion Etrangère 1831-1981 de Georges Blond – Plon 1981

 

 

Bazaine Achille, né à Versailles en 1811 ; candidat malheureux à Polytechnique, il s’engage le 28.03.1831 au 37e de Ligne ; quelques mois plus tard, il passe à la Légion en qualité de fourrier ; deux ans plus tard, il est sous-lieutenant ; par ses mérites et son courage, il est promu lieutenant en 1835 ; Chevalier de la Légion d’Honneur après les durs combats de la Macta ; avec la Légion, en Espagne ; aide de camp du colonel Conrad en juin 1837 ; officier dans un bureau arabe en Algérie ; commandant, à l’état-major du général Louis Lamoricière en décembre 1847, lors de la reddition de l’émir Abd el-Kader ; il participe à la guerre de Crimée en 1855 ; chef de corps du 1er Régiment de la Légion étrangère de 1851 à 1854 ; en Crimée en 1854-1855 ; il y est nommé général, commandant la brigade étrangère ; il commande en chef au Mexique en 1863 ; Maréchal de France en 1864 ; il commande en chef en Lorraine en 1870 ; bloqué dans Metz, il capitule devant les Prussiens ; sa gloire est à jamais ternie, condamné à mort en 1873, sa condamnation est commuée en détention ; il s’évade et gagne Madrid ; mort à Madrid en 1888.

 

Charles de Bourbon, don Carlos, comte de Molina, (1788-1855), frère du Roi d’Espagne Ferdinand VII, infant d’Espagne jusqu’à la naissance de sa nièce Isabelle en 1830 ; à la mort de son frère le 28.09.1833 ; il refuse la succession qui proclame Reine sa nièce Isabelle II, âgée de trois ans, et demande l’application de la loi salique. Il est le chef de file des Carlistes pendant la guerre de 1833 à 1839.

 

Conrad Joseph dit le Vieux Fritz, né le 08.12.1788 à Strasbourg ; engagé en 1806 ; brillant élève de l’Ecole spéciale impériale militaire ; sous-officier puis lieutenant de la Grande Armée ; il participe aux campagnes d’Allemagne et d’Espagne ; blessé trois fois pendant les batailles du Premier Empire ; décoré de la Légion d’Honneur ; lieutenant-colonel, il commande les deux bataillons de la Légion lors des combats de La Macta, fin juin 1835 ; polyglotte, il peut s’adresser aux légionnaires allemands, italiens et polonais dans leur langue ; colonel, dernier chef de la Vieille Légion Etrangère en 1836 avec le grade de maréchal de camp ; au combat, il privilégie la charge frontale qui impressionne l’ennemi et emporte la décision ; son courage est hors du commun, son prestige immense ; les Carlistes l’appellent ‘’le Brave au cheval blanc’’ ; il est tué au combat face aux Carlistes le 02.06.1837 à Berbejual lors de la bataille de Barbastro, en Espagne. Sa mort est cruellement ressentie.

 

Isabelle II, née le 10.10.1830 ; reine d’Espagne de 1833 à 1868 ; elle devient effectivement Reine en 1846 ; décédée en exil à Paris le 09.04.1904.

 

 

Marie-Christine de Bourbon, princesse royale des Deux Siciles, quatrième épouse de son oncle, le Roi d’Espagne Ferdinand VII, en 1829 ; elle lui donne deux filles, Isabelle le 10.10.1830 et Louise-Ferdinande en 1832 ; dès 1830, le Roi abolit la loi salique ; à la mort du Roi le 25.09.1833, elle se proclame régente, sa fille Isabelle II n’ayant que trois ans. Régente d’Espagne de 1833 à 1840. Trois mois après le décès du Roi, elle épouse secrètement un roturier, sergent de la Garde Royale, Agustin Fernando Munoz y Sänchez, avec qui elle a sept enfants. Décédée en exil en 1878.

 

Oraa Marcelino, basque espagnol, né en 1788 à Beriàin en Navarre ; maréchal de camp de l’armée de la Reine en 1836-1837 ; Gouverneur Général des Philippines en 1841-1843 ; sénateur ; décédé à Beriàin en 1851..