Les anecdotes romancées, voilà une problématique qui a toujours été au centre de nos discussions de « popotes »… Elles donnent à une fiction, toutes les apparences d’un récit qui se serait réellement passé tel qu’il est raconté et consacre le triomphe d’un art qui consiste à rendre vraisemblable un témoignage ou une interview arrangée qui rend l’histoire passionnante.
Même si nous regardons trop souvent l’histoire avec nos yeux d’aujourd’hui, il n’en reste pas moins vrai qu’il est très difficile de distinguer clairement l’histoire de la fiction.
Nous ouvrons une rubrique : Les personnages célèbres qui ont fait la Légion… vaste programme que celui de faire connaître les personnages « haut en couleur » qui ont contribuer au « mythe légionnaire » à travers de quelques écrits ou interviews tels que ceux qui concernent le prince Aage de Danemark ou celui du colonel Fernand Maire ou encore le général Rollet.
Pour commencer : « Maire, le mousquetaire » par Jean-Pierre Dorian :
« Officier à la poitrine couverte de décorations, le chef de bataillon Maire avait une popularité considérable. Ce genre de « brave » à trois poils, forte tête, grand buveur, systématiquement irrespectueux à l’égard des hautes sphères du commandement, plaisait beaucoup aux légionnaires. Maire pouvait tout leur demander. »
Jean-Pierre Dorian qui fit un séjour à la Légion au temps de la pacification du Maroc, accueilli et écrit les souvenirs de ce colonel Maire, héros légendaire de la Légion.
« A mesure qu’il me racontait sa vie – avec en filigrane, les « constances » de son caractère et de son tempérament – je me suis aperçu qu’il n’échappait pas aux contradictions classiques de n’importe quel être humain. Aujourd’hui ceci, et, demain, devant le même évènement, cela.
Pourtant ce qui lui assurait une auréole hors de cette banalité, c’était quelque chose de mystérieux, d’étrange, relevant d’un certain « lyrisme physique », je veux dire une faculté innée d’entrer dans un univers dont il n’avait plus le contrôle. Entre autres singularités, il était superstitieux. A partir de là, naissait une sorte de climat poétique, au second degré. En voici un exemple :
- Je suis né, me disait-il, en 1876, mon père est né en 1836, mon fils en 1906 : je suis arrivé à Saïda un jour lointain de 1914, au 2ème régiment étranger et il était 6 heures du soir. J’ai horreur de l’intrigue, je « rouspète » tout le temps, je ne respecte que ma conscience, celle des autres, quand elle est propre. Je cède volontiers ma place excepté au feu et je porte en plein XX°siècle, des moustaches anachroniques. Comptons : cela fait six ! le chiffre 6… Je le retrouve partout dans mon existence.
A bien analyser le déroulement de ses extraordinaires aventures, il rayonnait, dans chacune d’un visage différent : rage, colère, surprise, douceur, tendresse, indulgence, lucidité, folie, dureté, sagesse. Toute la gamme.
Le légionnaire absolu :
Ce qui m’a toujours troublé chez ce grand soldat que, peut-être pour cette raison j’admirais, c’était la simultanéité de ses variations intellectuelles et de ses états d’âme, conjugués parfois dans un vocabulaire de « lettré » qu’une bourrasque de propos intempestifs, d’une étonnante liberté, envoyait tout à coup au diable.
Il portait toujours sur lui un petit crucifix en ivoire. Souvent, avant une bagarre, il fermait les yeux une seconde, et se signait. La peur – plus bleue, il faut croire, que d’habitude.
Un soir, sous une tente où, sous la pression de trois capitaines, il s’était résigné à faire le quatrième au bridge.
Au bout de la nuit, ils échangèrent tous quatre une longue, poignée de mains. Il allait se battre. Cette seule perspective suffit à réveiller sa bonne humeur. Le lendemain à 5 h35, il reçut une balle dans la cuisse. Ses trois camarades n’étaient plus, eux que des cadavres.
Maire conclut :
- Ceux qui, à la Légion, n’ont pas peur sont des jean-foutres.
Tant de vertus, de qualités, ce sens continu de la grandeur, semblent l’accabler. Pourquoi est-il resté colonel ? Achever un portrait sur ce qui va suivre est presque une gageure.
A Meknès, dans les sous-sols du Maroc-hôtel, un bar entassait pêle-mêle, chaque nuit, une masse de « crabiers » (ainsi Maire qualifiait-il les civils) et le crahut, décuplé par la chaleur, empestait l’atmosphère.
- Je vais les faire taire.
Ayant choisi un cheval caracolant à l’écurie, il l’enfourcha. Centaure improvisé, il dévala les marches, se précipita au galop au milieu d’une foule hurlante, épouvantée et qui fuyait en s’écrasant.
Lorsque quelqu’un – fût-ce un de ses supérieurs – n’était pas d’accord avec lui, il se soulevait légèrement de son siège, et lui assénait :
- Ceux qui ne m’approuvent pas ont toujours une place entre ma chaise et moi !
On conçoit que, dans ces conditions, Maire n’ait pu grimper plus haut dans la hiérarchie.
- Bah ! me disait-il, c’est mon côté courtellinesque. J’y tiens.
Signé : Jean-Pierre Dorian