Eloge funèbre du général d’armée (CR) Jean-Claude COULLON
Cour d’honneur des Invalides / 3 décembre 2024:
"Mon général,
Rendre hommage à un chef militaire d’exception tel que vous est un immense honneur.
Vous, officier clairvoyant et visionnaire, chef courageux et lucide au combat, profondément attaché à ses hommes.
Vous, serviteur fidèle de notre pays et de votre prochain.
Vous, époux, père, grand-père et arrière-grand-père aimant et attentionné.
Vous, tout simplement guidé chaque jour par le sens du service, la recherche de l’idéal, et l’attention portée à tous. Ces valeurs ont quotidiennement façonné votre vie sur terre pour en faire un acte de foi ferme, en la France, en son armée de terre en général, et à la Légion étrangère en particulier.
Dès le plus jeune âge, les huit années passées dans les écoles d’enfants de troupe de Billom, Autun et au Prytanée militaire de La Flèche vous inculquent la rigueur, l’amour de la France, et un sens aigu de la camaraderie. Vous entrez dans la carrière militaire, sans ambition ni calcul d’intérêt, mais prêt à tout donner pour notre pays. Saint-Cyrien de la Promotion Extrême-Orient 1950-1952, vous choisissez l’arme de l’infanterie, et après votre formation de chef de section à Montpellier, vous rejoignez le 20ème Bataillon de chasseurs portés en Allemagne en octobre 1953. Sans tarder, vous vous portez volontaire pour servir la Légion étrangère qui combat en Indochine. Vous êtes retenu pour la relève des chefs de section tués au combat, mais quand vous rejoignez l’Indochine à la fin de l’été 1954 le corps expéditionnaire français y panse ses plaies et prépare son repli. Vous êtes alors affecté au 5ème puis au 9ème régiment de tirailleurs marocains avec lequel vous serez rapatrié sur l’Afrique du Nord un an plus tard à l’automne 1955. Mis à la disposition de l’état-major de Constantine dès 1956, vous rejoignez le 1er avril 1958 le 2ème régiment étranger d’infanterie, que vous servirez jusqu’en avril 1961, et au sein duquel vous ferez montre de vos belles qualités de chef et de soldat, en commandant au feu les légionnaires qui vous comprennent, vous reconnaissent, vous suivent et vous adoptent, car vous les conduisez à la victoire. 4 citations, dont deux à l’ordre de l’armée, vont orner votre croix de la valeur
militaire en Algérie :
- En août 1958 dans le sous-secteur de Géryville, pour la mise hors de combat d’un groupe rebelle après avoir sauté avec votre véhicule sur une mine ;
- D’avril à juin 1959 dans le secteur d’Aïn Sefra, , en neutralisant plusieurs bandes rebelles et en sauvant une unité amie clouée au sol ;
- En avril 1960 à Beni Dir, puis en octobre 1960 dans le djebel Mefeg El Abiod lors d’une opération héliportée au plus près d’un ennemi fortement retranché dans les rochers ;
- En février 1961dans le djebel Ben Saied, en réduisant tout un bataillon rebelle qui avait accroché votre compagnie.
Les termes élogieux qui parcourent les textes de vos citations parlent d’eux-mêmes : "Jeune officier de Légion ardent et courageux. Commandant de compagnie de grande classe. Entraineur d’hommes, alliant un sens profond et réfléchi de la manœuvre à des qualités exceptionnelles de calme, d’audace et d’agressivité". Vous êtes alors nommé au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour votre attitude au feu.
En avril 1961, vous retrouvez le Prytanée militaire de la Flèche, où pendant 4 années, vous témoignez de vos qualités intellectuelles, morales et militaires auprès des jeunes élèves. Beaucoup voient leur vocation militaire naître à votre contact. Certains d’entre eux ont d’ailleurs tenu à être présents aujourd’hui, dans cette Cour d’honneur des Invalides, pour vous témoigner de leur reconnaissance et de leur affection. Après quatre années passées à l’état-major du commandement en chef des forces françaises en Allemagne, vous retrouvez la Légion étrangère à l’été 1969 à Corte en qualité de commandant en second du groupement d’instruction de la Légion étrangère. Votre esprit fin, votre jugement sûr, votre souci du facteur humain et votre connaissance du légionnaire tant au combat que lors de ses premiers pas vous conduisent à prendre la tête du bureau personnel de la Légion étrangère à Aubagne en 1971, bureau que vous réorganisez en personnalisant le suivi administratif des légionnaires, grâce à votre contact direct et facile.
Après trois années de chef de la section « officiers » du bureau infanterie de la direction du personnel militaire de l’armée de terre, vous recevez à Djibouti à l’été 1976 le commandement de la 13ème demi-brigade de Légion étrangère. Dans cette période très tendue d’accès à l’indépendance du territoire français des Afars et des Issas, vous savez maintenir la Phalange magnifique dans l’estime de l’ensemble de la population et des dirigeants locaux, et obtenez dans votre commandement des résultats élogieux dans tous les domaines.
Professeur à l’Ecole de guerre, puis auditeur au Centre des hautes études militaires et à l’Institut des hautes études de défense nationale, vous êtes nommé en juin 1981 adjoint au chef du cabinet militaire du ministre de la défense.
Chargé par le gouvernement de préparer avec l’ambassadeur de France au Liban la participation française à la force multinationale, vous réussissez avec brio cette mission difficile en août 1982, dans Beyrouth en guerre. Votre courage, votre sens de la diplomatie, votre détermination, vos capacités d’organisateur ont permis de mener à bien ces négociations délicates, et de réussir le déploiement du détachement français. Votre action sera reconnue par l’attribution d’une nouvelle palme sur votre croix de la valeur militaire.
