huile sur toile de madame Isabelle Maury
J’étais assis à son côté pour le déjeuner qui suivait le grande réunion annuelle de l’Assemblée Générale de la Fédération des Sociétés d’Anciens de la Légion Etrangère (FSALE) qui s’était déroulée au fort de Nogent implantation du Groupement de Recrutement de la Légion Etrangère (GRLE) qui nous accueillait.
Cet ancien m’intriguait de par son allure d’ancien baroudeur qui affichait son passé qui avait été glorieux vu le nombre impressionnant de médailles qui ornaient sa poitrine qui représentaient ‘une vraie parcelle de gloire”.
J’entrais en conversation avec une question qui me venais à l’esprit à ma grande surprise, elle correspondait inconsciemment à ma curiosité le concernant: “ Je vois que vous avez fait l’Indochine, avez-vous aimé ce pays ?”. Il me regarda d’un regard interrogateur et la réponse cingla: “Non!”.
Surpris et décontenancé, je pensais que la conversation se terminerait là, mais à ma grande satisfaction mon interlocuteur repris la parole: “ voyez-vous, je n’aime pas l’Indochine et je n’aime pas en parler, j’ai connu beaucoup de déceptions sur cette terre lointaine. Quand je suis arrivé là-bas en 1946, comme jeune légionnaire, j’avais tout simplement besoin de poser mon sac et de changer d’air après la succession de choses que j’avais encaissé entre 1940 et 1945. En fait, la vraie raison de mon désamour était dans la découverte que ma mission là-bas, même au niveau du simple combattant, était plus politique et diplomatique que militaire. Et pourtant, cette histoire d’Indochine, celle de la colonisation avait tout pour réussir, la greffe était féconde sur cette terre d’Asie si belle, si riche et si insouciante. S’installait doucement une vie commune qui s’apparentait, par la suite, curieusement à une sorte de mariage de raison forcé, néanmoins, nous étions encore dans la séduction, il s’est passé une belle histoire entre les peuples français et vietnamiens, que je qualifie, sans me tromper, d’une belle histoire d’amour. Vous pouvez demander à mes camarades qui ont fait l’Indo, ils sont très nombreux à avoir eu le coup de foudre pour ce peuple et ce pays”.
Alors que ses compagnons d’armes s’y épanouissaient, après les restrictions de la Seconde Guerre mondiale, pourquoi mon interlocuteur ne parvenait-il pas à trouver cette sérénité de la conscience et d’assouvissement des sens, dans cette magnifique liberté d’esprit d’où étaient absentes les notions de péché et de morale qui régnaient alors ? la vérité était, peut-être, que tout simplement mon Ancien devait être d’une nature extrêmement prude. Ce “gros soldat” devait pouvoir aplatir un grenadier allemand mais fondre de timidité devant une jeune et jolie femme. J’aurais aimé qu’il me parle des bruits des animaux de la forêt lorsqu’il montait la garde dans le mirador d’un poste isolé situé à l’orée d’un village. De cette grande solitude qu’il devait ressentir avant de s’endormir à même le sol et que son imagination se mettait à divaguer, ce que les légionnaires appellent le cafard.
Qu’il me parle des fumeries d’Opium et des salles de jeux des quartiers chinois, des virées nocturnes.
Il me dit, après un temps de silence: “ J’ai tourné la page heureusement. La contribution de la Légion étrangère à la tentative de maintenir l’Indochine dans l’Empire français, se heurtait à un processus d’émancipation irréversible donc absurde et inutile, mais quand même émouvant comme le sont la plupart des causes perdues. J’ai beaucoup de mal à évoquer, sans être sous l’emprise de l’émotion, les vies fracassées de mes camarades disparus dans l’anonymat, frappés au détour d’une embuscade, fauchés par une rafale de PM, dévastés jusqu’au plus intime par les éclats de grenade reçus dans le ventre. Toute une génération de légionnaires magnifiques, intrépides, la vie est injuste et fragile. Les légionnaires aimaient tant ce pays, qu’ils en épousaient les femmes qui leur donnaient des enfants à la beauté stupéfiante… Mais je retiens surtout, que cette guerre lointaine était ignorée de la métropole. Là-bas en France, en 1946, il fallait s’amuser après 5 ans passés sous l’occupation allemande.
En fait, il régnait une extrême confusion qui entraînait les causes les plus diverses et les changements incompréhensibles pour nous des lignes stratégiques, en particulier, après la démission du général de Gaulle au début de l’année 1946 La rivalité des personnes clés de la IVème République s’affichait aussi entre le général Leclerc et l’amiral d’Argenlieu qui laissait libre champ au jeu ambigü et à l’habileté d’un Hô Chi Minh à défaire toutes les tentatives françaises de parvenir à un compromis. On sait aujourd’hui ce qu’il advint de cet épisode diplomatique, conséquence de l’effritement progressif du contenu des accords du 6 mars 1946, l’ultime tentative pour sauver la paix allait inexorablement conduire à une guerre qui débuta réellement fin 1946.
En avril 1946, le général Leclerc “jette l’éponge” estimant ne pas avoir les coudées franches. Sainteny, lorsqu’il fut de retour en 1947, n’eut de cesse de faire valoir la ligne qui consistait à traiter avec Hô Chi Minh pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Trop de choses auraient pu être éviter, c’est bien pour cela que je n’aime pas parler de l’Indochine”.
Le repas se terminait, mon Ancien me salua avec un dernier mot: “la guerre d’Indochine a été un génocide pour les soldats français. Pour finir: “demandez donc, par curiosité aux jeunes qui regardent le passé avec les yeux d’aujourd’hui ce qu’ils pensent de cette guerre d’Indochine; vous comprendrez pourquoi je n’aime pas en parler.
CM