Nommé général au retour du Liban, vous recevez le 1er octobre 1982 le commandement du Groupement de légion étrangère et de la 31ème brigade. A la tête de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth de juin à septembre 1983, vous êtes à nouveau cité à l’ordre de l’armée, pour votre force de caractère, votre courage personnel, votre sérénité et votre hauteur de vue exemplaires, qui permettent de maintenir à un niveau élevé le moral et la cohésion du contingent français harcelé par le feu des factions, et de transmettre aux autorités politiques une appréciation juste et fiable de la situation. Cette nouvelle expérience du feu alliée à une appréciation juste de l’état du monde et une profonde connaissance des attentes de la politique de notre pays vont vous inciter naturellement à confirmer votre acte de foi en la France par des actions fortes qui scellent pour de nombreuses années encore la Légion étrangère d’aujourd’hui. Vous voulez faire de la Légion l'outil de combat le plus solide et le plus moderne de l'armée de terre, avec pour fil directeur la volonté de voir former le légionnaire comme un compagnon d’armes et non comme un matricule, fort au physique comme au moral, et comme un soldat indiscutable au plan de la compétence et de l’éthique. Ces actes de foi parlent d’eux-mêmes :
- la création, le 1er juillet 1984 du Commandement de la Légion étrangère, qui vous donne une autorité formelle sur l’ensemble de la Légion. Vous faites d’Aubagne le centre d’autorité non seulement moral mais aussi organique de la Légion ;
- la création le même jour du 6ème régiment étranger de génie qui maintenant la tradition des légionnaires bâtisseurs de la Légion, y apporte le génie d’assaut ;
- la transformation du 5ème régiment mixte du Pacifique en 5ème Régiment étranger pour lui redonner ses racines légionnaires ;
- l’attribution de l’étendard du 2ème régiment étranger de cavalerie au détachement de légion étrangère de Mayotte ;
- l’établissement d’une règle de conduite légionnaire que vous baptisez “code d’honneur du légionnaire”, pour, disiez-vous, « lutter contre la dégradation lente mais continue du sens moral de nos jeunes engagés dont une partie constituait, il faut bien le dire, le sous-produit d’une civilisation urbaine manquant de plus en plus de repères moraux » ;
- la création du poste de président des sous-officiers de la Légion étrangère. Vous disiez : « à la Légion, le corps des sous-officiers est une institution, un ordre même ». Vous aimiez reprendre l’expression du général Brothier : « les sous-officiers sont l’ossature, les courroies de transmission, les embrayages, les accélérateurs et les freins de la mécanique Légion. » Vous choisirez pour cette fonction deux Maréchaux de la Légion, les majors Krepper et Roos que vous aviez connus à la 13ème Demi-brigade de Légion étrangère.
Nommé directeur du personnel de l’armée de terre en 1985, vous êtes le chef rayonnant et l’homme de contact qui sait concilier les intérêts des individus et ceux de l’institution, en proposant des solutions d’avenir dans une période difficile et de contraintes pour l’armée de terre.
Elevé aux rang et appellation de général d’armée et nommé inspecteur général de l’armée de terre en janvier 1989, vous vous montrez un grand serviteur de l’Etat et un conseiller apprécié et écouté du ministre de la défense, en particulier lors de l’élaboration du plan « armées 2000 ». En septembre, vous êtes élevé à la dignité de Grand-officier de la Légion d’honneur.
Admis dans la 2ème section des officiers généraux le 8 décembre 1990, vous ne posez pas le sac, et repartez pour un nouvel acte de foi en la Légion étrangère. A la suite du général Compagnon, vous prenez en 1991 la responsabilité de la Présidence de la Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère, et pendant dix années, vous témoignez aux anciens légionnaires de votre sens du service et de votre attachement à tous. Avec monsieur. Pierre Messmer, président d’honneur de la FSALE, et le sénateur Picheral, vous vous battez pour la proposition de loi « Légionnaire, Français par le sang versé », malgré les vents contraires du ministère de la justice, et vous obtenez gain de cause. En 2005, vous êtes élevé à la dignité de Grand-croix de l’ordre national du mérite.
La Légion, qui connait les siens, ne s'est pas trompée en faisant de vous le Porteur de la main du Capitaine Danjou lors des cérémonies de Camerone en 2007. « Les vieux soldats ne meurent pas, ils s'effacent dans le lointain !" Vous avez fait vôtre cette maxime du général Mac Arthur, sachant avec sagesse rester parmi nous tous dans la discrétion, et gardant au fond de vous l’acte de foi en notre pays et en la Légion étrangère qui ne vous a jamais quitté. Aujourd’hui, c’est une section de la "Phalange magnifique" qui vient à vous, pour votre adieu, pour vous rendre les honneurs.
Mon général, vous fûtes ce chef d'exception unanimement apprécié des légionnaires que vous avez commandés avec droiture et justice. Vous serez pour les générations futures un magnifique exemple de courage et de clairvoyance, de volonté et de ténacité, et pour la Légion étrangère un Père Légion d’exception.
Au nom de tous les anciens, en présence de votre famille que je salue et de tous vos proches ici réunis, en ma qualité de président de la Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère, permettez-moi, avec le général commandant la Légion étrangère, de vous dire un immense merci et un chaleureux adieu.
Que Saint-Antoine vous accueille parmi ceux qui nous ont quittés au hasard d’un clair matin, et dont les visages vous ont accompagné lorsque vous remontiez solennellement et avec gravité la "Voie sacrée" menant au monument aux morts de la Légion étrangère !
Soyons et demeurons dignes de vous.
Au-delà de l’adieu que nous vous adressons aujourd’hui, ce sera notre façon à nous tous de vous rendre l’hommage que vous méritez.
A Dieu mon général !
More majorum !
Général de division (2S) Jean MAURIN,
Président de la Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère